Depuis la publication du volume Condillac et les problèmes du langage (Sgard 1982) réunissant des articles consacrés au bicentenaire d’Étienne Bonnot de Condillac (1714–1780), toute une génération de chercheurs s’est écoulée, ce qui est une raison suffisante pour retourner à cet auteur. À l’époque, les ouvrages de grands philosophes poststructuralistes qui mentionnaient les théories linguistiques du siècle des Lumières étaient à l’esprit du public. Michel Foucault (1926–1984) avait poursuivi un grand sujet des Lumières en traitant les mots et les choses (Foucault 1966) et Jacques Derrida (1930–2004) avait rappelé Condillac dans sa sémiologie générale et dans sa conception évolutive du langage. Pour se souvenir de Condillac dans la deuxième décennie du XXIe siècle, il faut citer deux autres raisons mentionnées par Aliènor Bertrand dans l’introduction du volume édité. La première est le tournant paléogénétique qui a promu l’origine du langage au rang d’objet de recherche de premier rang et qui a modifié le jugement des linguistes français sur ce problème. La deuxième cause d’un recours à Condillac est la reconnaissance des limites de la théorie de Ludwig Wittgenstein (1889–1951) auquel on avait réduit l’expression philosophie du langage à partir des années cinquante. La philosophie du langage contemporaine ne prétend plus sérieusement se passer de la philosophie de l’esprit et de la philosophie de la perception. On a cessé de douter qu’un philosophe des Lumières ait apporté des idées importantes à la philosophie du langage et on ne considère plus l’explication condillacienne de l’origine du langage comme “un signe d’appartenance à un univers épistémologique révolu” (p. 8). La proclamation de la modernité de Condillac est très présente dans ce volume, mais elle comporte aussi des pièges épistémologiques. Si l’on établit une analogie entre l’affirmation de Condillac que “tout ce qui concerne l’entendement humain peut être rappelé à la liaison des signes” (p. 9; cf. Condillac 1947 [1746] I, p. 4) et la thèse de Wittgenstein selon laquelle tous les problèmes de philosophie sont des problèmes de langage, il faut prendre en compte le contexte historique de ces deux théories.
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