Il est bien connu que la notion de mot et le principe des parties du discours comme éléments de
classification paradigmatique des unités linguistiques ont été problématisés dans la linguistique moderne, par des savants aussi divers
que Ferdinand de Saussure (1857–1913), Ferdinand Brunot (1860–1938), Viggo Brøndal (1887–1942), Edward Sapir (1884–1939) ou Otto Jespersen
(1860–1943) (cf. Marçalo 2008/2009: 60; Laurandeau
(1986) nuance la position de ce dernier)). La linguistique appliquée a également émis des doutes sur l’utilité du système des
parties du discours dans l’enseignement des langues étrangères (cf. Redder 2007 pour une
critique dans le cadre de l’enseignement de l’allemand langue étrangère). La recherche typologique a illustré la grande diversité quant
aux systèmes de classement des mots que manifestent les langues (Rijkhoff 2007, Bisang 2011): le constat que les catégories de la grammaire occidentale n’ont pas de validité
universelle (Viti 2014: 281) est devenu une évidence. Lagarde (1988) n’énumère pas moins de huit objections formulées contre les parties du discours, tout en notant l’échec relatif
des propositions alternatives: “Le discours [de la linguistique moderne] établit donc la faiblesse de la théorie traditionnelle des
parties du discours, alors que les pratiques manifestent sa force. Elles connaissent un sort comparable à la notion de mot, à laquelle
elles sont liées : décriées — et finalement irremplaçables” (p. 103). L’auteur conclut finalement que la classification des mots en
parties du discours, malgré toutes les imperfections de cet outil, reste en usage à cause du grand degré d’efficacité dont elle a fait
preuve: “Peut-être conviendrait-il de faire appel à la notion de “cost effectiveness”. Envisagée dans sa fonctionnalité épistémologique,
l’antique théorie qui depuis des siècles modèle nos consciences grammaticales occidentales est celle qui permettrait d’obtenir des
résultats tout à fait appréciables avec le minimum d’effort. Cela expliquerait pourquoi elle est finalement conservée par la plupart des
linguistes, non seulement par ceux qui creusent le sillon traditionnel, mais aussi par ceux qui explorent des voies nouvelles” (Lagarde 1988: 106) (dans ce sens également Marçalo (2008/2009: 62); sur l’impossibilité de délimiter exactement le mot, cf. Martinet
1986).
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