Carlo Denina linguiste : Aux Sources Du Comparatisme
Résumé
Le piémontais Carlo Denina (1731–1813) est à présent bien connu comme historien, auteur de Le Rivoluzioni d’Italia [Les Révolutions d’Italie]. Au contraire, on n’a donné aucune importance à son travail de linguiste, mené à l’Académie de Berlin, dont il était devenu membre après son éloignement du Piémont. L’Académie de Berlin était un centre de culture linguistique, à la suite des centres d’intérêt hérités de Leibniz, lui-même auteur de plusieurs écrits d’étymologie. Denina, qui avait commencé à faire des observations sur le parler piémontais, continua ses études sur l’origine des langues pendant à peu près trente ans, et publia ses travaux dans les Mémoires de l’Académie de Berlin en 1804. C’est une oeuvre très importante par sa richesse et par les perspectives qu’elle ouvre: on y trouve en effet une théorie généalogique à l’origine des noms de lieu. Tous ces travaux furent rassemblés dans une oeuvre de longue haleine en trois tomes, La Clef des langues, qui fut publiée à Berlin en 1804. C’est une oeuvre très importante par sa richesse et par les perspectives qu’elle ouvre: on y trouve en effet une théorie généalogique à laquelle l’auteur arrive à travers une analyse comparée des différentes langues d’Europe. Surtout on y trouve l’intuition de l’importance de l’étude du sanscrit pour la connaissance de l’évolution de l’histoire des langues. Denina pense à un centre d’irradiation autour du fleuve Don, à partir duquel un peuple ancien aurait répandu sa langue vers l’orient (le persan et le sanscrit) et vers l’occident (l’Europe). Je crois que l’importance d’une affirmation de ce genre est évidente, et que surtout, la méthode qu’emploie Denina, en comparant les racines des mots, est importante, spécialement si l’on fait attention aux dates, et si l’on n’oublie pas que l’oeuvre de Denina paraît en 1804, avant le livre de F. Schlegel et avant Bopp. Il faut donc insérer Denina dans le mouvement d’idées qui a amené, au XVIIIe siècle, aux débuts de la linguistique historique, sur une ligne qui passe par Leibniz et par l’article “Etymologie” de Turgot pour l’Encyclopédie. Je ne veux pas dire que Denina est seul, c’est évident, mais que son nom a été inexplicablement oublié dans le domaine de l’histoire de la linguistique.