Traduction
Anne Frank dans la période ultra-catholique du franquisme: Contestation et exploitation de la mythification américaine de Het Achterhuis [Anne Frank in the ultra-Catholic Franco period: Challenge and exploitation of the American mythification of Het Achterhuis ]

María Jesús Fernández-Gil
Universidad de Alcalá | University of Namur
Traduit par Léa Clarinval sous la direction de Noémie Nélis
Universidad de Alcalá | University of Namur
Résumé

Cet article examine les réponses des Espagnols à la construction américanisée d’Anne Frank et de son journal intime. En plus d’analyser le contexte de publication de sa première traduction en espagnol castillan, nous examinons les changements subis par le texte original et ses réécritures broadwaysienne et hollywoodienne lors de leur parution en Espagne dans la seconde moitié des années 50. Une attention particulière est donnée à la reconfiguration discursive de la vision mythifiée construite autour de l’image d’Anne Frank aux États-Unis, ainsi qu’à ses contestations et son exploitation dans la période ultra-catholique du régime de Franco. À ce titre, l’un des objectifs principaux de cet article est de répondre à la question de savoir si oui ou non la réception de ce texte en Espagne franquiste fut affectée par le fait que son autrice était une adolescente, une Juive, et une femme.

Mots-clés :
Table des matières

1.Introduction

Étant donné que Het Achterhuis (1947Frank, Anne 1947Het Achterhuis. Dagboekbrieven 12 juni 1942 – 1 augustus 1944. Amsterdam: Contact.Google Scholar) d’Anne Frank est aujourd’hui disponible dans plus de 65 langues, il n’est pas surprenant d’apprendre que le livre fut traduit en espagnol, la deuxième langue maternelle la plus parlée dans le monde, dès 1952 (Frank 1952b 1952bDiario de Ana Frank: cartas a mi muñeca [orig. unknown]. Translated by José Blaya Lozano. Buenos Aires: Hemisferio.Google Scholar, tr. Blaya Lozano).11.Des recherches Internet ciblées de manière sélective afin de retrouver la première traduction en espagnol de Het Achterhuis indiquent l’existence potentielle d’une traduction antérieure publiée par Condor à Montevideo (Uruguay) en 1951. Ces détails de publication viennent d’une librairie en ligne spécialisée dans les livres anciens et appelée ‘Librería de Lance La Dulcinea’, qui vend une “atractiva edición en español (con toda probabilidad una de las primeras)” [édition en espagnol intéressante qui semblerait être l’une des premières éditions en espagnol] (https://​www​.iberlibro​.com​/buscar​-libro​/titulo​/el​-diario​-de​-ana​-frank/). Cependant, nos recherches dans les catalogues des bibliothèques nationales en ligne les plus importantes d’Amérique latine (Biblioteca Nacional de Uruguay, Biblioteca Nacional de la República de Argentina, Biblioteca Nacional de Perú and Biblioteca Nacional de Chile) et sur WorldCat​.org n’ont rapporté aucun un document qui confirmerait cette information. Toutes les descriptions des catalogues soulignent le fait que la traduction argentine de 1952 d’Editorial Hemisferio est la première traduction en espagnol. La traduction espagnole fut donc publiée la même année que la traduction anglaise (Mooyart-Doubleday), grâce à laquelle le journal acquit une renommée mondiale. Bien que cela signifie que le témoignage d’Anne Frank était disponible en espagnol dès le début des années 50, les Espagnols n’eurent accès à l’histoire qu’au milieu de la décennie, lorsqu’une traduction sous le titre de Las habitaciones de atrás (Frank 1955 1955Las habitaciones de atrás [orig. The Diary of a Young Girl ]. Translated by María Isabel Iglesias Barba. Barcelona: Garbo.Google Scholar, tr. Iglesias Barba) fut publiée, permettant alors au texte d’être lu sur le marché espagnol ibérique. Au vu du fait qu’une pléthore de traductions et de réécritures originales ont été produites depuis, il semblerait que l’intérêt envers Anne Frank reste élevé parmi les artistes espagnols et le grand public.

Cela étant dit, quelle fut la portée de la réception lorsque le récit d’Anne Frank fut présenté pour la première fois aux lecteurs espagnols ? Afin de répondre à cette question, cet article étudie la mesure dans laquelle son journal était connu et apprécié dans la période ultra-catholique du régime de Franco. Plus particulièrement, il propose une discussion chronologique d’une série d’événements liés à Anne Frank entre 1955 1955Las habitaciones de atrás [orig. The Diary of a Young Girl ]. Translated by María Isabel Iglesias Barba. Barcelona: Garbo.Google Scholar, année de la traduction de Het Achterhuis en espagnol castillan, et 1959, année de sortie de l’adaptation cinématographique du journal par George Stevens. En plus d’analyser le contexte dans lequel la première traduction en espagnol castillan fut publiée, nous examinons les changements que le texte original ainsi que ses réécritures par Broadway et Hollywood subirent lorsqu’ils devinrent disponibles en Espagne. Une attention particulière est donnée à la reconfiguration discursive de la vision mythifiée construite autour du personnage d’Anne Frank aux États-Unis et son appropriation en Espagne franquiste. Ceci implique donc une analyse de l’histoire complexe de publication du journal, ainsi que des stratégies d’adaptation et de marketing qui furent employées.

Afin d’obtenir une compréhension complète de l’impact des politiques interventionnistes culturelles sur la réception du journal en Espagne, nous retraçons d’abord l’histoire de la médiation et de la réécriture du texte, en attirant l’attention sur les facteurs qui intervinrent dans la construction d’un récit américanisé de la diariste. Deuxièmement, nous explorons dans quelle mesure les principes gouvernant la scène culturelle de l’Espagne franquiste déterminèrent les caractéristiques distinctives des traductions grâce auxquelles le journal fut mis à la disposition du public espagnol dans les années 50. Les traductions et adaptations du journal d’Anne Frank (voir l’appendice pour une liste chronologique de celles mentionnées dans cet article) seront examinées d’un point de vue esthétique et politique, en accordant toute l’attention nécessaire à l’agentivité du traducteur. Nous identifierons également le spectre des réactions parmi les lecteurs, spectateurs, cinéphiles et commentateurs à la reconfiguration discursive du journal en Espagne. Plus particulièrement, cet article pose la question de savoir si la réception du journal fut affectée par le fait qu’Anne Frank était une adolescente, une Juive, et une femme.

2.Médiation et réécriture du journal d’Anne Frank

En 1973White, Hayden 1973Metahistory: The Historical Imagination in Nineteenth-Century Europe. Baltimore, MD: Johns Hopkins University Press.Google Scholar, Hayden White révolutionna la réflexion sur la représentation historique avec la publication de Metahistory, qui mettait en avant la structure narrative de la pensée historique et contestait l’hypothèse selon laquelle la représentation historique est basée uniquement sur des données immuables axées sur les évènements. Quelques années plus tard, il poussa l’argument plus loin, en affirmant « [qu’]il y a une relativité inexpugnable dans chaque représentation de phénomènes historiques » (White 1992 1992 “Historical Emplotment and the Problem of Truth.” In Probing the Limits of Representation: Nazism and the ‘Final Solution’, edited by Saul Friedlander, 37–53. Cambridge, MA: Harvard University Press.Google Scholar, 37).aa.Toutes les citations en anglais dans le texte original ont été traduites en français par les traductrices de cet article. Ce point de vue ouvrit la voie à la généralisation de l’idée que toutes les représentations – même celles qui s’inspirent d’événements historiques – sont médiées par les effets de l’idéologie.bb.Les traductrices sont conscientes du fait que le verbe « médier » et ses formes associées (« médié, » « médiée ») sont des néologismes. Cependant, ils ont déjà été utilisés dans d’autres articles académiques pour traduire le verbe « to mediate » et ses formes associées (« mediated »). Ce choix nous permet d’éviter l’ambiguïté du verbe « médiatiser », aujourd’hui plutôt utilisé dans le sens de « diffuser, faire connaître par les médias ». Het Achterhuis, qui est à ce jour le document le plus lu de l’Holocauste (Rosenfeld 1991Rosenfeld, Alvin 1991 “Popularization and Memory: The Case of Anne Frank.” In Lessons and Legacies I: The Meaning of the Holocaust in a Changing World, edited by Peter Hayes, 243–278. Evanston, IL: Northwestern University Press. DOI logoGoogle Scholar, 243), ne fait pas exception. La médiation est, en fait, essentielle pour comprendre l’importance historique du journal d’Anne Frank.

2.1Premières étapes dans la construction d’un souvenir médié d’Anne Frank

The Diary of Anne Frank : The Critical Edition (Frank 1989 1989The Diary of Anne Frank: The Critical Edition [orig. Het Achterhuis ]. Translated by Arnold J. Pomerans and Barbara Mooyaart-Doubleday. New York: Doubleday.Google Scholar), qui fut conçu en réponse aux doutes sur l’authenticité du journal, aborde directement la nature médiée de cette représentation basée sur des faits historiques. En plus d’apporter un compte-rendu exhaustif de l’histoire de création du journal, cette édition présente trois versions de ce dernier en parallèle : le texte original d’Anne (version a) ; la réécriture et révision par Anne de son journal intime en vue de sa publication (version b) ; et le texte tel qu’édité par Otto Frank (version c). Les lecteurs ont ainsi la possibilité d’examiner les textes d’Anne de manière synchronique et diachronique et de découvrir par eux-mêmes « [qu’] Anne Frank était la première personne à réécrire ses propres Journaux » (Lejeune 2004Lejeune, Philippe 2004 “Auto-Genesis: Genetic Studies of Autobiographical Texts.” In Genetic Criticism: Texts and Avant-textes, edited by Jed Deppman, Daniel Ferrer, and Michael Groden, 193–217. Philadelphia, PA: Pennsylvania University Press.Google Scholar, 212), qui furent ensuite réécrits, prépublication, par son père et ses éditeurs néerlandais. En somme, cette publication critique souligne le fait que la médiation et la réécriture sont au cœur de l’histoire de ce texte.

La comparaison des trois versions inclues dans The Critical Edition offre également l’opportunité d’examiner le procédé par lequel le journal a fini par devenir une icône mythifiée. En effet, un examen attentif des versions a et b démontre que le procédé de transformation est comparable à l’évolution de la voix d’Anne Frank suite à son expérience cachée dans l’annexe secrète. Dans son étude sur les différences entre les deux manuscrits originaux, Francine Prose déclare que ces derniers diffèrent dans le sens que « les premières versions sont, dans la plupart des cas, plus impulsives et plus fougueuses, les deuxièmes étant plus détachées, voire abstraites » (2010Prose, Francine 2010Anne Frank: The Book, the Life, the Afterlife. New York: Harper Perennial.Google Scholar, 135). Jeffrey Shandler affirme pour sa part que les efforts qu’Anne met à donner à son journal une forme littéraire accessible impliquent d’autres transformations que celles du passage de son monde intérieur de pensées et de fantasmes au domaine public. En essayant de donner à son texte une profondeur historique, elle a aussi « transformé ses notes très variées en une espèce de roman suspense à clef » (2012, 29).

Otto Frank, qui s’est chargé de reprendre la tâche inachevée d’Anne à son retour d’Auschwitz, joua un rôle important dans l’histoire de la rédaction du journal. Lors de l’élaboration de l’histoire pour sa publication, son principal défi consistait à construire un livre cohérent sur base de deux versions incomplètes, et donc, peu satisfaisantes. À la demande de la maison d’édition, il omit les passages redondants (Bloom 2010Bloom, Harold ed. 2010Anne Frank’s The Diary of Anne Frank. New York: Bloom’s Literary Criticism.Google Scholar, 165). De plus, il supprima des passages au contenu inapproprié (notamment les passages de nature politique ou sexuelle, mais également ceux exprimant des sentiments négatifs envers la mère d’Anne), à tel point qu’il aseptisa certains passages du récit. Selon Magilow et Silverman (2015Magilow, Daniel H., and Lisa Silverman 2015Holocaust Representations in History: An Introduction. London: Bloomsbury Academic. DOI logoGoogle Scholar, 47), Otto Frank est également responsable de modifications touchant à la forme, comme « la correction des fautes d’orthographe et de grammaire et la traduction de passages écrits en plusieurs langues en une seule » (ibid.). D’après eux, ces intrusions sont significatives quand il s’agit de comprendre les changements qui ont aidé « Anne Frank à transcender les spécificités de son histoire pour devenir un symbole plus général » : sans les erreurs grammaticales et les fautes d’orthographe, Anne Frank est représentée comme une autrice complète et non comme une autrice en devenir.

2.2Anne Frank dans l’Amérique d’après-guerre

Indépendamment de l’ampleur exacte des changements effectués par Anne et Otto ainsi que de la couche de médiation supplémentaire apportée par les éditeurs néerlandais, c’est principalement par ses traductions et réécritures que le journal et son autrice sont devenus un symbole immuable de l’Holocauste. L’édition américaine de la première traduction en anglais mérite une mention spéciale puisqu’elle joua un rôle crucial dans la création « du mythe d’Anne Frank » (Cole 1999Cole, Tim 1999Selling the Holocaust: From Auschwitz to Schindler. How History Is Bought, Packaged and Sold. New York: Routledge.Google Scholar, 29). Une série de passages supprimés par les éditeurs de la première édition de Het Achterhuis, dont une « note décrivant la curiosité d’Anne pour le corps de sa meilleure amie Jacqueline » furent réintroduits dans The Diary of a Young Girl, conditionnant ainsi la perspective dans laquelle l’autrice du journal fut présentée aux lecteurs anglophones (Waaldijk 2000Waaldijk, Berteke 2000 “Reading Anne Frank as a Woman.” In Anne Frank: Reflections on Her Life and Legacy, edited by Hyman Aaron Enzer and Sandra Solotaroff, 110–120. Urbana, IL: Illinois University Press.Google Scholar, 114).22.Soit dit en passant, ce passage fait partie des confessions d’Anne que la censure espagnole trouvait inacceptable. Pourtant, ce ne sont pas tellement ces changements qui contribuèrent à la construction du mythe d’Anne Frank, mais plutôt les stratégies marketing utilisées par Doubleday pour vendre le livre aux États-Unis et, surtout, le succès des adaptations au théâtre et au cinéma par Broadway et Hollywood.

La médiation sous la forme d’une déjudaïsation était déjà à l’œuvre dans la préface de l’édition de 1952 signée par Eleanor Roosevelt, veuve de Franklin D. Roosevelt. Les mots choisis par l’ancienne première dame pour vanter le mérite littéraire du journal, qu’elle basait sur sa capacité à rendre les américains « terriblement conscients du pire de la guerre : la dégradation de l’esprit humain » (Frank [1952a] 1967, xiii), étaient en effet très révélateurs. En suggérant que la guerre laisse des séquelles physiques et psychologiques à tous ceux qui y participent, Roosevelt reformula la souffrance des Juifs comme faisant partie de la litanie qui définit les circonstances terribles de la guerre : homo homini lupus. C’est-à-dire qu’elle ne tint pas compte de la spécificité de la déshumanisation des Juifs par les Nazis, dissolvant ainsi le lien entre l’identité juive d’Anne et sa souffrance et mort (Kirshenblatt-Gimblett and Shandler 2012aKirshenblatt-Gimblett, Barbara, and Jeffrey Shandler 2012a “Introduction: Anne Frank, the Phenomenon.” In Kirshenblatt-Gimblett and Shandler 2012b, 1–22.Google Scholar). Partant d’une perspective différente, Liora Gubkin estime que le fait que Roosevelt soit une activiste des droits sociaux joua aussi un grand rôle dans la transformation d’Anne en défenseuse iconique des droits de l’Homme. Plus particulièrement, elle affirme qu’en publiant le journal en tant que « monument à la mémoire non seulement de l’esprit d’Anne mais aussi “des esprits de ceux qui ont œuvré et qui continuent d’œuvrer pour la paix” », la veuve de Franklin Roosevelt anticipa la tendance à relier la personnalité d’Anne à celle des fondateurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont Eleanor Roosevelt elle-même (Gubkin 2012Gubkin, Liora 2012 “Anne Frank, a Guest at the Seder.” In Kirshenblatt-Gimblett and Shandler 2012b, 193–211.Google Scholar, 209).

Les interventions en vertu desquelles l’histoire fut rendue agréable et accessible au public le plus large possible furent bien plus visibles dans les adaptations cinématographiques qui suivirent. L’un des changements qui contribua le plus à cette tendance fut la décision de faire dire à Anne « nous ne sommes pas les seuls qui aient eu à souffrir » (Graver 1997Graver, Lawrence 1997An Obsession with Anne Frank: Meyer Levin and the “Diary.” Berkeley, CA: California University Press.Google Scholar, 89–90) à la place de « nous ne sommes pas les seuls Juifs qui aient eu à souffrir ». L’identification du public « au prix de […] la particularité juive » (Doneson 2002Doneson, Judith 2002The Holocaust in American Film. Syracuse, NY: Syracuse University Press.Google Scholar, 61) fut aussi favorisée par la traduction en anglais du poème liturgique juif traditionnel « Ma’oz Tzur » (Cohen 2012Cohen, Judah M. 2012 “Sounds from the Secret Annex: Composing a Young Girl’s Thoughts.” In Kirshenblatt-Gimblett and Shandler 2012b, 265–287.Google Scholar, 266). Selon Cole (1999Cole, Tim 1999Selling the Holocaust: From Auschwitz to Schindler. How History Is Bought, Packaged and Sold. New York: Routledge.Google Scholar, 33), la volonté de faire de cette histoire « un commentaire exaltant sur l’esprit humain » fut très largement accomplie par la décision de sortir la célèbre phrase « malgré tout, je crois toujours que les gens ont bon cœur » de son contexte et de l’utiliser comme clôture du récit. Gonshak (2015Gonshak, Henry 2015Hollywood and the Holocaust. New York: Rowman & Littlefield.Google Scholar, 92) soutient que le film accentue une vision résolument optimiste d’Anne en ayant la réplique prononcée en même temps que « la caméra s’élance vers le ciel nuageux, pendant que les cordes de la bande-son musicale vibrent de façon spectaculaire ». En bref, cette note du journal fut Hollywoodisée pour la rendre conforme aux conventions de l’industrie américaine du film et de la télévision.

Laissant de côté la question de l’opportunité morale d’une représentation tellement américanisée du journal, Daniel Levy et Natan Sznaider affirment que la mise en forme de Het Achterhuis depuis une perspective américaine a contribué à rendre les événements relatés dans les journaux plus accessibles au grand public. Selon ces deux sociologues, les changements que le texte a subis aux États-Unis devraient être appréciés en raison du fait qu’ils ont sorti l’Holocauste « de son point de référence exclusivement européen » (Levy and Sznaider 2006Levy, Daniel, and Natan Sznaider 2006The Holocaust and Memory in the Global Age [orig. Erinnerung im globalen Zeitalter: Der Holocaust ]. Translated by Assenka Oksiloff. Philadelphia, PA: Temple University Press.Google Scholar, 153) et ont donc facilité la commémoration dans des lieux sans lien historique direct à l’évènement, comme les États-Unis par exemple. Il est intéressant de noter que cette vision pleine d’espoir et orientée vers l’avenir fut réimportée en Europe avec succès, devenant finalement un médiateur influent des images de l’Holocauste à travers le monde. Comme Levy et Sznaider ne manquent pas de le souligner, ceci ne doit pas être compris comme un procédé d’homogénéisation (61–62). En effet, comme nous allons l’illustrer au travers de trois traductions effectuées en Espagne, la compréhension du journal qui prit racine dans chaque pays était imprégnée de spécificités locales.

2.3Anne Frank dans l’Espagne des années 50

Malgré le fait qu’un important corpus de recherche existe sur la réception du journal dans les différents pays dans lesquels la voix d’Anne Frank a été transportée (par ex. Goodman and Miyazawa [2000]Goodman, David G., and Masanori Miyazawa 2000Jews in the Japanese Mind: The History and Uses of a Cultural Stereotype. Lanham, MD: Lexington Books.Google Scholar pour la réception au Japon, Coombes [2003]Coombes, Annie E. 2003History after Apartheid. Visual Culture and Public Memory in a Democratic South Africa. Durham, NC: Duke University Press. DOI logoGoogle Scholar pour la réception en Afrique du Sud ; Chyrikins and Vieyra [2010]Chyrikins, Mariela, and Magdalena Vieyra 2010 “Making the Past Relevant to Future Generations. The Work of the Anne Frank House in Latin America.” Intercultural Education 21 (Supplement 1): 7–15. DOI logoGoogle Scholar pour la réception en Amérique latine), peu d’attention a été portée à la façon dont ce phénomène de publication s’est développé en Espagne. En effet, un chapitre publié récemment (Fernández-Gil 2018Fernández-Gil, María Jesús 2018 “La recepción de Diario de Ana Frank en España: de la censura a la ‘niña rebelde’ al celebrado espíritu luchador de la joven” [The reception of Anne Frank’s diary in Spain: from censoring the young ‘rebel girl’ to celebrating her striving spirit]. In Traducción, género y censura en la literatura y en los medios de comunicación, edited by María Goretti Zaragoza Ninet, Juan José Martínez Sierra, Beatriz Cerezo Merchán, and Mabel Richart Marset, 73–83. Granada: Comares.Google Scholar), et qui offre une analyse diachronique de l’intérêt généré par Anne Frank en Espagne depuis la publication de la première traduction du journal en espagnol castillan jusqu’à nos jours, est très probablement la première étude complète sur la réception de ce témoignage de l’Holocauste par les Espagnols. Ce manque relatif d’intérêt académique pour le sujet est étonnant car il existe une grande quantité de matériel à exploiter. Une liste non-exhaustive inclurait non seulement les différentes éditions en espagnol castillan (Frank 1955 1955Las habitaciones de atrás [orig. The Diary of a Young Girl ]. Translated by María Isabel Iglesias Barba. Barcelona: Garbo.Google Scholar, tr. Iglesias Barba ; Frank 1985 1985Diario [orig. Das Tagebuch der Anne ]. Translated by Toni Calduch. Barcelona: Editorial Planeta.Google Scholar, tr. Calduch ; Frank 1994 1994Diario [orig. Het Achterhuis ]. Translated by Diego Puls. Barcelona: Plaza & Janés.Google Scholar, tr. Puls), mais également les traductions dans les trois langues co-officielles de l’Espagne : le basque (Frank 2005 2005Anne Franken Egunkaria [orig. Spanish, English and French translations]. Translated by Josu Zabaleta Kortabarria. Donostia: Erein Argitaletxea.Google Scholar, tr. Zabaleta Kortaberria), le catalan (Frank 1959 1959Diari [orig. unknown]. Translated by Ramón Folch i Camarasa. Barcelona: Selecta.Google Scholar, tr. Folch i Camarasa)33.La raison pour laquelle les détails de la première traduction en catalan, qui fut également publiée dans les années 50, ne sont pas étudiés dans cet article est que le but principal de cette étude est de comparer la perspective optimiste construite autour ce témoignage de l’Holocauste par la culture américaine d’après-guerre et la signification attachée à l’œuvre en Espagne par le régime catholique de Franco. L’étude d’une traduction en catalan nécessiterait de prendre en compte la spécificité de l’héritage historique, culturel et linguistique de la Catalogne. Une tâche de cette ampleur serait impossible au vu de la longueur limitée de cet article. et le galicien (Frank 2004 2004Diario de Ana Frank [orig. Das Tagebuch der Anne ]. Translated by Tomás Ruibal Outes. Pontevedra: Kalandraka Editora.Google Scholar, tr. Ruibal Outes). De plus, il y a au moins deux adaptations de la pièce de Goodrich-Hackett de 1955 (Alonso 1957aAlonso, José Luis 1957aEl diario de Ana Frank [The diary of Anne Frank]. Spain. [Play]Google Scholar ; Bataller and García 2009Bataller, Salvador, and Juan García 2009El Diario de Ana Frank [orig. The Diary of Anne Frank ]. Barcelona: Algar. [Play]Google Scholar) et trois réponses originales à l’histoire d’Anne Frank (Cervelló [1971] 1973Cervelló, Jordi (1971) 1973Anna Frank, un simbol [Música notada]: para orquesta de cuerda [Anna Frank, a symbol (annotated music): Cord orchestra]. Madrid: Editorial de Música Española Contemporánea. [Music]Google Scholar ; Alvero 2008Alvero, Rafael 2008Diario de Ana Frank. Un canto a la vida [The diary of Anne Frank. A song to life]. Spain: Producciones Artísticas Gestalt SL. [Musical]Google Scholar ; Juncal 2014Juncal, María 2014El encierro [The Imprisonment]. María Juncal Producciones. [Flamenco]Google Scholar). Cependant, puisque l’objectif du présent article n’est pas d’analyser les différentes nuances de chacune de ces réécritures, notre analyse se limitera ici au traitement espagnol de la construction iconique d’Anne Frank dans la culture américaine d’après-guerre. C’est à cette fin que nous examinerons les traductions suivantes : premièrement, la traduction du journal en espagnol par Isabel Iglesias Barba (1955), deuxièmement, la traduction de José Luis Alonso de l’adaptation théâtrale de 1955 El diario de Ana Frank et, troisièmement, la version doublée en espagnol de The Diary of Anne Frank (1959) de George Stevens, distribuée par Hispano Foxfilm.

Une attention particulière sera accordée à une décennie spécifique : les années 50 ou, selon le terme suggéré par Stanley G. Payne (2011Payne, Stanley G. 2011The Franco Regime, 1936–1975. Madison, WI: Wisconsin University Press.Google Scholar, viii), « le régime à mi-parcours ». Cette période correspond à la fin de la première des deux phases distinctes en lesquelles les historiens ont généralement divisé le régime dictatorial de Franco (1939–1975), régime qui connut un tournant majeur dans son développement économique en 1959. C’est alors que le Plan national de stabilisation fut mis en place, l’Espagne abandonnant dès lors l’autarcie en faveur d’une politique économique plus libérale et plus ouverte. Sur le plan culturel également, une division en deux périodes est logique. Raquel Merino et Rosa Rabadán (2002Merino, Raquel, and Rosa Rabadán 2002 “Censored Translations in Franco’s Spain: The TRACE Project – Threatre and Fiction (English-Spanish).” TTR: Traduction, Terminologie, Redaction 15 (2): 125–152. DOI logoGoogle Scholar, 130), par exemple, considèrent que le système de censure franquiste peut être divisé en deux étapes auto-définies : « la première dure jusqu’environ la fin des années 50, la deuxième commence quand le nouveau groupe novateur de politiciens dirigés par le ministre Fraga est arrivé au ministère de l’information et du tourisme en 1962, et finit en 1985 ». Sur base de ces divisions, les trois réécritures qui seront étudiées ci-dessous sont à situer dans la première grande période du franquisme, tant d’un point de vue économique que culturel.

D’autres chercheurs déclarent que les étapes par lesquelles le régime est passé pendant sa durée de vie initiale de 20 ans ne peuvent être clairement déterminées car la chronologie de chaque sous-période dépend des critères utilisés pour établir la périodisation. Dans ces cas où les questions idéologiques sont prises comme point de référence, la période avant 1959 est divisée comme suit : premièrement, les années recouvrant la seconde guerre mondiale, durant lesquelles le régime était caractérisé par une attitude fasciste car « Franco subissait la pression d’Hitler et de Mussolini pour entrer en guerre du côté de l’Axe » (Lewis 2002Lewis, Paul H. 2002Latin Fascist Elites: The Mussolini, Franco, and Salazar Regimes. Westport, CT: Praeger.Google Scholar, 77) et, deuxièmement, les années entre 1946 et 1959, pendant lesquelles le régime prôna le nationalisme catholique. Les périodisations construites sur base d’enjeux socio-économiques et politiques ont mis en avant l’année 1952, année où l’Espagne fut admise au sein de l’UNESCO, pour marquer la division. Dès lors, « la politique étrangère américaine, aussi bien sous Truman qu’Eisenhower, s’attacha à resserrer les liens avec le régime de Franco, notamment par l’établissement de bases militaires ainsi que d’installations portuaires en Espagne » (Wade and Garno 1997Wade, Graham, and Gerard Garno 1997A New Look at Segovia: His Life, His Music. Pacific, MO: Mel Bay Publications.Google Scholar, 156). D’ailleurs, le Pacte de Madrid (un traité entre l’Espagne et les États-Unis) fut signé en 1953, marquant ainsi le début d’une alliance militaire de facto qui fit de l’Espagne un membre important du groupe anti-communiste.

Sur base des évènements historiques décrits ci-dessus et d’autres développements, comme l’adhérence aux Nations Unies en 1955, il est possible d’affirmer que l’Espagne entra dans « une nouvelle ère vis-à-vis de ses relations avec les démocraties occidentales puisque ces nations commencèrent à voir le régime pro-catholique et profondément anti-communiste de Franco de façon plus positive » (Brincat 2006Brincat, Leo 2006 “Need for International Condemnation of the Franco Regime, for Debate in the Standing Committee.” In Documents: Working Papers, 2006 Ordinary Session (First Part) 23–27 January 2006, edited by Council of Europe. Volume II, 82. Strasbourg: Council of Europe Publishing.Google Scholar, 82). Même si l’attitude internationale envers le régime s’améliora tout au long des années 50, les principes sous-tendant le système autoritaire établi par Franco au lendemain de la guerre civile restèrent inchangés : “Cabe la posibilidad de que el Plan de Estabilización de 1959 y los sucesivos planes de desarrollo nacieran como una modernización estrictamente material, compatible con un status quo político y el inmovilismo social” [Il est possible que le plan de stabilisation de 1959 ainsi que les plans de développement successifs aient pu naitre comme une modernisation strictement matérielle, compatible avec un statu quo politique et un immobilisme social] (Ruiz Bautista 2008Ruiz Bautista, Eduardo 2008 “La larga noche del franquismo (1945–1966)” [The long Francoist night (1945–1966)]. In Tiempo de censura: la represión editorial durante el franquismo [Time of censorship: publishing censorship during Francoism], edited by Eduardo Ruiz Bautista, 77–109. Gijón: Ediciones Trea.Google Scholar, 78). Franco continua en effet à « compter sur l’armée, l’Église et les familles de droite très influentes en politique » (Brincat 2006Brincat, Leo 2006 “Need for International Condemnation of the Franco Regime, for Debate in the Standing Committee.” In Documents: Working Papers, 2006 Ordinary Session (First Part) 23–27 January 2006, edited by Council of Europe. Volume II, 82. Strasbourg: Council of Europe Publishing.Google Scholar, 82). C’est précisément à cause de la place centrale de l’Église catholique dans la vie espagnole que Gutiérrez Lanza (2011Gutiérrez Lanza, Camino 2011 “Censors and Censorship Boards in Franco’s Spain (1950s-1960s): An Overview Based on the TRACE Cinema Catalogue.” In Translation and Opposition, edited by Dimitris Asimakoulas and Margaret Rogers, 305–320. Clevedon: Multilingual Matters. DOI logoGoogle Scholar, 307) a appelé cette décennie « les années conservatrices » et Vandaele (2010Vandaele, Jeroen 2010 “It Was What It Wasn’t. Translation and Francoism.” In Translation under Fascism, edited by Christopher Rundle and Kate Sturge, 84–116. New York: Palgrave Macmillan. DOI logoGoogle Scholar, 87) « la décennie ultra-catholique ». En ce sens, il faut souligner que « la présence du représentant ecclésiastique, considéré comme spécialisé dans les questions morales et religieuses, resta obligatoire » dans les commissions de censure des spectacles publics (Gutiérrez Lanza 2011Gutiérrez Lanza, Camino 2011 “Censors and Censorship Boards in Franco’s Spain (1950s-1960s): An Overview Based on the TRACE Cinema Catalogue.” In Translation and Opposition, edited by Dimitris Asimakoulas and Margaret Rogers, 305–320. Clevedon: Multilingual Matters. DOI logoGoogle Scholar, 307). De toute évidence, le contrôle religieux sur la production culturelle était important à cette époque.

Les deux aspects déterminants des années 50 (la réintégration progressive de l’Espagne au sein de la communauté internationale ainsi que la puissance et la présence de l’Église catholique) nous permettent d’étudier de façon empirique le mode de réception du journal d’Anne Frank et de ses réécritures. La signification attribuée au texte original, à la pièce de théâtre et aux adaptations cinématographiques – comme c’est le cas pour n’importe quel produit culturel qui voyage et s’inscrit dans différents contextes – ne fut pas influencée uniquement par les décisions des traducteurs et des éditeurs, mais surtout par les circonstances socio-culturelles et politiques de la culture cible : le système de censure sévère établi par Franco. Afin d’aider à révéler ces contraintes historiquement déterminées, nous porterons notre attention, d’une part, sur les attributs sociaux des originaux qui ont été perdus et/ou accentués dans les traductions espagnoles et, d’autre part, sur les nouvelles significations auxquelles les œuvres furent associées en Espagne.

3.La réception du journal d’Anne Frank dans l’Espagne franquiste

3.1La traduction par Isabel Iglesias Barba de The Diary of a Young Girl

Avant de nous plonger dans l’analyse des circonstances de la réception de la première traduction du journal en espagnol castillan, il nous faut noter qu’une traduction vers l’espagnol fut publiée et largement diffusée en Argentine en 1952, et que c’est par cette traduction que le texte, sous le titre de Diario de Ana Frank : cartas a mi muñeca, atteignit de nombreux pays d’Amérique latine. Les Espagnols, cependant, ne pouvaient pas lire cette traduction, qui ne fut commercialisée sur le marché éditorial espagnol qu’en 1961, quand la première demande pour importer la traduction argentine en Espagne fut déposée auprès du bureau de la censure (cf. File 1217–61, Box 66/06423, IDD (030)52.117). C’est également en 1952 que le journal fut traduit dans une langue pourtant très éloignée de l’Europe, à la fois linguistiquement et géographiquement : le japonais. Malgré ces contributions espagnoles et japonaises à la renommée internationale d’Anne Frank, c’est à la suite de l’édition américaine, préfacée par Eleanor Roosevelt, que sa popularité explosa, comme mentionné précédemment. Il n’a alors fallu au livre que quelques mois pour atteindre le statut de best-seller et, « au milieu des années 50, Mr Frank passait de nombreuses heures chaque jour à répondre aux lettres qu’il avait reçues de personnes qui avaient lu le journal » (Lee 2006Lee, Carol Ann 2006Anne Frank and Children of the Holocaust. New York: Viking Penguin.Google Scholar, 207). Le succès international grandissant du journal pourrait expliquer pourquoi la Sociedad General Española de Librería entreprit les premières étapes essentielles pour importer la traduction anglaise en 1954, comme recensé dans l’Archivo General de la Administración, ci-après dénommée AGA, à Alcalá de Henares, Madrid (cf. File 249–54, Box 21/10601, IDD (03)050.000).

Une brève parenthèse est nécessaire ici pour dévoiler les particularités de l’histoire de traduction du journal en espagnol castillan. L’aspect le plus remarquable est qu’Iglesias Barba produisit sa version, bien que cela ne soit mentionné nulle part dans le livre, par le biais d’une troisième langue : l’anglais. Cela peut paraître surprenant au premier abord, car l’interdépendance croissante entre les pays a entraîné une moindre tolérance à l’égard de la pratique de la traduction indirecte ou secondaire (Toury 1995Toury, Gideon 1995Descriptive Translation Studies and Beyond. Amsterdam: John Benjamins. DOI logoGoogle Scholar, 129–130), surtout dans le cas d’un polysystème fort comme celui qui s’applique au système littéraire espagnol actuel. Cependant, c’était alors un moyen courant d’importer des représentations artistiques dans le contexte d’isolement culturel vécu sous la dictature. Le procédé était particulièrement fréquent lors de la restitution de textes écrits dans des langues mineures, pour lesquelles il y avait un manque de professionnels qualifiés, comme c’était le cas pour le néerlandais. En ce qui concerne le texte original néerlandais, l’édition, contrairement à l’américaine, fut publiée « en un tirage limité à 1500 exemplaires » et connut un « démarrage assez lent » (Cole 1999Cole, Tim 1999Selling the Holocaust: From Auschwitz to Schindler. How History Is Bought, Packaged and Sold. New York: Routledge.Google Scholar, 25). C’est pourquoi la probabilité que les maisons d’édition espagnoles aient eu accès au texte original semble assez faible. De plus, la banque de données d’importation d’AGA ne contient aucune trace d’une édition en néerlandais. En revanche, il existe des preuves, comme indiqué ci-dessus, que l’édition américaine fut rendue disponible en Espagne dès 1954.

Une analyse textuelle suggère que le texte source était en effet la traduction anglaise. En mettant les deux versions en parallèle, il est possible de visualiser les similarités entre les traductions anglaise et castillane. De plus, il est intéressant de comparer cette dernière avec la traduction argentine, puisque ce mode de visualisation révèle que les différences entre les deux traductions espagnoles vont au-delà de la simple révision stylistique. La possibilité qu’Iglesias Barba ait basé sa traduction sur la traduction espagnole publiée en argentine, ce qui était aussi une pratique d’édition répandue sous la dictature de Franco, peut donc être écartée.

Un indicateur possible qui révèle que le texte source était la traduction anglaise se trouve dans la traduction d’éléments culturellement spécifiques comme “porridge” (Frank 1952a 1952aThe Diary of a Young Girl [orig. Het Achterhuis ]. Translated by Barbara Mooyaart-Doubleday. New York: The Modern Library.Google Scholar,107), “opklap bed” (108) et “sauerkraut” (195). Tandis que Blaya Lozano choisit “sopa de avena” (Frank 1952b 1952bDiario de Ana Frank: cartas a mi muñeca [orig. unknown]. Translated by José Blaya Lozano. Buenos Aires: Hemisferio.Google Scholar,103), “diván” (103) et “coles” (176), Iglesias Barba opte pour une stratégie d’étrangéisation, en restant proche de la version anglaise : “porridge” (Frank 1955 1955Las habitaciones de atrás [orig. The Diary of a Young Girl ]. Translated by María Isabel Iglesias Barba. Barcelona: Garbo.Google Scholar, 91), “cama-opklap” (ibid.) et “sauerkraut” (161). Les phrases d’ouverture de la seconde note du journal d’Anne Frank, écrites le 15 juin 1942, indiquent également qu’une approche différente de la traduction était à l’œuvre dans les traductions argentine et castillane, puisqu’il y est fait référence à un film dont le titre est traduit différemment dans les deux versions espagnoles :

I had my birthday party on Sunday afternoon. We showed a film The Lighthouse Keeper with Rin-Tin-Tin, which my school friends thoroughly enjoyed.(1952a, 2)

[Nous avons fêté mon anniversaire dimanche soir. Nous avons projeté le film Le Phare qui s’éteint avec Rintintin. Mes amis l’ont beaucoup aimé.]

Ayer por la tarde tuve mi primer recibo de aniversario. La proyección de un film, “El guardián del faro,” con Rin-tin-tin, agradó mucho a mis condiscípulos.(1952b, 14)

El domingo por la tarde celebramos la fiesta de mi cumpleaños.

Pasamos una película de “Rin-Tin-Tin”: El vigilante del faro, y mis compañeros de colegio se divirtieron mucho.(1955, 7)

Ce passage révèle également d’importantes différences dans les choix lexicaux de Blaya Lozano et Iglesias Barba, notamment “recibo de aniversario” et “condíscipulos” vs. “fiesta de cumpleaños” and “compañeros”, conformément aux préférences lexicales d’Argentine et d’Espagne, respectivement.

En plus des preuves textuelles, deux autres prémisses soutiennent l’argument selon lequel la traduction a été faite via une langue intermédiaire. Premièrement, la traductrice était professeure d’anglais dans une école secondaire et combinait l’enseignement avec la traduction de livres de l’anglais vers l’espagnol, comme il peut être déduit des informations disponibles à la Biblioteca Nacional de España [Bibliothèque Nationale d’Espagne], où il n’existe aucun document indiquant qu’elle était traductrice du néerlandais. Deuxièmement, les relations diplomatiques avec les États-Unis, comme dit précédemment, reprirent dans les années 50 et cela résulta, comme le note Cristina Gómez Castro (2008Gómez Castro, Cristina 2008 “Translation and Censorship Policies in the Spain of the 1970s: Market vs. Ideology?” In New Trends in Translation and Cultural Identity, edited by Micaela Muñoz-Calvo, Carmen Buesa-Gómez, and M. Ángeles Ruiz-Moneva, 129–138. Newcastle upon Tyne: Cambridge Scholars Publishing.Google Scholar, 130), « en différents domaines de la vie espagnole devenant progressivement plus disposés à adopter quelque chose de similaire à ce qui est communément appelé le ‘mode de vie américain.’ La traduction, bien que soumise à la censure, joua un rôle crucial à cet égard. Jané-Lligé (2016Jané-Lligé, Jordi 2016 “Literary Translation and Censorship: Günter Grass in Franco’s Spain.” In Perspectives on Translation, edited by Anna Bączkowska, 235–257. Newcastle upon Tyne: Cambridge Scholars.Google Scholar,237) soutient qu’elle était utilisée par les maisons d’édition « pour moderniser le monde littéraire espagnol et pour stimuler l’échange d’idées en son sein ». L’argument que je défends ici est que la traduction en espagnol castillan de The Diary of a Young Girl tenta d’atteindre le même objectif. Pourtant, les restrictions imposées par l’État et l’Église catholique via la censure étaient telles que l’illusion d’un transfert culturel était limitée.

Le texte rencontra en effet des difficultés à s’attirer les faveurs des censeurs à cause de son approche de la sexualité et de la description par Anne de son amour pour Peter van Pels, le garçon de seize ans qui se cachait également dans l’annexe secrète. Le contenu des pages 116, 187, 188, 189, 190, 193 et 194 fut jugé comme attentant à la morale, de sorte que la publication ne fut pas autorisée tant que les passages considérés comme immoraux n’avaient pas été retirés (cf. File 6457–54, Box 21/10887, IDD (03)050.000). En conséquence de ces suppressions, la première traduction en espagnol castillan empêcha l’accès à la curiosité d’Anne à propos de la sexualité, un sujet qu’elle aborde ouvertement dans sa note du 5 janvier 1944 :

Sometimes, when I lie in bed at night, I have a terrible desire to feel my breasts and to listen to the quiet rhythmic beat of my heart.

I already had these kinds of feelings subconsciously before I came here, because I remember that once when I slept with a girl friend I had a strong desire to kiss her, and that I did do so. I could not help being terribly inquisitive over her body, for she had always kept it hidden from me. I asked her whether, as a proof of our friendship, we should feel one another’s breasts, but she refused. I go into ecstasies every time I see the naked figure of a woman such as Venus, for example. It strikes me as so wonderful and exquisite that I have difficulty in stopping the tears rolling down my cheeks.(1952a, 130–131) [Emphase de l’autrice]

[Parfois, quand je suis dans mon lit la nuit, j’ai une terrible envie de me toucher les seins et d’écouter le calme battement rythmique de mon cœur.

J’avais déjà ce genre de sentiments inconsciemment avant d’arriver ici, parce que je me rappelle qu’une fois, alors que je dormais avec une amie, j’avais eu une forte envie de l’embrasser, et je l’avais fait. Je ne pouvais pas m’empêcher d’être terriblement curieuse à propos de son corps, car elle me l’avait toujours caché. Je lui ai demandé si, en gage de notre amitié, nous ne pourrions pas chacune toucher les seins de l’autre mais elle a refusé. Je suis en extase à chaque fois que je vois la silhouette d’une femme nue, comme Vénus, par exemple. Cela me semble si magnifique et si exquis que j’ai du mal à arrêter les larmes qui coulent le long de mes joues.]

A veces, por la noche, cuando estoy en cama, tengo unos deseos enormes de escuchar el rítmico latir de mi corazón.(1955, 109)

[Parfois, la nuit, quand je suis au lit, je ressens le désir terrible d’écouter le calme battement rhythmique de mon cœur.]

De même, les lecteurs échappèrent aux détails les plus intimes de la relation entre Anne et Peter :

I’m sure too that Mummy never touched a man before Daddy. What would my girl friends say about it if they knew that I lay in Peter’s arms, my heart against his chest, my head on his shoulder and with his head against mine!

Oh, Anne, how scandalous! But honestly, I don’t think it is; we are shut up here, shut away from the world, in fear and anxiety, especially just lately. Why, then, should we who love each other remain apart? Why should we wait until we’ve reached a suitable age? Why should we bother? I have taken it upon myself to look after myself […](1952a, 212) [Emphase de l’autrice]

[Je suis sûre également que maman n’a jamais touché d’homme avant papa. Que diraient mes amies si elles savaient que je suis couchée dans les bras de Peter, mon cœur contre son torse, ma tête sur son épaule et sa tête contre la mienne !

Oh Anne, c’est scandaleux ! Mais honnêtement, je ne pense pas que ça le soit. Nous sommes enfermés ici, à l’écart du monde, dans la peur et l’angoisse, surtout ces derniers temps. Pourquoi devrions-nous rester loin l’un de l’autre alors que nous nous aimons ? Pourquoi devrions-nous attendre d’avoir atteint un âge convenable ? Pourquoi devrions-nous nous poser tant de questions ? J’ai décidé de m’occuper de moi moi-même […]]

También estoy segura de que mama no besó a hombre alguno más que a papá. He decidido cuidar de mí misma […] (1955, 174) [Emphase de l’autrice]

[Je suis également sûre que Maman n’a jamais embrassé d’autre homme que Papa. J’ai décidé de m’occuper de moi moi-même […]]

Dans ce fichier du bureau de la censure, il est également rapporté un incident quant au titre même du journal. Le titre en anglais, The Diary of a Young Girl, fait entendre ouvertement que l’autrice du livre est une jeune fille. Inutile de dire que cette vision émancipatrice d’une autrice de treize ans ne correspondait pas aux idéaux du régime de Franco (Fernández-Gil 2018Fernández-Gil, María Jesús 2018 “La recepción de Diario de Ana Frank en España: de la censura a la ‘niña rebelde’ al celebrado espíritu luchador de la joven” [The reception of Anne Frank’s diary in Spain: from censoring the young ‘rebel girl’ to celebrating her striving spirit]. In Traducción, género y censura en la literatura y en los medios de comunicación, edited by María Goretti Zaragoza Ninet, Juan José Martínez Sierra, Beatriz Cerezo Merchán, and Mabel Richart Marset, 73–83. Granada: Comares.Google Scholar,77), qui plaçait les femmes et les enfants dans une position secondaire (Huguet 2013Huguet, Montserrat 2013 “Memoria del primer franquismo. Mujeres, niños y cuentos de infancia” [Memory of the early Francoist era. Women, children and tales for children]. Accessed March 18, 2018. http://​e​-archivo​.uc3m​.es​/bitstream​/handle​/10016​/16414​/cuentos​_huguet​_2013​_pp​.pdf). Les vues paternalistes de Franco sur le besoin de protéger les femmes et les enfants d’un contenu « nocif » sont reflétées par le censeur qui écrivit le rapport décrivant les changements devant être effectués : “[Habría que] exigir las [tachaduras] señaladas con lápiz rojo […], pues, a causa del título y del carácter del libro, podría atraer como lectores a chicas jóvenes para los cuales los citados pasajes serían un tanto excesivos” [Toutes les biffures marquées en rouge doivent être supprimées, car le titre et le contenu du livre pourraient attirer des jeunes lectrices, pour lesquelles les passages cités sont quelque peu excessifs] (cf. File 6457–54, Box 21/10887, IDD (03)050.000). En accord avec ces convictions fermement ancrées, le censeur raya l’idée initiale littérale de Garbo, El diario de una joven, changeant le titre pour Las habitaciones de atrás (Les chambres à l’arrière), une décision qui avait pour but de dissuader les femmes de lire le livre. Dans la mesure où la traduction proposée était plus proche du titre original néerlandais, ce changement servit aussi à dissimuler le fait que le livre avait été traduit de l’anglais. De plus, le titre néerlandais, soulignant le décor plutôt que le genre du livre, permettait de ne pas révéler d’emblée qu’il s’agissait d’un journal intime, un genre marginal relégué à un rôle secondaire dans le système littéraire de la péninsule ibérique (Bou and Scharm 2016Bou, Enric, and Heike Scharm 2016 “Writing of the Self: Iberian Diary Writing.” In A Comparative History of Literatures in the Iberian Peninsula, edited by César Domínguez, Anxo Abuín González, and Ellen Sapega, 256–267. Amsterdam: John Benjamins. DOI logoGoogle Scholar, 259). Par conséquent, la maison d’édition bénéficia probablement de ce changement.

La maison d’édition alla également plus loin pour protéger ses propres intérêts financiers, en commercialisant le journal avec une couverture extérieure détachable reproduisant une esquisse de l’annexe plutôt qu’un portait d’Anne, qui était l’illustration choisie pour la version américaine. D’autres éléments paratextuels contribuèrent à changer la perspective dans laquelle Anne et son œuvre avaient été présentées aux États-Unis, tout en servant les intérêts du régime. Par exemple, la préface d’Eleanor Roosevelt fut laissée de côté, malgré le rôle central qu’elle avait joué pour garantir la popularité persistante du journal aux États-Unis (Rosenfeld 1991Rosenfeld, Alvin 1991 “Popularization and Memory: The Case of Anne Frank.” In Lessons and Legacies I: The Meaning of the Holocaust in a Changing World, edited by Peter Hayes, 243–278. Evanston, IL: Northwestern University Press. DOI logoGoogle Scholar, 249). Ceci n’est pas étonnant, puisqu’elle encourageait une vision d’Anne Frank comme un symbole de tolérance et de respect des autres, un message clairement aux antipodes du caractère totalitaire du régime (Frank [1952a] 1967, xiii). Cette préface fut substituée par un bref paragraphe sur le rabat intérieur de la jaquette signé Daniel Rops, un écrivain catholique français. De cette façon, la version espagnole s’intégra dans le contexte d’un récit à nuances catholiques ; autrement dit, le contenu du journal fut adapté à la moralité de l’époque. De plus, Anne Frank en Espagne fut représentée comme l’autrice d’“[una] especie de obra de arte”, c’est-à-dire d’ « une sorte d’œuvre d’art » (Frank 1955 1955Las habitaciones de atrás [orig. The Diary of a Young Girl ]. Translated by María Isabel Iglesias Barba. Barcelona: Garbo.Google Scholar). Inutile de dire que telle expression révèle un scepticisme quant à la capacité d’une adolescente à produire un chef d’œuvre, un point de vue qui s’aligne avec l’indifférence de la société envers les enfants.

En résumé, l’analyse textuelle et les éléments qui constituent le paratexte de la traduction servent de commentaire sur la vie séparée que Het Achterhuis mena après sa publication dans un nouveau contexte, celui de l’Espagne franquiste, où le texte, ayant été publié par une maison d’édition très petite traitant un nombre limité de livres et avec peu de moyens pour une publicité complète (Montejo Gurruchaga 2013Montejo Gurruchaga, Lucía 2013Discurso de autora. Género y censura en la narrativa española de posguerra [Woman’s authorial discourse. Gender and censorship in the Spanish postwar narrative]. Madrid: UNED.Google Scholar, 73), suscita peu d’intérêt et passa en grande partie inaperçu. Il n’y eut aucune autre édition de Las habitaciones de atrás et aucune critique n’a été trouvée (Fernández-Gil 2018Fernández-Gil, María Jesús 2018 “La recepción de Diario de Ana Frank en España: de la censura a la ‘niña rebelde’ al celebrado espíritu luchador de la joven” [The reception of Anne Frank’s diary in Spain: from censoring the young ‘rebel girl’ to celebrating her striving spirit]. In Traducción, género y censura en la literatura y en los medios de comunicación, edited by María Goretti Zaragoza Ninet, Juan José Martínez Sierra, Beatriz Cerezo Merchán, and Mabel Richart Marset, 73–83. Granada: Comares.Google Scholar, 74), ce qui contraste avec l’attention critique considérable prêtée aux traductions de la pièce et du film.

3.2La traduction de José Luis Alonso de The Diary of Anne Frank de Goodrich et Hackett

Peu de temps après la première à Barcelone de son Diario de Ana Frank (Alonso 1957aAlonso, José Luis 1957aEl diario de Ana Frank [The diary of Anne Frank]. Spain. [Play]Google Scholar), une pièce de théâtre traduite de l’adaptation pour la scène de Goodrich et Hackett, José Luis Alonso publia un article qui soulignait la fidélité comme principe directeur de sa traduction. De façon assez contradictoire, il y admit également une série de changements par rapport à l’adaptation de Goodrich et Hackett. Selon ses dires, les changements impliquaient essentiellement de ne pas laisser Anne parler dans un microphone (Alonso 1957b 1957b “Mi dirección escénica de El diario de Ana Frank ” [My artistic direction of El diario de Ana Frank ]. Primer Acto 1: 9–14.Google Scholar,11) et de laisser de côté une des scènes entre Anne et Peter dans l’acte 1 (9). Alonso justifia sa décision de supprimer les microphones au motif que l’artificialité ne correspondait pas au contexte historique de la pièce. Ce n’est probablement pas exagéré de dire que l’artificialité ne correspondait pas non plus aux valeurs traditionnelles du régime dictatorial de Franco, qui visaient à « récupérer une culture espagnole authentique et à récolter les vrais bénéfices de la modernité » (Crumbaugh 2010Crumbaugh, Justin 2010Destination Dictatorship: The Spectacle of Spain’s Tourist Boom and the Reinvention of Difference. Albany, NY: SUNY Press.Google Scholar, 81). La décision de ne pas inclure la scène dans laquelle Anne fait une blague à Peter en s’habillant avec ses habits est plus significative, en ce qui concerne les principes ayant affecté le processus de traduction. Bien qu’Alonso justifia son choix en soutenant que la répétitivité devait être évitée, il est plus probable que cette scène ait été exclue de la traduction par crainte de transgresser les exigences de la censure en matière de représentation de l’amour adolescent.

Mis à part ces changements, Alonso adhéra avec enthousiasme à la perspective universaliste mise en avant par Goodrich et Hackett. En effet, il fit l’éloge de l’œuvre au motif que “[t]odos nos vemos reflejados en aquella familia que durante dos años estuvo escondida en unas angostas habitaciones, en Amsterdam [sic]” [nous pouvons tous nous identifier à cette famille dont les membres vécurent cachés dans l’annexe secrète à Amsterdam pendant deux ans] (Alonso 1957b 1957b “Mi dirección escénica de El diario de Ana Frank ” [My artistic direction of El diario de Ana Frank ]. Primer Acto 1: 9–14.Google Scholar, 9). Comme l’a souligné Edna Nahshon (2012Nahshon, Edna 2012 “Anne Frank from Page to Stage.” In Kirshenblatt-Gimblett and Shandler 2012b, 59–92.Google Scholar, 76), avec les années, on a reproché à la pièce son universalisme. À l’époque, pourtant, la stratégie s’avéra très efficace, à tel point que « presque trois quarts de million de personnes virent la production originale de Broadway » et que l’adaptation gagna différentes récompenses, dont le Prix Pulitzer de l’œuvre théâtrale (61). Cet universalisme était également vital pour garantir l’approbation du comité de censure, d’abord, et la faveur du grand public, ensuite. Dans la mesure où Anne et le reste des personnages furent présentés « non pas comme des étrangers, mais comme des personnes comme eux (comme le public), jetées dans cette situation horrible » (66), le risque était faible que la pièce engendre du mécontentement animé par des comportements antisémites, ces derniers étant en recrudescence à l’époque franquiste (Palmero Aranda 2016Palmero Aranda, Fernando Antonio 2016El discurso antisemita en España (1936–1948). PhD diss. Universidad Complutense de Madrid., 32), avec des allusions récurrentes au ‘contubernio judeomasónico’ (complot judéo-maçonnique).

À en juger par ses propres mots, Alonso semble avoir été initialement décontenancé par le contexte juif de la pièce : “Hacia la mitad del primer acto nos olvidamos que aquellos seres son judíos. […] Nos da lo mismo las ideas que tengan o a qué raza pertenezcan” [Vers la moitié du premier acte, le public commence à oublier que ces personnes sont juives. […] Nous ne nous soucions pas de leurs idées ou de leur race] (Alonso 1957b 1957b “Mi dirección escénica de El diario de Ana Frank ” [My artistic direction of El diario de Ana Frank ]. Primer Acto 1: 9–14.Google Scholar, 9). Cela pourrait expliquer pourquoi Alonso essaya de minimiser le judaïsme de la pièce en adoptant l’approche universelle d’Hackett et Goodrich. Alonso préféra ignorer les objections qu’il avait lui-même soulevées et soutint que l’expérience des Juifs pouvait refléter la condition humaine en général : “Sus sentimientos, sus alegrías, sus riñas, sus mezquindades, sus grandezas, son comunes a toda la humanidad” [Leurs sentiments, leurs joies, leurs querelles, leur mesquinerie, leur grandeur, sont communs à toute l’humanité] (ibid.). En laissant de côté son positionnement personnel vis-à-vis de la singularité de la souffrance juive, il est difficile de savoir si Alonso a eu recours à l’auto-censure pour s’assurer que la version présentée à l’inspection soit en accord avec les valeurs du régime ou même avec ses propres préjugés. Cela pourrait bien être le cas, car il a admis avoir été accusé d’avoir omis des phrases du texte original (ibid. ; aussi mentionné dans Fernández-Gil 2018Fernández-Gil, María Jesús 2018 “La recepción de Diario de Ana Frank en España: de la censura a la ‘niña rebelde’ al celebrado espíritu luchador de la joven” [The reception of Anne Frank’s diary in Spain: from censoring the young ‘rebel girl’ to celebrating her striving spirit]. In Traducción, género y censura en la literatura y en los medios de comunicación, edited by María Goretti Zaragoza Ninet, Juan José Martínez Sierra, Beatriz Cerezo Merchán, and Mabel Richart Marset, 73–83. Granada: Comares.Google Scholar,75).

Quoi qu’il en soit, la pièce fut un succès auprès du grand public. Au moment où El diario de Ana Frank fut montée à Séville, début 1958, la pièce comptait déjà plus de 1000 représentations (ABC 1958ABC 1958 “Teatro San Fernando” [San Fernando Theatre]. ABC, January 7 1958.Google Scholar, 27). En général, les critiques aussi réagirent positivement, louant le design de la pièce et la capacité des acteurs à donner une puissance émotionnelle aux évènements qui se déroulaient sur scène, surtout Berta Riaza, qui jouait Anne Frank (Marquerie 1957Marquerie, Alfredo 1957 “Las novedades teatrales del domingo de resurrección” [New theatre shows playing on Easter Sunday]. ABC, April 23 1957.Google Scholar, 65 ; Martínez Tomás 1957Martínez Tomás, Antonio 1957 “Comedia. Estreno de la comedia dramática ‘El diario de Ana Frank’, de Frances Goodrich y Albert Hackett” [Drama. Première of El diario de Ana Frank by Frances Goodrich and Albert Hackett]. La Vanguardia Española, February 13 1957.Google Scholar, 21). Néanmoins, il y eut aussi des critiques négatives, comme celle publiée par Mariano Daranas dans ABC. Ce journaliste, qui s’avère avoir été également membre du comité de censure, n’attribua aucun crédit aux aspects formels, se concentrant essentiellement sur le contenu de la pièce, qu’il ne trouvait pas pertinent pour les Espagnols. En exposant ses arguments, il donna libre expression aux croyances traditionnelles sur lesquelles est construite la rhétorique antisémite, qui était diffusée de façon si récurrente dans les médias et les discours politiques durant la période franquiste. Il ne remit pas seulement en question l’authenticité du matériel historique en se référant au journal d’Anne avec dédain comme “cierto cuaderno, al parecer auténtico” [une sorte de journal, qui est dit être authentique], mais, encore plus bouleversant, il se moqua de l’intérêt des Espagnols pour la pièce, qu’il méprise car elle raconte l’histoire de la persécution d’un groupe de Juifs, et les Juifs étaient, selon ses mots, les ennemis de l’Espagne (Daranas 1957, 19).

En résumé, José Luis Alonso exploita davantage la version américaine mythifiée mise en avant par l’adaptation scénique de Goodrich et Hackett, afin de faire correspondre sa traduction avec la doctrine officielle ainsi qu’avec les attitudes dominantes envers les Juifs dans l’Espagne de Franco. Malgré ses efforts pour dissocier la pièce de sa connexion avec les Juifs, certains critiques rejetèrent la pièce sous prétexte qu’elle était trop particulariste, c’est-à-dire, trop juive.

3.3Le doublage espagnol du The Diary of Anne Frank de Stevens

Contrairement aux deux autres traductions analysées jusqu’ici, les démarches pour doubler en espagnol l’adaptation hollywoodienne de George Stevens de 1959Stevens, George 1959The Diary of a Young Girl. Twentieth Century Fox. [Film]Google Scholar furent entreprises peu de temps après la publication du texte original (Fernández-Gil 2018Fernández-Gil, María Jesús 2018 “La recepción de Diario de Ana Frank en España: de la censura a la ‘niña rebelde’ al celebrado espíritu luchador de la joven” [The reception of Anne Frank’s diary in Spain: from censoring the young ‘rebel girl’ to celebrating her striving spirit]. In Traducción, género y censura en la literatura y en los medios de comunicación, edited by María Goretti Zaragoza Ninet, Juan José Martínez Sierra, Beatriz Cerezo Merchán, and Mabel Richart Marset, 73–83. Granada: Comares.Google Scholar, 73). En effet, El diario de Ana Frank (1959) fut diffusé dans les huit mois suivant la sortie du film aux États-Unis. Ceci montre bien que, à la fin des années 50, Anne Frank était déjà un personnage largement connu et que l’Espagne était en train de s’ouvrir davantage aux courants du monde. À cet égard, il faut d’ailleurs noter que « la collaboration entre Hollywood et l’Espagne, rapportant des millions de dollars à l’Espagne, une publicité massive et un cachet de respectabilité retrouvée » émergea en 1959, à la suite de l’arrivée à Madrid du nouveau réalisateur américain Samuel Bronston (Schlegel 2015Schlegel, Nicholas G. 2015Sex, Sadism, Spain, and Cinema: The Spanish Horror Film. Lanham, MD: Rowman & Littlefield.Google Scholar, 13). La dépendance croissante à l’égard des matériaux étrangers n’impliqua pourtant pas l’acceptation immédiate des pratiques industrielles, artistiques et politiques du code de production Hollywoodien – comme on a pu le voir suite à la réception de The Diary of Anne Frank de Stevens. Le caractère approprié de cette adaptation, qui en temps voulu devint l’un des films éducatifs les plus utilisés à propos de l’Holocauste, fut mis en doute par les membres du comité de censure. En particulier, ils lui reprochèrent l’utilisation de symboles de la Seconde Guerre Mondiale, ainsi que certains aspects de son approche (Fernández-Gil 2018Fernández-Gil, María Jesús 2018 “La recepción de Diario de Ana Frank en España: de la censura a la ‘niña rebelde’ al celebrado espíritu luchador de la joven” [The reception of Anne Frank’s diary in Spain: from censoring the young ‘rebel girl’ to celebrating her striving spirit]. In Traducción, género y censura en la literatura y en los medios de comunicación, edited by María Goretti Zaragoza Ninet, Juan José Martínez Sierra, Beatriz Cerezo Merchán, and Mabel Richart Marset, 73–83. Granada: Comares.Google Scholar, 75).

Suivant la procédure habituelle à l’époque, José D’Ors Vera, le réalisateur d’Hispano Foxfilm, demanda la permission de doubler le film. Dans leur verdict quant au caractère approprié de l’œuvre, les censeurs indiquèrent que l’autorisation était subordonnée à deux conditions : premièrement, le retrait des images avec la croix gammée nazie ainsi que le symbole communiste du marteau et de la faucille et, deuxièmement, l’interdiction pour les enfants de moins de 16 ans de voir le film. Même si les pratiques de censure dans les années entre 1950 et 1963 étaient devenues « moins politiques dans le sens strict du terme », « le communisme et le libéralisme restaient des préoccupations importantes » (Vandaele 2010Vandaele, Jeroen 2010 “It Was What It Wasn’t. Translation and Francoism.” In Translation under Fascism, edited by Christopher Rundle and Kate Sturge, 84–116. New York: Palgrave Macmillan. DOI logoGoogle Scholar, 87). Les objections soulevées par les censeurs concernant l’approche de The Diary of Anne Frank montrent bien cela (cf. File 19492, Box 36/03723, IDD (03)121.002). Seulement deux des cinq rapports contenus dans ce dossier de censure, dont le contenu est décrit dans l’étude préliminaire susmentionnée sur la réception du film en Espagne (Fernández-Gil 2018Fernández-Gil, María Jesús 2018 “La recepción de Diario de Ana Frank en España: de la censura a la ‘niña rebelde’ al celebrado espíritu luchador de la joven” [The reception of Anne Frank’s diary in Spain: from censoring the young ‘rebel girl’ to celebrating her striving spirit]. In Traducción, género y censura en la literatura y en los medios de comunicación, edited by María Goretti Zaragoza Ninet, Juan José Martínez Sierra, Beatriz Cerezo Merchán, and Mabel Richart Marset, 73–83. Granada: Comares.Google Scholar, 75), seront reproduits ici, pour des raisons de place. Ils se lisent comme suit :

(1)

Ni por su tema ni por la meticulosidad con la que son tratadas todas las pasiones (codicia, [ilegible]) no es admisible para niños.

[Ni son thème, ni sa description détaillée de toutes les passions (la luxure, [illisible]) ne rendent ce film approprié pour les enfants.]

(2)

La falta de respeto hacia unos padres en lo que refiere a Ana Frank, principalmente a su madre, a la que trata con frases que la torturan, la presentación de los judíos como [ilegible] en todos aspectos, el deseo de cambio de vida de la misma Ana, un afán de amor que le hace [ensimismarse] con un amigo, Peter […]. No es admisible para todos los públicos.

[Le manque de respect d’Anne envers ses parents, particulièrement envers sa mère, qu’elle critique fortement, la représentation des Juifs comme [illisible] à tous égards, le désir désespéré d’Anne de changer de vie, son intérêt pour l’amour, qui fait qu’elle tombe amoureuse d’un ami, Peter […]. Tous ces facteurs rendent ce film inapproprié pour les enfants.]

Bien que la qualité des rapports nous empêche d’obtenir un aperçu complet de l’avis des censeurs sur le portrait qu’a fait Stevens d’Anne et des autres personnages juifs, il semble évident que la caractérisation fut jugée problématique à cause d’un manque de sévérité catholique dans la présentation de certaines normes morales liées au désir, au respect des aînés, et aux objectifs de vie et aspirations. En d’autres termes, l’appréciation du film par les censeurs était conforme au triumvirat qui participa à réduire la liberté d’expression dans le régime de Franco : la coalition des croyances politiques, des opinions religieuses et des mœurs sexuelles. Plus particulièrement, les censeurs n’apprécièrent pas l’accent mis par Stevens sur l’insouciance et le côté petite fille d’Anne, ni l’approche de la judéité dans le film. Il est très ironique que le film, dont certains critiques comme Leshu Torchin (2012Torchin, Leshu 2012 “Anne Frank’s Moving Images.” In Kirshenblatt-Gimblett and Shandler 2012b, 93–134.Google Scholar, 103) considèrent qu’il est allé plus loin dans la diminution de la ‘spécificité juive’ en recourant à une structure qui « impose à la vie d’Anne une trajectoire chrétienne de martyre », fut évalué négativement par les censeurs de Franco à cause de son traitement de la religion et de la sexualité. C’est encore plus ironique, comme l’a affirmé Fernández-Gil (2018Fernández-Gil, María Jesús 2018 “La recepción de Diario de Ana Frank en España: de la censura a la ‘niña rebelde’ al celebrado espíritu luchador de la joven” [The reception of Anne Frank’s diary in Spain: from censoring the young ‘rebel girl’ to celebrating her striving spirit]. In Traducción, género y censura en la literatura y en los medios de comunicación, edited by María Goretti Zaragoza Ninet, Juan José Martínez Sierra, Beatriz Cerezo Merchán, and Mabel Richart Marset, 73–83. Granada: Comares.Google Scholar, 76), si l’on prend en considération le fait que le film avait touché une corde sensible dans les milieux catholiques de par son effort de présenter une relation chaleureuse entre Juifs et chrétiens (Mazur 2011Mazur, Eric Michael 2011 “The Holocaust.” In Encyclopedia of Religion and Film, edited by Michael Eric Mazur, 225–231. Santa Barbara, CA: ABC-CLIO.Google Scholar, 229) et avait gagné le grand prix de l’Agence du Film International Catholique (Merti 1998Merti, Betty 1998The World of Anne Frank: A Complete Resource Guide. Portland, ME: Weston Walch.Google Scholar, 42).

Les contradictions décrites ci-dessus illustrent le caractère arbitraire du contrôle de l’expression artistique tel qu’il était exercé durant la période franquiste (Abellán 1980Abellán, Manuel L. 1980Censura y creación literaria en España (1939–1976) [Censorship and literary creation in Spain (1939–1976)]. Barcelona: Ediciones Península.Google Scholar, 87). Ne prenant pas en compte le côté arbitraire, José D’Ors Vera voulait que le film soit diffusé le plus largement possible, si bien qu’il contesta la décision du comité en demandant la suppression de l’interdiction aux enfants (Fernández-Gil 2018Fernández-Gil, María Jesús 2018 “La recepción de Diario de Ana Frank en España: de la censura a la ‘niña rebelde’ al celebrado espíritu luchador de la joven” [The reception of Anne Frank’s diary in Spain: from censoring the young ‘rebel girl’ to celebrating her striving spirit]. In Traducción, género y censura en la literatura y en los medios de comunicación, edited by María Goretti Zaragoza Ninet, Juan José Martínez Sierra, Beatriz Cerezo Merchán, and Mabel Richart Marset, 73–83. Granada: Comares.Google Scholar, 76). Sa demande fut finalement approuvée et la première du film eut lieu à Madrid le 6 novembre 1959 avec des coupes mineures (cf. File 19590, Box 36/03726, IDD (03)121.002 à l’AGA), bien qu’il soit probable que des changements de sens presque intraçables aient été apportés aux dialogues par le biais du doublage afin d’éviter que le film n’attire l’attention des censeurs. Par exemple, la version doublée en espagnole présente Peter comme un personnage ayant une morale sans équivoque. Dans la scène originelle du baiser, quand Anne lui demande si « une fille ne devrait embrasser personne, sauf si elle est fiancée », il répond de manière ambigüe : « Pour certaines, peu importe ce qu’elles font, c’est mal. Mais d’autres … ce ne serait pas forcément mal pour elles » (Stevens 1959Stevens, George 1959The Diary of a Young Girl. Twentieth Century Fox. [Film]Google Scholar, 02:11:27). La réponse de Peter en espagnol, en revanche, introduit deux modèles clairs de la vertu des femmes : “Con algunas, hagan lo que hagan, siempre está todo mal. Pero otras, bueno, hagan lo que hagan, está bien” [Avec certaines, quoi qu’elles fassent, tout est toujours mal. Mais d’autres, quoi qu’elles fassent, tout est convenable] (Stevens 1959Stevens, George 1959The Diary of a Young Girl. Twentieth Century Fox. [Film]Google Scholar, 02:11:27).

En ce qui concerne la réception, le film fut montré dans les salles de cinéma les plus importantes du pays. En général, les spectateurs apprécièrent l’efficacité du travail de caméra du réalisateur, qui réussit à transmettre l’horreur du confinement, ainsi que les performances mémorables des acteurs, en particulier celle de Millie Perkins, qui joue le rôle d’Anne Frank, et celles de Shelly Winters et de Joseph Schildkraut, dans leurs rôles respectifs de Mme Van Daan et Otto Frank (Martínez Tomás 1959 1959 “Cinematografía. Fémina. ‘El diario de Ana Frank’” [Cinema. Women. El diario de Ana Frank ]. La Vanguardia Española. November 14 1959.Google Scholar, 33).

4.Conclusion

À la lumière de la réception des trois traductions étudiées ici, il est possible d’affirmer que les traductions espagnoles du journal d’Anne Frank contestèrent et exploitèrent la mythification américaine de Het Achterhuis à parts égales. Le régime opta pour une option ou l’autre selon que l’image qui était faite de l’autrice et, surtout, de son interprétation de la persécution juive aux mains des Nazis contribuait à attaquer ou à renforcer les valeurs fondamentales de la dictature de Franco. En règle générale, les premières traductions espagnoles furent manipulées de telle sorte qu’elles se détournaient des idéaux de tolérance et de bonté, très éloignés de la domination totalitaire exercée par le régime. Au contraire, d’autres interventions mirent en évidence les sous-entendus universels introduits par les adaptations par la culture populaire des États-Unis, puisque cette approche contribua à minimiser les conflits possibles avec les comportements antisémites profondément ancrés dans les esprits de la société catholique espagnole à cette époque.

Plus particulièrement, l’inquiétude des censeurs à propos de la traduction du livre en 1955 surgit principalement à l’égard de la représentation du sexe et de l’amour adolescent. En plus des suppressions imposées par les censeurs, la maison d’édition utilisa un subterfuge pour induire les lecteurs en erreur à propos du contenu et du genre du journal et de l’âge de l’autrice, ainsi que pour séparer l’image d’Anne Frank de tout idéal explicite des droits de l’Homme. Dans le cas des traductions des adaptations par Broadway et Hollywood, les glissements de signification furent provoqués de manière quelque peu différente. Les questions de morale et de dogme, qui étaient l’une des inquiétudes principales du système de censure dans l’environnement ultra-catholique des années 50, furent contrôlées rigoureusement afin d’éviter les ciseaux des censeurs. Cependant, le principe fondamental guidant la traduction de la pièce et le doublage du film était de mettre l’accent sur la construction mythifiée d’Anne Frank, et donc de s’aligner avec la perspective ‘universelle’. À cet égard, l’approche des deux adaptations fut respectée et exploitée, car il était attendu que des valeurs ostensiblement universelles réussiraient à attirer, tout comme aux États-Unis, un public immense et donc à assurer un revenu économique.

En bref, l’analyse a révélé que, alors que les traductions espagnoles du célèbre journal d’Anne dans les années 50 étaient fondées sur une perspective symbolique universaliste, les références politiques ainsi que l’accent mis sur l’amour romantique et les expériences typiques de l’adolescence furent considérées comme inappropriées, puisqu’elles étaient en contradiction avec la place subordonnée que Franco accordait aux enfants et aux femmes dans la société traditionnelle qu’il défendait. Par conséquent, il peut donc en être conclu que la réception de Het Achterhuis en Espagne dans les années 50 fut affectée par le fait que son autrice était une adolescente, une Juive, et une femme. Finalement, nous espérons avoir contribué à la compréhension des dynamiques de la circulation internationale du témoignage d’Anne Frank et avoir clarifié la manière dont la traduction était pratiquée dans l’Espagne de Franco.

Financement

Cette recherche a été en partie financée par le projet de recherche subventionné par l’Espagne ACIS&GALATEA (Ref. S2015/HUM-3362).

Notes des traductrices

aToutes les citations en anglais dans le texte original ont été traduites en français par les traductrices de cet article.
bLes traductrices sont conscientes du fait que le verbe « médier » et ses formes associées (« médié, » « médiée ») sont des néologismes. Cependant, ils ont déjà été utilisés dans d’autres articles académiques pour traduire le verbe « to mediate » et ses formes associées (« mediated »). Ce choix nous permet d’éviter l’ambiguïté du verbe « médiatiser », aujourd’hui plutôt utilisé dans le sens de « diffuser, faire connaître par les médias ».

Remarques

1.Des recherches Internet ciblées de manière sélective afin de retrouver la première traduction en espagnol de Het Achterhuis indiquent l’existence potentielle d’une traduction antérieure publiée par Condor à Montevideo (Uruguay) en 1951. Ces détails de publication viennent d’une librairie en ligne spécialisée dans les livres anciens et appelée ‘Librería de Lance La Dulcinea’, qui vend une “atractiva edición en español (con toda probabilidad una de las primeras)” [édition en espagnol intéressante qui semblerait être l’une des premières éditions en espagnol] (https://​www​.iberlibro​.com​/buscar​-libro​/titulo​/el​-diario​-de​-ana​-frank/). Cependant, nos recherches dans les catalogues des bibliothèques nationales en ligne les plus importantes d’Amérique latine (Biblioteca Nacional de Uruguay, Biblioteca Nacional de la República de Argentina, Biblioteca Nacional de Perú and Biblioteca Nacional de Chile) et sur WorldCat​.org n’ont rapporté aucun un document qui confirmerait cette information. Toutes les descriptions des catalogues soulignent le fait que la traduction argentine de 1952 d’Editorial Hemisferio est la première traduction en espagnol.
2.Soit dit en passant, ce passage fait partie des confessions d’Anne que la censure espagnole trouvait inacceptable.
3.La raison pour laquelle les détails de la première traduction en catalan, qui fut également publiée dans les années 50, ne sont pas étudiés dans cet article est que le but principal de cette étude est de comparer la perspective optimiste construite autour ce témoignage de l’Holocauste par la culture américaine d’après-guerre et la signification attachée à l’œuvre en Espagne par le régime catholique de Franco. L’étude d’une traduction en catalan nécessiterait de prendre en compte la spécificité de l’héritage historique, culturel et linguistique de la Catalogne. Une tâche de cette ampleur serait impossible au vu de la longueur limitée de cet article.

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Appendix

Chronologie des traductions et adaptations de Het Achterhuis d’Anne Frank mentionnées tout au long de cet article

Date Traducteur/ adaptateur Titre* Langue Pays Genre
1952 Mooyaart- Doubleday The Diary of a Young Girl anglais États-Unis journal
1952 Blaya Lozano Diario de Ana Frank: cartas a mi muñeca espagnol Argentine journal
1955 [Pub. 1956] Iglesias Barba Las habitaciones de atrás espagnol Espagne journal
1955 Goodrich and Hackett The Diary of Anne Frank anglais États-Unis pièce de théâtre
1957 Alonso El diario de Ana Frank espagnol Espagne pièce de théâtre
1959Stevens, George 1959The Diary of a Young Girl. Twentieth Century Fox. [Film]Google Scholar Stevens The diary of Anne Frank anglais États-Unis film
1959Stevens, George 1959The Diary of a Young Girl. Twentieth Century Fox. [Film]Google Scholar Stevens El diario de Ana Frank espagnol Espagne film
1959 Folch i Camarasa Diari catalan Espagne journal
1973 [1971]Cervelló, Jordi (1971) 1973Anna Frank, un simbol [Música notada]: para orquesta de cuerda [Anna Frank, a symbol (annotated music): Cord orchestra]. Madrid: Editorial de Música Española Contemporánea. [Music]Google Scholar Cervelló Ana Frank, un símbol S.O. Espagne musique
1989 Pomerans et Mooyaart- Doubleday The Diary of Anne Frank: The Critical Edition anglais États-Unis journal
1994 Puls Diario espagnol Espagne journal
2004 Ruibal Outes Diario de Ana Frank galicien Espagne journal
2005 Zabaleta Kortabarria Anne Franken Egunkaria basque Espagne journal
2008 Alvero Diario de Ana Frank. Un canto a la vida espagnol Espagne comédie musicale
2009 Bataller and García El Diario de Ana Frank espagnol Espagne pièce de théâtre
2014Juncal, María 2014El encierro [The Imprisonment]. María Juncal Producciones. [Flamenco]Google Scholar Juncal El Diario de Ana Frank S.O. Espagne Flamenco
*L’écriture en gras est utilisée pour mettre en évidence le titre des sources et des traductions prises en considération dans cet article.

Adresse de correspondance

María Jesús Fernández-Gil

Universidad de Alcalá

Pza. San Diego

28801 Alcalá De Henares Madrid

Spain

[email protected]