Étymologie Et Idéologie : Des Reflets du Nationalisme Sur La Lexicologie Allemande, 1830–1914
Résumé
Dans une première phase de la lexicologie scientifique allemande, illustrée par l’Althochdeutscher Sprachschatz de E. G. Graff (183446), l’opération de syncrétisme de la nouvelle linguistique comparative avec la tradition herderienne permet d’affirmer, d’une part, le nouveau statut égalitaire et la dignité de l’allemand, symbolisée par la lemmatisation étymologique, tandis que l’étymologie est conçue, d’autre part, comme le miroir du Volksgeist au service de la conscience culturelle de la nation.
La conception historiciste de l’étymologie, promue par J. Grimm, reste ancrée initialement dans la dimension indo-européenne, dont on trouve encore la trace dans le Deutsches Wörterbuch de F. K. L. Weigand (1873–76). La révendication d’une autonomie méthodologique par rapport au comparatisme et d’une perspective spatio-temporelle plus proprement historique pour l’étymologie du vocabulaire allemand se situe dans le dernier quart du XIXe siècle, à une époque où le statut de la langue nationale lui permet d’ailleurs de s’affranchir des schémas généalogiques qui sont à la base de son émancipation. La nécessité d’un dépassement de l’historicisme en lexicologie, soutenue par Hildebrand en 1873 (DWB: ix), est contre-balancée par les exigences contingentes du nationalisme dans la logique auquel la philologie est appelée à jouer son rôle.
Le succès de l’Etymologisches Wörterbuch de Fr. Kluge (six éditions de 1883 à 1899), tout comme celui de son hypothèse gotique (la médiation du vocabulaire chrétien d’origine grecque par les Gots étant considérée comme synonyme de l’arianisme des tribus allemandes et par conséquent de leur indépendance culturelle originaire par rapport à l’Occident latin), s’inscrit dans le chapitre particulier du purisme et d’une conception nouvelle de l’étymologie comme un ‘art’ susceptible de donner un sens et une valeur aux données matérielles, en elles-mêmes insignifiantes, de la linguistique.