Les Grammairiens Arabes, La Phrase Nominale Et Le Bon Sens
Résumé
Le but de cet article est d’introduire à une réflexion sur la valeur explicative des théories des grammairiens arabes, en abordant un exemple précis, celui de jumla ‘ismiyya / jumla ficliyya (communément traduits par ‘phrase nominale’ / ‘phrase verbale’). Il comporte trois parties: La première part des propos tenus dans la littérature orientaliste sur la distinction établie par les grammairiens arabes à ce sujet. Ainsi sont étudiés des textes de Wright (1862), Blachère & Gaudefroy-Demombynes (1937) et Cohen (1970). L’inadéquation de ces propos est démontrée par simple retour au texte des grammairiens. La pensée des grammairiens est précisée à travers l’étude de textes d’Ibn Hishām, Ibn Jinnī et Ibn cAqīl. L’étude de ces textes amène a reconstruire la dimension de ces concepts à l’intérieur de la théorie des grammairiens et à préciser le statut des représentations abstraites dans le cadre de cette théorie. La seconde partie tente de délimiter le terrain épistémologique qui a rendu possible les glissements conceptuels des orientalistes cités dans l’interprétation de la théorie des grammairiens arabes. Certains aspects de la démarche des orientalistes sont mis en évidence: l’utilisation du bon sens comme critère d’évaluation d’une théorie linguistique, l’assimilation hâtive de la démarche des grammairiens à celle des philosophes ‘disciples d’Aristote’, le refus de situer les concepts grammaticaux des grammairiens arabes dans la théorie originale qui est la leur. La troisième partie réexamine une partie des faits cités dans le début de l’article à la lumière d’une analyse menée dans le cadre de la grammaire générative. Il est démontré que l’explication de ces faits nécessite le recours à une démarche abstraite qui ne réduit pas l’analyse des faits de langue aux analogies observables à prime abord sur des données simplifiées mais se donne, au contraire, la possibilité d’intégrer des données plus étendues pour aboutir à des généralisations intéressantes. Le rapprochement fait entre les deux analyses, celle menée dans le cadre de la grammaire generative et celle des grammairiens arabes, suggère, de manière indirecte, la validité de la théorie de ces derniers.