TraductionSous-titrer 8 Mile en trois langues : Les problèmes de traduction et la licence du traducteur
Abstract
Quand on cherche à assurer la qualité du sous-titrage, il ne suffit pas d’être attentif aux compétences des traducteurs embauchés, mais également de veiller à la qualification professionnelle des responsables locaux du sous-titrage. L’article est basé sur une analyse stylistique comparée de trois versions sous-titrées (en finnois, en français et en russe) du film 8 Mile (UIP, 2002), qui raconte les débuts du rappeur Eminem. Les passages rap du film posent plusieurs ‘problèmes de traduction liés au type de texte’ (Nord) qui deviennent encore plus complexes dans le contexte du sous-titrage, à cause des limites d’espace et de temps. Le projet de sous-titrage et de doublage de 8 Mile a été géré avec un soin particulier, à l’échelle mondiale. Les traducteurs ont su bénéficier du concours de l’UIP (par exemple, ils ont reçu une ‘liste de dialogues de post-production’ bien détaillée), mais, en retour, l’UIP leur a imposé des contraintes très strictes. Selon l’auteur, la rigueur extrême exercée par des bureaux locaux de l’UIP a pu nuire à la qualité du sous-titrage dans certains pays.
Mots-clés:
1.Introduction
1.1UIP et le contrôle de qualité
Dans le monde entier, le sous-titrage et doublage de 8 Mile, un film qui relate les premiers succès d’Eminem en tant que rappeur, a été une procédure particulièrement bien encadrée (United International Picture [UIP] 2002, metteur en scène : Curtis Hanson, avec la participation d’Eminem, Kim Basinger, Brittany Murphy et Mekhi Phifer). Selon Jody Toll, une coordinatrice expérimentée dans le domaine de la traduction pour l’écran qui a travaillé pour UIP sur ce projet, c’était la traduction la plus minutieusement préparée qu’elle ait vue de toute sa carrière (Jody Toll, communication par e-mail, 20/08/2013). Toll a supervisé toutes les traductions des parties du film contenant du rap, à travers le monde entier. Dans cet article, je discuterai les sous-titres en français, finnois et russe des parties du film contenant du rap. En Finlande, le film a été sous-titré par le rappeur bien connu MC11.MC est l’abréviation de « Master of Ceremonies » [Maitre de Cérémonie], et dans le contexte du rap et de la culture hip-hop, le terme désigne un rappeur. Paleface, soit Karri Miettinen, dont le mentor était un sous-titreur expérimenté dans le domaine du film et de la télévision, Janne Staffans. Paleface avait plus de place pour ses sous-titres que les sous-titreurs finnois n’en ont d’habitude, parce que ce film n’était pas simultanément sous-titré en suédois.22.Dans le cinéma finlandais, le sous-titrage est souvent bilingue, à la fois en finnois et suédois. Le sous-titreur français du film, Marc Girard-Ygor, est un traducteur professionnel pour l’écran, qui à la fois double et sous-titre l’anglais et l’espagnol. En Russie, la version officielle de 8 Mile a été sous-titrée par Dimitri Usachov, qui est actif professionnellement en tant que traducteur, auteur et directeur de doublage de films depuis 1988. Usachov a proposé une traduction libre et en rimes des parties de rap (voir Annexes 1 et 2). Cependant, la traduction n’a pas été acceptée par UIT, et un autre traducteur – malgré mes nombreuses questions, UIP ne révèlera pas son identité – a sous-titré les raps.33.Voici un commentaire d’Usachov à propos du changement de traducteur : « J’ai traduit en russe les dialogues et le rap, en utilisant le script et la bande-son. Comme je l’ai mentionné précédemment, je suis assez fier de mes vers de rap, cependant, pour d’obscures raisons, le bureau occidental a choisi d’utiliser comme sous-titres une traduction plus faible, mot à mot, réalisée par un type aux USA. Je n’ai pas vu la version finale russe du film, la dernière affirmation est donc basée sur des rumeurs » (Dimitri Usachov, communication par e-mail, 29/04/2005).
Comme moyen de supervision et de ‘contrôle de qualité’ (voir ci-dessous), UIP a fourni aux traducteurs une ‘liste de dialogues’ utile et détaillée (214 pages) et un dépliant intitulé 8 Mile Lyric Translation Guidelines [Instructions pour la traduction des paroles de 8 Mile] (39 pages) qui contenait des explications, des instructions (des conseils généraux, des recommandations pour garder certaines expressions en anglais, etc.) et des « paroles alternatives », c’est-à-dire des traductions intralinguales, de paroles de rap. Díaz-Cintas (2001Díaz-Cintas, Jorge 2001 “Striving for quality in subtitling: The role of a good dialogue list”. Gambier and Gottlieb 2001 . 199–211., 200), qui a souligné l’importance d’une bonne liste de dialogues, nécessaire pour un sous-titrage de qualité, définit une ‘liste de dialogues’ comme suit:
Une liste de dialogues (à ne pas confondre avec le script) est la compilation de dialogues qui apparaissent dans le film, et qui, selon Minchinton…, est « le texte essentiel » pour le sous-titreur, bien que son usage soit malheureusement rare dans le milieu professionnel… Une telle liste est généralement fournie par le distributeur de films ou le producteur et offre dans son format idéal, en plus de tous les dialogues, des informations métatextuelles à propos des connotations socio-culturelles implicites, explique des jeux de mots et possibles calembours, explique la signification d’expressions et dialectismes, élucide l’origine et l’usage en contexte de certains termes qui pourraient paraitre obscurs à première vue, donne l’orthographe correcte de tous les noms propres, conseille sur la pertinence de l’usage d’une police de caractères pour certains mots dans la version sous-titrée, clarifie les illusions implicites ainsi qu’explicites à certaines réalités géographiques, etc.
La liste de dialogues de 8 Mile est très proche de cet idéal, même si elle ne correspond pas à 100% à la bande son, du moins dans la partie (bobine 6 AB) qui constitue mon corpus.
De plus, les sous-titres dans toutes les langues ont été retraduits vers l’anglais par les traducteurs eux-mêmes ou par d’autres membres de l’équipe d’UIP et renvoyés afin que leur acceptabilité soit vérifiée. Dans les cas où l’entière traduction ne rencontrait pas les critères d’UIP, la tâche était donnée à un autre traducteur. Le sous-titreur russe mentionné ci-dessus en est un exemple. Certains changements eurent aussi lieu du côté français ; la mission a été confiée à Marc Girard-Ygor après qu’UIP ait refusé une précédente version sans rimes et « catastrophique » commandée par Universal Music (Marc Girard-Ygor, communication par e-mail, 24/10/2014). Il est difficile de dire dans quelle mesure les décisions concernant les traductions étaient prises par l’agence centrale d’UIP et dans quelle mesure elles étaient locales. Il semble y avoir eu des variations d’un pays à un autre. Comme le dit Toll (communication par e-mail, 20/08/2003) : « le procédé que nous avons utilisé pour 8 Mile a été très fructueux, chaque langue évoluant différemment selon la combinaison du traducteur local, du bureau local d’UIP et de l’expert en rap auxquels nous avons fait appel pour le film ». La traduction en finnois des parties de rap était assez libre, comme l’avait décidé le bureau finnois d’UIP (Ulla Leisio, conversation téléphonique, 20/09/2004). Bien que Paleface ait changé de nombreuses références culturelles dans le texte source, il n’a été forcé de modifier que peu de passages de sa traduction (Janne Staffans, interview, 30/04/2005).
1.2Le film
Les événements de 8 Mile se déroulent à Detroit en 1995. Marshall Mathers, mieux connu sous le nom d’Eminem, joue son propre rôle dans le film, modestement renommé Jimmy Smith. Jimmy commence dans la vie comme un raté, venant d’un milieu pauvre et ayant un futur peu prometteur : une enfance passée dans un parc de caravanes, un père biologique absent, une mère alcoolique, la mauvaise couleur de peau pour un rappeur. Au cours du film, cependant, Jimmy, l’ouvrier métallurgiste, réussit à canaliser ses talents et frustrations et débute une carrière artistique prometteuse. Il improvise du rap dès qu’il le peut, écrit même des paroles sur ses mains, et passe chaque minute de temps libre à « essayer de comprendre comment, et quand, les mots s’assemblent le mieux » (Frere-Jones 2004Frere-Jones, Sasha 2004 “Eminem’s growing pains”. The New Yorker, December 6, 2004. 119–121., 120). Le film commence avec une scène dans laquelle Jimmy ‘chokes’ [suffoque, ici à cause du stress],1111.Les traductions de termes et expressions, ainsi que les notes explicatives ajoutées par la traductrice seront toujours notées entre crochets dans le reste de cet article ; les équivalents fonctionnels seront généralement préférés aux traductions littérales. c’est-à-dire perd confiance et est incapable de prononcer un mot dans une ‘battle’, c’est-à-dire un concours de rap en freestyle. Il se termine avec une battle similaire, au même endroit (un club de hip-hop appelé ‘The Shelter’ [Le Refuge]), mais cette fois-ci, Jimmy surmonte sa peur de la scène et bat ses adversaires LC Lyckety-Splyt, Lotto et Papa Doc, qui sont les membres d’un gang noir appelé « The Leadaz of Tha Free World » [Les Leaders du Monde Libre], avec une maitrise de la langue qui rappelle légèrement Cyrano de Bergerac. Lors du dernier round contre Papa Doc, le premier rappeur auquel Jimmy doit se mesurer, il anticipe tout ce que Papa Doc va dire à propos de lui et fait perdre la face à son adversaire en révélant le milieu bourgeois duquel Papa Doc est originaire, totalement inapproprié pour un MC. Comme Adam Krims (2000Krims Adam 2000 Rap music and the poetics of identity. Cambridge/New York etc.: Cambridge University Press., 95) le signale, le personnage de MC en rap est supposé être « une voix venant des ‘rues’, parlant d’une expérience authentique ». Murray Forman (2002Forman, Murray 2002 The ’hood comes first: Race, space, and place in Rap and Hip-Hop. Mid-dletown, Conneticut: Wesleyan University Press., 62) parle de « ghetto chic » grâce auquel les rappeurs noirs cherchent à établir leur crédibilité. Dans cette battle contre Papa Doc, Jimmy inverse les rôles stéréotypés que les Leadaz of Tha Free World avaient essayé d’imposer à l’audience principalement noire assistant à la battle. Ils avaient traité Jimmy comme un Autre, un « hillbilly » [péquenaud] blanc n’ayant aucune crédibilité en matière de rap, tandis qu’eux, en tant que noirs, avaient un accès naturel à l’héritage du Signifyin(g) (Gates 1988Gates, Henry Louis Jr. 1988 The signifying monkey: A theory of African-American literary criti¬cism. New York: Oxford University Press.).44.Bien que le livre derridien de Gates évite toute définition claire de concepts, ‘Signifyin(g)’ pourrait être défini comme suit : « ‘Signifyin(g)’ constitue tous les jeux de langage, les substitutions figuratives, les associations libres tenues en suspens par l’axe paradigmatique de Lacan ou Saussure, qui troublent la linéarité, cohérente en apparences, de la chaine syntagmatique de signifiants, d’une façon analogue à la notion de Freud à propos de la relation entre l’inconscient et le conscient. Le trope noir vernaculaire de ‘Signifyin(g)’ existe sur cet axe vertical, dans lequel la matérialité du signifiant (l’usage de mots comme des choses, selon les termes du discours de l’inconscient de Freud) non seulement cesse d’être dissimulée, mais devient le mode de discours dominant, mis en évidence » (Gates 1988Gates, Henry Louis Jr. 1988 The signifying monkey: A theory of African-American literary criti¬cism. New York: Oxford University Press., 58). Il convient de noter que selon Gates, le ‘Signifyin(g)’ « n’est en aucun cas le domaine exclusif des personnes noires » (90). Cependant, lorsque Jimmy révèle dans son rap que papa Doc est en réalité Clarence, fils d’une famille aisée, il diminue en même temps le statut des autres Leadaz. Pendant ce temps, Jimmy, qui admet être un sale blanc et avoir grandi dans un parc de caravanes, a gagné le titre de rappeur authentique. Jimmy est « pour de vrai » parce qu’il peut parler de sa propre expérience. Forman (2002Forman, Murray 2002 The ’hood comes first: Race, space, and place in Rap and Hip-Hop. Mid-dletown, Conneticut: Wesleyan University Press., 61–62) observe que les rappeurs blancs comme Eminem recherchent souvent leur légitimité grâce à l’ « image du parc de caravanes chic ». Au moment où Papa Doc perd les pédales, Jimmy devient le nouveau champion.
1.3Doublage + sous-titrage
Probablement grâce au prestige d’Eminem connu comme « l’artiste le plus important du monde anglophone » pour les gens de moins de 30 ans (Frere-Jones 2004Frere-Jones, Sasha 2004 “Eminem’s growing pains”. The New Yorker, December 6, 2004. 119–121., 119), UIP a exigé que les passages de rap du film soient sous-titrés, même dans les pays où le doublage est la tradition. La bande-son des passages de rap devait rester en anglais, même si le reste du film était doublé. En effet, dans certaines scènes des versions française et russe du film, Eminem et certains autres personnages passent du français ou russe à l’anglais, puis repassent au français ou russe, comme dans l’exemple 1, tirés de la bande-son française de 8 Mile. Le dialogue entre Jimmy et ses amis est tiré de la fin du film, juste avant la battle victorieuse de Jimmy. Jimmy a été tabassé par les Leadaz parce qu’il avait cassé le nez de Wink, un membre des Leadaz que Jimmy avait découvert faisant l’amour à sa petite amie. Les indications scéniques viennent de la liste de dialogues de 8 Mile.1212.Les indications scéniques ont été traduites en français par la traductrice. Toutes les retraductions du finnois et français vers l’anglais réalisées par l’auteur et les retraductions d’Andrey Shilov du russe vers l’anglais ont été supprimées ou remplacées par leur traduction en français.
Jimmy au groupe: Je les emmerde. J’fais la bataille.
Dj Iz à Jimmy: Sérieux?
Jimmy à Dj Iz: Ouais.
(Les types restent incrédules. Jimmy se dirige vers la porte des coulisses.)
Jimmy au groupe: Bon ben alors, vous venez ou quoi?
(Ils suivent Jimmy à l’intérieur)
Le rap de Jimmy est sous-titré en Français:
Cheddar, je te d’chire en lambeaux /
Cheddar Cheese / Je suis le meilleur MC / B Rabbit / Pique comme l’abeille / Flotte comme le papillon / Aïe, j’entaille un lascar / Est-ce que je bé-bégaye, tocard? (8 Mile liste de dialogues, bobine 5AB, pp. 20–23)
Ce conflit entre les langues et les modes de traduction, ainsi que le manque de vraisemblance fait soudain ressortir la « voix du traducteur » (Folkart 1991Folkart, Barbara 1991 Le conflit des énonciations: Traduction et discours rapporté. Montréal: Les Éditions Balzac. ; Hermans 1996Hermans, Theo 1996 “The translator’s voice in translated narrative”. Target 8:1. 23–48.), qui reste habituellement plus ou moins cachée, métaphoriquement parlant, dans les films doublés. Ici, on peut incontestablement parler d’une multiplicité de voix : dans cette scène, on constate une alternance entre la voix des doubleurs français et celles des acteurs américains. Mais une autre paire de voix essentiellement différentes alternent ici : la traductrice de la version doublée, Linda Bruno, et le sous-titreur, Marc Girard-Ygor.
2.La battle des traducteurs
2.1Définir les problèmes de traduction et le contrôle de qualité
Parce que les participants des battles de rap de 8 Mile font de leur mieux pour se surpasser l’un l’autre grâce à leurs acrobaties verbales, ils présentent inévitablement des ‘problèmes de traduction’ pour le sous-titreur. Comme Gideon Toury (2002 2002 “What’s the problem with ‘Translation Problem’?” Barbara Lewandowska-Tomaszczyk and Marcel Thelen, eds. Translation and meaning Part 6: Proceedings of the Łódź Session of the 3rd International Maastricht- Łódź Duo Colloquium on “Translation and Meaning”, Held in Łódź, Poland, 22–24 September 2000. Maastricht: Maastricht School of Translation and Interpreting 2002 57–71.) le fait remarquer, les ‘problèmes de traduction’ sont un concept clé en traductologie, mais ce qui a souvent été négligé est sa contrepartie logique, la solution. Selon Toury (op. cit.), il y a trois sortes de problèmes de traduction. Un ‘problème1’ est un concept utopique et concerne la traduisibilité en général, sa contrepartie, la ‘solution1’, n’existant pas réellement. Les ‘problèmes2’ et ‘3’ sont concrets, et la différence entre eux reste légèrement confuse. Le problème2 de la source du texte peut être distingué rétrospectivement via la cible avec l’aide d’une solution réalisée (voir aussi Toury 1995Toury, Gideon 1995 Descriptive Translation Studies and beyond. Amsterdam/Philadelphia: John Benjamins., 77–81). Le problème3 est un concept dynamique et il peut y avoir plusieurs solutions3. Le problème3 se révèle au chercheur dans d’autres données que juste les textes sources et cibles (notes, manuscrits, etc.). Il est clair que la perspective principale à partir de laquelle j’aborde les problèmes de traduction dans cette étude est celle du problème3.
Selon l’approche plus traditionnelle de Christiane Nord (1991Nord, Christiane 1991 Text analysis in translation: Theory, methodology, and didactic applica¬tion of a model for translation-oriented text analysis. Amsterdam/Atlanta: Rodopi., 51), les problèmes de traduction sont liés à certaines tâches de traduction. Ces problèmes se posent sans tenir compte de la compétence du traducteur ou des conditions techniques de travail. Nord (158–160) distingue de manière assez confuse les problèmes de traduction liés à la pragmatique, la culture, la linguistique, et au texte lui-même. En sous-titrant, apparaissent inévitablement des problèmes liés à la pragmatique, tels que les ‘contraintes du temps et de l’espace’, puisqu’il y a plus d’informations dans un film que ce que peuvent transmettre des sous-titres, qui sont un mode d’écriture assez télégraphique.55.Selon Gottlieb (1997/2004Gottlieb, Henrik 1997/2004 “‘You got the picture?’: On the polysemiotics of subtitling word¬play”. Gottlieb 2000/2004 53–85., 58), on ne peut lire plus de dix caractères par seconde, environ, et un bloc de sous-titres (sur deux lignes) ne peut contenir plus de 70 caractères environ. Le nombre de caractères par ligne peut monter jusqu’à 33, 40 dans certains cas (Mason 1989Mason, Ian 1989 “Speaker meaning and reader meaning: Preserving coherence in screen trans¬lating”. Rainer Kölmel and Jerry Payne, eds. Babel: The cultural and linguistic barriers be¬tween nations. Glasgow, Aberdeen: Aberdeen University Press 1989 13–24., 14). Le glissement de mode entre la parole de la bande-son vers l’écrit force inévitablement le sous-titreur à tronquer le texte (Mason 2001 2001 “Coherence in subtitling: The negotiation of face”. Frederic Chaume and Rosa Agost, eds. La traducción en los medios audiovisuals. Castelló: Publications de la Universitat Jaume I 2001 19–31., 19, 22). De plus, la nature polysémiotique du sous-titrage aide le traducteur mais le gêne aussi. Il/elle n’est pas aussi libre face à un jeu de mot qu’un traducteur littéraire, par exemple, puisque la traduction ne doit pas contredire les autres canaux d’expression du film, tels que l’image (Gottlieb 1997/2004Gottlieb, Henrik 1997/2004 “‘You got the picture?’: On the polysemiotics of subtitling word¬play”. Gottlieb 2000/2004 53–85., 67–68).
Les sous-titreurs de 8 Mile ont dû faire face à un certain nombre de ‘problèmes de traduction liés au type de texte’. Dans cet article, je me concentrerai uniquement sur ce type de problèmes. Il a été dit (par exemple, par Yves Gambier 26/09/2004 : Congrès de EST, atelier sur la traduction pour l’écran ; Jääskeläinen 2005Jääskeläinen, Riitta 2005 “Av-kääntämisen tutkimustarpeet Suomessa” [The needs for AVT¬studies in Finland]. Paper presented at the Annual meeting of Finnish researchers on Translation and Interpreting, Kouvola, April 2005.) qu’une faiblesse commune dans les études de traduction pour l’écran est que les chercheurs utilisent des films uniquement comme matériel de recherche, pas comme des objets de recherche. Les films ont tendance à servir de corpus dans des études qui en fait traitent de phénomènes de traduction générale, qui ne sont pas eux-mêmes caractéristiques de la traduction pour l’écran. Cependant, mon but est différent : en étudiant les problèmes de traduction et leurs solutions dans ce contexte, je veux faire la lumière sur la liberté dont jouissent les sous-titreurs quand ils traduisent pour des sociétés de production de cinéma internationales telles qu’UIP.
Une autre question que je voudrais aborder est celle de la qualité du contrôle des sous-titres. À quel point le contrôle de qualité aide-t-il à résoudre les problèmes de traduction ? En fait, qu’est-ce que le contrôle de qualité ? Comment peut-il être organisé de manière efficace ? Par contrôle de qualité, je veux parler de l’assistance et du support apportés au sous-titreur par le commissaire afin d’ « éliminer les erreurs de routine, de s’assurer que le ‘produit’ (les sous-titres) remplit les exigences de critères spécifiques (les conventions de sous-titrage) et de réduire la possibilité de perception d’erreurs » (James 2000, 152). Comme James (loc. cit.) le fait remarquer, un contrôle de qualité minutieux essaye aussi de satisfaire les différentes attentes des clients, c’est-à-dire les téléspectateurs, l’auteur ou le scénariste, le producteur, le groupe de télévision, etc. Un contrôle de qualité mène plus probablement à une qualité de sous-titrage satisfaisante, voire bonne, que l’absence de contrôle de qualité. Par bonne qualité de sous-titrage, je sous-entends un nombre minimal d’erreurs de traduction, précision et acceptabilité (c’est-à-dire un style naturel de la langue cible, Toury 1995Toury, Gideon 1995 Descriptive Translation Studies and beyond. Amsterdam/Philadelphia: John Benjamins.) selon les paramètres du type de texte en question.
2.2Les problèmes liés au type de texte dans 8 Mile
Dans le corpus que j’ai sélectionné pour cette étude, cinq caractéristiques spécifiques au type de texte semblent avoir causé des problèmes de traduction : les rimes, jeux de mots, sociolectes, le langage obscène et les références culturelles. Cette liste n’est pas exhaustive, et il y a des chevauchements, par exemple, dans les catégories de l’argot et du langage obscène, le langage obscène étant souvent un indicateur d’argot.66.Un collègue allemand a fait remarquer que les allusions intratextuelles grâce auxquelles les rappeurs font, tour à tour, référence aux paroles de l’autre, constituent un autre problème de traduction dans ce corpus. Naturellement, elles imposent des contraintes supplémentaires au travail du sous-titreur, dans la mesure où le maintien de la cohésion est plus difficile dans le sous-titrage.
2.2.1La rime
Par rime, je veux dire l’ « [a]ccord des sons qui terminent deux ou plusieurs vers, de sorte que … la dernière voyelle accentuée et tout son la suivant sont les mêmes, tandis que le ou les son(s) précédent(s) sont différents » (Oxford English Dictionary en ligne, s.v. ‘rhyme’ [rime]). Les exemples tirés du corpus sont ‘one’ – ‘gun’, ‘jäätyy’ – ‘päätyy’, ‘toc’ – ‘Doc’. Je compte aussi les rimes imparfaites (par exemple : pian – hormoonia, reum – Tom – gun, всегда – cmероида [vsegda – steroida]) comme des rimes, parce que l’effort fourni par le traducteur afin de créer une rime dans la langue cible est significatif. Dans l’analyse, j’ai seulement étudié les rimes qui se trouvaient à la fin des vers, bien que les rimes internes, qui sont devenues de plus en plus courantes en rap (Krims 2000Krims Adam 2000 Rap music and the poetics of identity. Cambridge/New York etc.: Cambridge University Press., 43), apparaissent dans certaines paroles de Jimmy, ainsi que dans la traduction française. Cependant, seules les rimes de fin de vers sont utilisées de manière cohérente dans tout le corpus.
Dans le cas de 8 Mile, le maintien des rimes était en fait un problème de traduction créé par des traducteurs plus ambitieux (ou des bureaux locaux d’UIP), puisqu’initialement, le bureau principal d’UIP demandait une traduction littérale et sans rimes des paroles de rap. Il est dit dans les Instructions pour la traduction des paroles de 8 Mile que :
Il est dans l’intention des cinéastes de garder les traductions de paroles littérales, restant aussi proche que possible de l’original. Ce film relate la culture rap à Detroit de manière très précise et par conséquent, les mots originaux, les références historiques et les émotions brutes devaient rester intactes pour les fans d’EMINEM. Bien que le rap soit clairement une forme d’art qui combine l’improvisation, l’usage de structures verbales complexes et l’usage de rimes, l’objectif de la traduction de ce film est de communiquer, aussi exactement que possible, des mots originaux d’EMINEM, plutôt que de tenter de créer de nouvelles rimes de rap dans chaque langue.(Instructions pour la traduction des paroles de 8 Mile, page 2, majuscules dans l’original)
Cependant, les sous-titres en finnois et français riment systématiquement, alors que le sous-titreur russe n’use les rimes que sporadiquement. Il semble y avoir eu une contradiction dans l’attitude d’UIP envers la traduction des rimes. Les bureaux locaux d’UIP, du moins en France et Finlande, préféraient les rimes. Parce que les bureaux locaux ont persuadé le bureau principal que la priorité devrait être donnée aux rimes, ils ont contribué à la bonne qualité des deux versions sous-titrées. Ceci illustre l’importance du rôle que les bureaux locaux peuvent jouer dans les procédures de contrôle de qualité des sociétés de production de cinéma internationales.
2.2.2Le jeu de mots
Ma définition d’un jeu de mots vient aussi de l’Oxford English Dictionary en ligne (s.v. ‘play’ [jeu], mis en évidence dans l’original) : jeu de mots, ou « jeu sur ou avec les mots : [est] un usage ludique des mots de sorte à véhiculer un double sens, ou à produire un effet d’invraisemblance ou humoristique grâce à la ressemblance des sons ayant des significations différentes ; un calembour ». Un exemple, tiré de 8 Mile, est « How can 6 dicks be pussies ? » [Comment peuvent 6 dicks être des pussies ?]. Ici, le jeu est naturellement basé sur le double sens des mots ‘dick’ [imbécile désagréable / organes génitaux masculins] et ‘pussy’ [homme efféminé, faible / organes génitaux féminins], ce qui crée un paradoxe dans le rap de Jimmy (avec le mot ‘dicks’, il fait référence aux Leadaz).
Sur le plan de la traduction, le problème majeur avec un jeu de mots repose dans sa nature métalinguistique : « les mots concernés ne remplissent plus simplement la fonction de communication ; ils font aussi partie de l’objet de communication » (Gottlieb 1997/2004Gottlieb, Henrik 1997/2004 “‘You got the picture?’: On the polysemiotics of subtitling word¬play”. Gottlieb 2000/2004 53–85., 54). Dirk Delabastita (1994Delabastita, Dirk 1994 “Focus on the pun: Wordplay as a special problem in Translation Studies”. Target 6:2. 223–243. , 227), dans un article traitant de recherches sur la traduction de jeux de mots, souligne qu’une distinction devrait être faite entre les jeux de mots intentionnels et accidentels. Delabastita questionne sagement l’utilité d’analyses hyper-détaillées des jeux de mots dans l’analyse de la traduction : « Jusqu’à quel point les nombreuses catégories descriptives produites par les spécialistes en linguistique, stylistique, et rhétorique sont-elles réellement nécessaires afin de comprendre les divers modes de traduction de jeux de mots ? » (232–233). Dans le contexte de cette étude, je peux en toute sécurité dire que tous les jeux de mots de mon corpus sont intentionnels. En ce qui concerne l’autre commentaire de Delabastita, je ne fais pas de différence entre de quelconques sous-types de jeux de mots, puisque ce n’est pas nécessaire pour mon analyse. Ce qui est essentiel est la présence ou absence de jeux de mots dans les textes étudiés.
2.2.3Les sociolectes : l’argot et le langage familier
L’argot est un « langage de type hautement familier, considéré comme étant en dessous du niveau de langage standard instruit, et composé soit de nouveaux mots, soit de mots actuels employés dans un sens spécial » (Oxford English Dictionary en ligne, s.v. ‘slang’ [argot]). Par exemple : ‘choke artist’ [artiste qui perd alors qu’il est supposé gagner], ‘gonna’ [j’vais]. J’inclus aussi le langage familier dans la catégorie des sociolectes (« Appartenant au langage courant ; caractéristique de ou propre à une conversation ordinaire, qui se distingue du langage soutenu ou du langage de niveau élevé », Oxford English Dictionary en ligne, s.v. ‘colloquial’ [familier]) et il est parfois difficile de distinguer clairement l’argot du langage familier.
Les problèmes de traduction causés par les sociolectes sont en général dus au fait que les connotations reliées aux sociolectes ne « voyagent » généralement pas avec succès d’une culture à une autre (voir, par exemple, Berman 1985Berman, Antoine 1985 “La traduction comme épreuve de l’étranger”. Texte 4. 67–81. ; Chapdelaine et Lane-Mercier 1994Chapdelaine, Annick Gillian Lane-Mercier 1994 “Présentation”. TTR 7:2. 7–10. ; Leighton 1991Leighton, Lauren G.1991 Two worlds, one art: Literary translation in Russia and America. DeKalb: Northern Illinois University Press. ; Englund Dimitrova 1997Englund Dimitrova, Birgitta 1997 “Translation of dialect in fictional prose: Vilhelm Moberg in Russian and English as a case in point”. Norm, variation and change in language: Proceed¬ings of the Centenary Meeting of the Nyfilologiska sällskapet Nedre Manilla 22–23 March 1996. Stockholm: Almqvist & Wiksell International 1997 49–65. [= Stockholm Studies in Modern Philology, New Series, 11.]). Il n’y a pas de correspondance complète de connotations, même dans le domaine du rap et de la culture des jeunes. Aux Etats-Unis, les cultures rap et hip-hop sont construites sur des questions d’identité raciale et sur la dichotomie entre les noirs et les blancs. Les identités spatiales et collectives, reliées au territoire natal, sont aussi essentielles. Par conséquent, des mots considérés comme ‘représentatifs’ sont chargés de sens et ne peuvent pas passer directement, sans explication, dans d’autres cultures.77.Murray Forman (2002Forman, Murray 2002 The ’hood comes first: Race, space, and place in Rap and Hip-Hop. Mid-dletown, Conneticut: Wesleyan University Press., 194) définit « représentatif » comme suit : « ‘Représentatif’ implique l’emploi par l’artiste de nombreux codes de communication, souvent subtils, et de pratiques culturelles pour définir et articuler les identités individuelles et de groupe, les références spatiales liées au ‘ghetto’, et d’autres aspects ayant une signification individuelle ou collective ». Il est vrai, comme Adam Krims l’écrit, que la culture rap est récemment devenue mondiale et qu’elle a glissé vers le centre du polysystème musical alors qu’elle faisait autrefois partie de la périphérie. Cependant, ses manifestations locales pourraient ne pas utiliser du tout la dichotomie raciale, bien que le rap ait souvent été adopté par des minorités locales ethniques ou linguistiques (Krims 2000Krims Adam 2000 Rap music and the poetics of identity. Cambridge/New York etc.: Cambridge University Press., 156–197). En Finlande, par exemple, les questions raciales ne sont pas centrales pour le rap, même si les rappeurs en sont conscients, puisqu’ils suivent de près le rap américain. Par conséquent, des mots comme ‘honky’ [mot utilisé pour insulter un blanc] n’ont pas d’équivalent en finnois avec un effet similaire insultant (il y a un équivalent pour ‘nigga’ [une façon insultante d’appeler une personne noire]).
2.2.4Le langage obscène
Le langage obscène est d’un niveau bas, est offensif et/ou indécent, et contient des éléments tels que des mots tabous ou des jurons (par exemple, ‘fuck’ [putain], ‘ass’ [cul], ‘motherfucker’ [enculé]). Le langage obscène est étroitement lié à l’usage d’argot dans un contexte particulier, puisqu’il constitue une part essentielle du vocabulaire de l’argot. Il est aussi courant en ‘toasting’, une tradition afro-américaine de récit rythmé (par exemple, dans les toasts du Signifying Monkey, Gates 1988Gates, Henry Louis Jr. 1988 The signifying monkey: A theory of African-American literary criti¬cism. New York: Oxford University Press., 55–56), considérée comme l’un des ancêtres principaux du rap (Crowe 2004Crowe, Nick 2004 “Rap’s last tape”. Prospect, March 2004. 46–51., 46). Les mots obscènes et les expressions ont tendance à disparaitre ou à diminuer dans les traductions ainsi que dans les sous-titres (Gambier 2002Gambier, Yves 2002 “Les censures dans la traduction audiovisuelle”. TTR 15:2. 203–222., 211, 214–216 ; Mason 1989Mason, Ian 1989 “Speaker meaning and reader meaning: Preserving coherence in screen trans¬lating”. Rainer Kölmel and Jerry Payne, eds. Babel: The cultural and linguistic barriers be¬tween nations. Glasgow, Aberdeen: Aberdeen University Press 1989 13–24., 16). Comme Gambier l’observe (2002Gambier, Yves 2002 “Les censures dans la traduction audiovisuelle”. TTR 15:2. 203–222., 214 ; voir aussi Scandura 2004Oxford English Dictionary on-line http://dictionary.oed.com/entrance.dtl (accessed 27–30 June 2005)., 130), l’argot, les jurons, les insultes, les mots vulgaires ou obscènes, etc. semblent plus offensifs et agressifs lorsqu’ils sont écrits, parce que l’écriture est la forme de langage qui a de l’autorité : « verba volant, scripta manent », cite Gambier (loc. cit.). Cela mène à une (auto-)censure dans le sous-titrage. Les mots obscènes sont souvent des exclamations isolées ou des adjectifs complémentaires, qui sont les plus faciles – et donc les premiers – à être omis des traductions même quand le traducteur n’a pas l’intention d’être prude (Ulla Leisio, conversation téléphonique, 20/09/2004).
Les normes culturelles de la culture cible jouent aussi un rôle dans ce phénomène. En Russie, par exemple, les normes prescriptives de sous-titrage sont plus strictes qu’en Finlande ou en France ; aucun mot obscène n’est autorisé à l’écran ou dans n’importe quel autre média, d’ailleurs. A Hong Kong, la ‘poétique de langage’ dominante mène à des omissions, adoucissements ou traductions en Putonghua (c’est-à-dire une autre langue que la langue maternelle des téléspectateurs) des jurons en anglais dans les sous-titres (Chen 2004Chen, Chapman 2004 “On the Hong Kong Chinese subtitling of English swearwords”. Meta 49:1. 135–147., 136, 141). Il est intéressant de noter que le profit financier pourrait aussi être un motif de censure dans le sous-titrage. Les distributeurs de films à Hong Kong interviewés par G.C.F. Fong ont admis que leurs films visaient un public d’adolescents, puisque la majorité des gens qui vont fréquemment au cinéma est composée d’adolescents. Si un seul juron cantonais choquant apparait dans les sous-titres, le film est automatiquement interdit aux personnes en dessous de 18 ans. L’audience diminue fortement et les profits baissent en conséquence (Chen 2004Chen, Chapman 2004 “On the Hong Kong Chinese subtitling of English swearwords”. Meta 49:1. 135–147., 137).
2.2.5Les références culturelles
Les références culturelles sont des signes référents à des éléments et des caractéristiques qui, dans l’ensemble, constituent une civilisation – cette civilisation étant elle-même constituée de plusieurs couches, y compris des sous-cultures locales et mondiales. Les références culturelles peuvent être des noms propres (par exemple : ‘Cheddar Cheese’ [Fromage Cheddar], ‘Eric Sermon’ [un rappeur et producteur américain], ‘The D’ [fait référence à ‘dick’, ‘pénis’ en argot]) ou des noms communs (par exemple : ‘trailer-park’ [parc de caravanes], ‘dollar’, ‘yearbook’ [album de promotion]) (Ballard 2003Ballard, Michel 2003 Versus: la version réfléchie. Anglais-français, vol. I “Repérages et paramè¬tres”. Paris: Éditions Ophrys., 149, 173). J’inclus aussi dans cette catégorie les allusions (par exemple : ‘Leave it to Beaver’ [série télévisée américaine]), qui, du moins dans mon corpus, semblent causer des problèmes de traduction similaires. Certains nombres (par exemple : ‘313’, un code pour la zone de Detroit) appartiennent aussi à cette catégorie. Ritva Leppihalme (1997Leppihalme, Ritva 1997 Culture bumps: An empirical approach to the translation of allusions. Clevedon: Multilingual Matters., 2) remarque que la traduction de références culturelles peut causer plus de problèmes que les difficultés sémantiques ou structurelles du texte en question, même dans des cas où la culture source et la culture cible sont assez proches. Cela semble être vrai aussi dans 8 Mile, où les cultures source et cible sont assez proches – la culture rap aux Etats-Unis et dans d’autres pays – mais où les éléments de rap spécifiques à une culture font référence à plusieurs couches de la civilisation américaine. Certaines de ces références (8 Mile,88.« ‘Eight Mile’ est une route qui délimite la frontière entre Detroit, ville dans l’Etat du Michigan principalement habitée par des Afro-Américains, et les banlieues blanches du nord de la ville. Le terme ‘8 Mile’ représente donc une barrière qui est difficile à franchir » (Wikipedia, en ligne, s.l. ‘Eight Mile’). 313, ‘Leave it to Beaver’) ne sont pas connues par la majorité des spectateurs, qui ne sont pas Américains, et sans doute aussi par certains Américains. Leppihalme (op. cit., 22–23) qui parle de la responsabilité du traducteur envers le lecteur, recommande de prêter une attention spéciale au choix de stratégie de traduction, de façon à faciliter la compréhension du lecteur. Par exemple, des explications pourraient être nécessaires pour éviter des ‘culture bumps’ (c’est-à-dire « une situation dans laquelle le lecteur d’un texte cible éprouve des difficultés à comprendre une allusion à la culture source » [4]).99.Pour d’autres stratégies de traduction, voir, par exemple, Tomaskiewicz (2001Tomaskiewicz, Teresa 2001 “Transfert des références culturelles dans les sous-titres filmiques”. Gambier and Gottlieb 2001 237–247.).
Dans la traduction pour l’écran, les copyrights, la publicité des marques déposées pour des films et la rivalité entre les sociétés de production de films influencent la manière de traduire certaines références culturelles. Par exemple, Riitta Oittinen (2004Oittinen, Riitta 2004 Kuvakirja kääntäjän kädessä [The picture book in the translator’s hand]. Helsinki: Lasten Keskus., 14) observe que Disney a récemment interdit aux traducteurs de changer, et donc de domestiquer les noms propres présents dans les films Disney. La politique était similaire pour la traduction de 8 Mile. Comme règle générale, il a été demandé aux sous-titreurs de laisser intactes les références culturelles :
Même dans les cas où l’on sent que les références factuelles ou les noms de rappeurs connus ne seront pas compris, il est conseillé de les garder en anglais, de façon à préserver la valeur historique du film et de toucher les fans locaux de hip-hop.(Instructions pour la traduction des paroles de 8 Mile, p. 2)
Comme reporté dans l’analyse ci-dessous, cette politique n’a pas été rigoureusement respectée. Cependant, certaines des substitutions faites par les traducteurs finnois n’ont pas été acceptées par UIP, même si, selon le traducteur, elles auraient mieux fonctionné dans ce contexte. Il désignait les Leadaz of Tha Free World par les équivalents finnois de Riri, Fifi et Loulou [Tupu, Hupu ja Lupu], mais a été forcé d’omettre cette allusion, parce qu’ils sont des personnages appartenant à Disney, la compagnie rivale d’UIP (Karri Miettinen, communication par e-mail, 2/09/2004; Janne Staffans, interview, 30/04/2005).
3.Analysis
3.1Méthodes
Le corpus analysé est composé des dernières scènes du film, lorsque Jimmy affronte Lyckety-Splyt, Lotto et Papa Doc (bobine 6 AB dans la liste de dialogues). Les dialogues normaux entre les personnages ont été exclus du corpus, et seules les paroles rappées sont comprises dans l’analyse de la traduction. Dans cette analyse, j’ai reçu l’aide de personnes dont la langue maternelle est le français ou le russe. Josselin Vasseur a regardé le corpus français en vidéo avec moi, m’a expliqué les termes d’argot que je ne comprenais pas et a vérifié et révisé mon analyse de la traduction des sous-titres en français. Les sous-titres en russe ont été tapés et retraduits vers l’anglais par Andrey Shilov, avec qui j’ai aussi, plus tard, regardé la version DVD russe du corpus, en discutant chaque sous-titre, afin de m’assurer que nous avions les mêmes critères.
La méthodologie que j’ai utilisée dans l’analyse vient de Toury (1995Toury, Gideon 1995 Descriptive Translation Studies and beyond. Amsterdam/Philadelphia: John Benjamins.) et Gottlieb (2000/2004 2000/2004 Screen translation: Seven studies in subtitling, dubbing and voice¬over. Copenhagen: Center for Translation Studies, Department of English, University of Copenhagen.). La comparaison de textes est indirecte car elle a été réalisée grâce à des concepts intermédiaires (Toury 1995Toury, Gideon 1995 Descriptive Translation Studies and beyond. Amsterdam/Philadelphia: John Benjamins., 80). Cela veut dire que je ne compare pas le texte source directement avec le texte cible (pour un exemple de mon analyse, voir ci-dessous). Le texte source est tiré de la liste de dialogues de 8 Mile, mais suivant la théorie de Gottlieb (1999/2004 1999/2004 “Texts, translation and subtitling—In theory, and in Denmark”. Gottlieb 2000/2004 1–40., 19), il est modifié afin d’être en accord avec la bande-son de la bande vidéo ou du DVD. L’image est aussi prise en compte dans l’analyse, et elle est essentielle pour le mécanisme d’un des jeux de mots de Jimmy (Eminem) dans le corpus. L’unité de traduction de mon analyse est un ‘complexe de rimes’ (Krims 2000Krims Adam 2000 Rap music and the poetics of identity. Cambridge/New York etc.: Cambridge University Press., 43–49), c’est-à-dire une « section avec des mots qui riment systématiquement ». Dans les textes cibles, l’unité de traduction est habituellement plus longue que ce qui apparait à l’écran à un moment donné (en vidéo ou DVD). Il y a 52 unités de traduction dans mon analyse, et j’ai étudié les effets stylistiques produits dans les cinq catégories discutées ci-dessus (1. la rime, 2. les jeux de mots, 3. les sociolectes : argot/langage familier, 4. le langage obscène et 5. les références culturelles) en comptant les glissements. Un glissement a simplement été défini comme une omission d’effet stylistique, une addition d’effet stylistique ou un autre changement à l’intérieur de la catégorie (par exemple, le remplacement d’une référence culturelle du texte source par une référence spécifique à la culture cible ; un exemple : « The dude from ‘Leave it to Beaver’ » [Le mec de ‘Leave it to Beaver’] → « Kössi Kenguru », Kössi le Kangourou, le personnage principal d’un dessin animé pour enfants finnois créé par Heikki Prepula). L’Exemple 2 présente un extrait de mon analyse de la traduction, avec toutes les catégories, classifications et glissements listés. Dans le texte source, Jimmy joue avec le double sens de l’expression ‘your white ass’ [ton cul blanc], une expression péjorative en argot signifiant ‘your white self’ [ta petite personne de blanc]. Ici, il fait référence au sarcasme exprimé plus tôt par Lyckety-Splyts “You need to take your white ass across 8 Mile to the trailer park” [t’as besoin d’emmener ton cul blanc de l’autre côté de 8 Mile jusqu’au parc de caravanes]. Les indications scéniques entre parenthèses sont tirées de la liste de dialogues de 8 Mile.
(Jimmy tourne le dos à Lyckety-Splyt et soulève son tee-shirt, révélant que son pantalon est abaissé pour montrer ses fesses — la foule rit de manière hystérique)
TS (texte source anglais):
Now I’m gonna turn around with a great smile [Maintenant j’vais me retourner avec un grand sourire]
And walk my white ass back across 8 Mile [Et ramener mon cul de blanc à travers 8 Mile]
rime oui (AA)
argot / langage familier oui (gonna, white ass)
jeu de mots oui (image de ses fesses + “my white ass”)
langage obscène oui (ass)
référence culturelle oui (8 Mile)
TC1 (texte cible finnois): Nyt hymyilyttää [Maintenant j’ai envie de sourire]
Tää ei päättyny häviöön [Ça ne s’est pas terminé par une défaite]
Niinku sanoit, mä lähen lähiöön [Exactement comme t’as dit, j’m’en vais dans les banlieues]
rime oui (xBB)
argot / langage familier oui (päättyny, mä lähen)
jeu de mots –
langage obscène –
référence culturelle –
Glissements: omission de jeu de mots, omission de langage obscène, omission de référence culturelle.
En finnois, il n’y a pas d’équivalent pour l’expression ou le concept ‘white ass’ qui voudrait dire ‘your white self’.
TC2 (texte cible français): Avec le sourire, je me taille
Et mon cul blanc
part traverser 8 Mile
rime oui (AxA)
argot / langage familier oui (me taille, cul)
jeu de mots –
langage obscène oui (cul)
référence culturelle oui (8 Mile)
Glissements: omission de jeu de mots
En français, il y a une expression pour ‘white ass’, cul de blanc (par exemple : ‘Dégage ton petit cul de blanc’). Cependant, elle semble être rarement utilisée.
TC3 (texte cible russe): Я ухожу, улыбаясь [Ja ukhozhu, ulybayas’]
[Je pars avec le sourire]
8 Миль, я возвращаюсь туда [Vosem’ Mil’, ya vozvraschayus’ tuda]
[8 Mile, je retourne là-bas]
TC3: rime –
argot / langage familier –
jeu de mots –
langage obscène –
référence culturelle oui (8 Миль)
Glissements: omission de rime, omission d’argot / langage familier, omission de jeu de mots, omission de langage obscène
Ici, ‘8 Mile’ est au pluriel, ce qui pourrait être une faute de frappe. Le sous-titreur russe ne traduit jamais ‘ass’ par un équivalent russe, mais par un mot plus doux qui pourrait être traduit par ‘fesses’.
3.2Résultats
Le Tableau 1 récapitule les résultats de mon analyse de la traduction. Dans les catégories ‘rimes’, ‘jeux de mots’, ‘argot et langage familier’ et ‘langage obscène’, je ne compte pas les rimes individuelles ou les mots en argot (il y en a généralement plus d’un par unité de traduction), mais seulement leur présence ou absence comme un effet stylistique dans l’unité de traduction (UT dans le tableau). Cependant, dans la catégorie ‘référence culturelle’, je compte les références individuelles, et il y en a parfois plusieurs dans une unité de traduction.
TS | 52 UTs | |||
---|---|---|---|---|
rimes | 47 | |||
jeux de mots | 17 | |||
argot et langage familier | 50 | |||
langage obscène | 35 | |||
références culturelles | 59 | |||
TCs | pas de glissement | omission | addition | changement |
Paleface | 52 UTs | |||
rimes | 44 | 3 | 4 | |
jeux de mots | 11 | 6 | 2 | |
argot et langage familier | 50 | – | 1 | |
langage obscène | 14 | 21 | – | |
références culturelles | 31 | 15 | 2 | 13 |
Girard-Ygor | 52 UTs | |||
rimes | 43 | 4 | 1 | |
jeux de mots | 6 | 11 | – | |
argot et langage familier | 43 | 7 | – | |
langage obscène | 14 | 21 | – | |
références culturelles | 50 | 4 | 1 | 5 |
anonyme | 52 UTs | |||
rimes | 17 | 30 | 1 | |
jeux de mots | 2 | 15 | – | |
argot et langage familier | 25 | 25 | – | |
langage obscène | 2 | 33 | – | |
références culturelles | 44 | 11 | 1 | 4 |
Les traductions de Paleface et Girard-Ygor sont assez proches du texte source d’un point de vue stylistique. Grace aux traducteurs eux-mêmes et à la supervision apportée par UIP – ainsi qu’au mentorat de Paleface par Janne Staffan – les textes cibles finnois et français peuvent être considérées comme des traductions de haute qualité. Paleface est celui qui a réalisé le moins de glissements dans les catégories ‘rimes’ (44 rimes des 47 du texte source ont été gardées + 4 additions), ‘jeux de mots’ (11 des 17 du texte source + 2 additions) et ‘argot et langage familier’ (50 sur les 50 du texte source + 1 addition). Le fait qu’il ait réussi à traduire un si haut pourcentage (presque 65%) des jeux de mots de l’original est stupéfiant. Dans l’étude de cas d’Hendrik Gottlieb sur les jeux de mots dans le sous-titrage (1997/2004, 62), le pourcentage correspondant était de moins de 50. L’expérience de Paleface en tant que MC l’a évidemment aidé à traduire ce film. Il a lui-même sorti deux albums de rap.1010. The Pale Ontologist (2001) et Quarter Past (2003). Marc Girard-Ygor a aussi réalisé peu de glissements dans les catégories ‘rimes’ (43 sur 47 dans les ST + 1 addition) et ‘argot / langage familier’ (43 sur 50 dans les ST). Cependant, il traduit seulement un tiers des jeux de mots de l’original. Ceci pourrait-il en partie être expliqué par le fait qu’il était plus limité par UIP dans son travail que Paleface, qui avait plus de liberté pour traduire les références culturelles ?
Dans la catégorie ‘langage obscène’, il y a considérablement plus de glissements : Paleface et Girard-Ygor ont tous les deux omis des obscénités dans 21 unités de traduction (sur 35 dans les ST). Cependant, cela relève plus de la réduction sélective inhérente au sous-titrage (Mason 2001 2001 “Coherence in subtitling: The negotiation of face”. Frederic Chaume and Rosa Agost, eds. La traducción en los medios audiovisuals. Castelló: Publications de la Universitat Jaume I 2001 19–31., 20) que de l’autocensure ; ils n’évitent pas le langage obscène, comme les Exemples 3 et 4 l’illustrent. L’Exemple 3 est tiré de l’original et de la traduction de Paleface ; l’Exemple 4, de l’original et de la traduction de Girard-Ygor. J’ai réalisé la retraduction vers l’anglais ; les indications scéniques proviennent de la liste de dialogues de 8 Mile.
(JIMMY) (dans le micro) (en rappant)
TS:
My motto: [Ma devise]
Fuck Lotto [J’emmerde Lotto]
I’ll get them 7 digits from your mother [Ta mère me fera une pipe] / [J’aurai la combinaison des chiffres (lotto) de ta mère]
For a dollar tomorrow [Pour un dollar demain]
TC1 (Paleface): Vittuun koko Lotto [Baiser tout le Lotto]
On mun motto [Est ma devise]
7 oikein ja äidiltäs suihinotto [Les 7 numéros gagnants du Lotto et une pipe par ta mère demain]
(JIMMY) (dans le micro) (en rappant)
TS: These Leadaz Of Tha Free World rookies
Lookie
How can 6 dicks be pussies?
TC2 (Girard-Ygor): Les Leaders: rappeurs néophytes
Vous êtes chatte ou bite?
(La foule crie et applaudit pendant que les Leadaz regardent Jimmy fixement)
Dans la catégorie des références culturelles, c’est Paleface qui a réalisé le plus de glissements (15 omissions et 13 modifications sur 59). La modification de ces références (par exemple, ‘trailer’, ‘trailer-park’, ‘8 Mile’, ‘Eric Sermon’, ‘Willie Nelson’ [chanteur américain de musique country], ‘New Kids on the Block’ [boys band américain], ‘Leave it to Beaver’, etc.) est clairement une stratégie de traduction. Ceci est en partie causé par le fait qu’il anticipe les attentes de son public (Janne Staffans, interview, 30/04/2005), et en partie parce qu’il donne la priorité aux rimes. Marc Girard-Ygor conserve la plupart (50) des références culturelles ; il en omet seulement quatre et en change cinq.
Quant au traducteur anonyme russe, sa version est d’une nature très différente. Il y a un grand nombre de glissements dans toutes les catégories, à l’exception de celle des références culturelles (44 conservées sur 59) : environ un tiers des unités de traduction est converti en rimes (17 sur 47), une petite partie des jeux de mots (2 sur 17) et la moitié de l’argot (25 cas sur 50), qui n’est habituellement pas traduit en réel argot, comme dans les versions finnoise et française, mais plutôt en un langage familier plus neutre. Dans la catégorie ‘langage obscène’, il n’est pas surprenant que 33 des 35 obscénités aient été omises (il ne reste que deux obscénités plus légères, probablement pour créer un effet stylistique comme celui du rap). Comme mentionné plus tôt, ces omissions sont le résultat des normes plus strictes de traduction russes et auraient été évidentes dans le travail de n’importe quel traducteur. Les sous-titres russes contiennent aussi quelques erreurs de traduction, leur nature suggérant que le traducteur n’était pas un professionnel. De l’avis d’Andrey Shilov, il se pourrait que la langue maternelle de ce traducteur ne soit pas le russe. A cause du grand nombre de fautes, je pense aussi que ce traducteur a directement travaillé à partir de la bande son, sans la liste de dialogues : huit fautes dans le corpus étudié. Les Exemples 5 et 6 montrent deux exemples d’erreurs de traduction. Les indications scéniques sont tirées de la liste de dialogues de 8 Mile :
(LOTTO) (dans le micro) (en rappant)
TS: Fuck Lotto [Laisse tomber Lotto]
Call me your leader [Appelle-moi chef]
I feel bad that I gotta murder [J’me sens mal de devoir assassiner]
The dude from “Leave It To Beaver” [Le mec de “Leave It To Beaver”]
TC3 (traducteur anonyme russe)
К черту Лотто, я твой лидер. [K chortu Lotto, ya tvoy lider] / [Au diable Lotto, je suis votre chef]
Кто будет мочить белого, как [Kto budet mochit’ belogo kak] / [Qui va assassiner un mec blanc de cette façon]
чувака из «Оставь это для Бобра»! [chuvaka iz “Ostav’ eto dlya bobra!”] / [Le mec de ‘Leave It To Beaver’ a été assassiné] (gras ajouté par l’auteur ici comme dans l’exemple suivant)
(JIMMY) (dans le micro) (en rappant)
TS: I am white [Je suis blanc]
I am a fuckin’ bum [J’suis un putain de clochard]
I do live in a trailer with my mom [Je vis bien dans une caravane avec ma mère]
My boy Future is an Uncle Tom [Mon mec Future est une sorte d’Oncle Tom]
I do got a dumb friend named Cheddar Bob [J’ai bien un ami stupide appelé Cheddar Bob]
Who shoots himself in his leg with his own gun [Qui s’est lui-même tiré dans la jambe avec son propre flingue]
TC3: Я белый, да, и у меня нет дома, [Ya bely, da, i u menya net doma] / [Je suis blanc et sans abri]
Я с матерью живу в трейлере [Ya s materyu zhivu v treylere] / [Je vis dans une caravane avec ma mère]
Мой парень Фьючер [Moy paren’ Fyucher] / [Mon petit-ami Future]
Как Дядя Том с белыми тусуется. [Kak Dyadya Tom s belymi tusuyetsya] / [Traine avec des mecs blancs comme l’Oncle Tom]
Ну и что, что Чеддер Боб дурак, [Nu i chto, chto Chedder Bob durak] / [Cheddar Bob est un idiot, et alors?]
Прострелил себе колено и рад. [Prostrelil sebe koleno i rad] / [Il s’est lui-même tiré dans le genou et en est content]
Dans l’Exemple 6, l’image de Jimmy change dans la version russe, lorsqu’il parle de son petit-ami. Comment Eminem, notoirement homophobe, réagirait-il à cela ? (Dans le film, cependant, Jimmy est en bons termes avec un homosexuel, qui lui apporte même son aide.) On peut ici clairement voir que le contrôle de qualité a échoué ; même certaines fautes élémentaires n’ont pas été évitées. Le contrôle de qualité en Russie a échoué à plusieurs stades. Eivor Ummerus et Catrine Paro (2001, 140–142) distinguent six étapes importantes pour s’assurer d’obtenir une traduction de qualité (pour les entreprises de radiodiffusion internationales) :
commencer une unité de traduction interne.
prêter particulièrement attention aux exigences de compétence lors du recrutement des traducteurs.
offrir une formation approfondie sur le terrain.
prêter particulièrement attention à l’étape de la commande de la traduction.
s’assurer que la « ligne de production » fonctionne correctement.
établir un système de révision.
Je dirais que le contrôle de qualité d’UIP a échoué lors des étapes deux, trois, quatre, cinq et six. Il aurait été préférable d’accepter mutatis mutandis la traduction en rimes d’Usachov, même si sa traduction était beaucoup plus libre que celle de Paleface et Girard-Ygor (voir Annexes 2 et 3). Il est aussi probable que, du point de vue du producteur, les changements délibérés et audacieux soient moins nuisibles que les erreurs significatives de traduction.
Conclusion : les profils du traducteur et l’invisibilité de la profession
Les profils du traducteur, ou les ‘traducteurs implicites’ (Schiavi 1996Schiavi, Giuliana 1996 “There is always a teller in a tale”. Target 8:1. 1–21.), qu’on peut déduire sur base des trois versions sont, finalement, assez différents et reflètent aussi probablement les différentes situations professionnelles des sous-titreurs en Finlande, France et Russie. L’image que nous avons de Paleface est celle d’un jeune professionnel ambitieux, talentueux, confiant (grâce à Staffans) et d’un traducteur fortement visible. Cette visibilité était en fait assez concrète quand le film est sorti en Finlande. Le nom de Paleface a été mentionné dans certaines critiques (par exemple, Nyt-liite / Helsingin Sanomat, 24/01/2003), et il a même été interviewé pour la télévision. Le nom de Janne Staffan n’est malheureusement pas présent dans les critiques élogieuses du film, mais son nom n’est pas totalement inconnu du monde du film finnois et des téléspectateurs. En Finlande, le statut professionnel de traducteur de films est meilleur que dans de nombreux autres pays. Marc Girard-Ygor semble lui aussi être ambitieux, talentueux et professionnel, mais il reste « invisible » dans le sens de Venuti (1995Venuti, Lawrence 1995 The translator’s invisibility: A history of translation. London/New York: Routledge.). Cela fait-il de lui un traducteur idéal du point de vue d’un distributeur de films ? A la déception de Girard-Ygor, son nom n’a été mentionné nulle part lors de la sortie de 8 Mile en France, mais il s’est habitué à travailler en coulisses ; sous-titrer est, comme il dit, « une activité de l’ombre » (Marc Girard-Ygor, communication par e-mail, 04/10/2004). L’impression que nous laisse le sous-titreur russe est négative et peu professionnelle, même si les commentaires à propos des sous-titres sur les forums internet russes semblent avoir été assez positifs (ce qui a suscité le plus d’éloges, cependant, était la décision de ne pas doubler les battles de rap).
Quant au contrôle de qualité du sous-titrage, le corpus de cette étude présente en fait deux extrêmes de qualité de traduction à l’écran. Le contrôle de qualité a merveilleusement bien réussi dans deux cas, en partie grâce au travail minutieux des bureaux locaux d’UIP en Finlande et en France. Il semble avoir échoué en Russie, ou aux Etats-Unis (si les sous-titres russes ont en effet bien été réalisés là-bas, voir note 3). Il est pratiquement impossible pour une personne, ou pour un bureau de Los Angeles, de superviser une procédure de traduction qui est réalisée dans le monde entier. Par conséquent, il faudrait accorder une attention particulière aux exigences de compétences, non seulement lors du recrutement des traducteurs, mais aussi lors du recrutement des directeurs et coordinateurs locaux.
Remerciements
Mes recherches ont été soutenues par MonAKO / Université d’Helsinki, par une subvention accordée par la Fondation Culturelle Finnoise (Uudenmaan rahasto), et par une Bourse Marie Curie financée par l’UE qui m’a été accordée pour la Saarbrücken Euroconference. Je suis aussi reconnaissante envers les personnes suivantes, pour leur aide apportée durant ce projet : en Finlande, Bo Pettersson, avec qui j’ai eu une discussion fascinante à propos du rap et du concept ‘Signifyin(g)’ ; Andrew Chesterman, qui a lu mon texte, m’a donné des articles sur Eminem et m’a encouragée jusqu’au bout ; Mikko-Pekka Heikkinen et Kimmo Valtonen, qui m’ont aidée à contacter Karri Miettinen alias Paleface, qui, lui, m’a donné du matériel inestimable pour mes recherches et a toujours été prêt à répondre à mes questions ; Ulla Leisio et Janne Staffans, qui m’ont donné des informations inestimables ; le dernier m’a même prêté une version DVD de 8 Mile pour la conférence Saarbrücken. En France, Hilary Davies, qui m’a donné les coordonnées de Marc Girard-Ygor ; Marc Girard-Ygor, qui a été très serviable, et Josselin Vasseur, qui était toujours prêt à m’aider. En Russie, Andrey Shilov, qui m’a aidée et encouragée, et Dimitri Usachov, qui a été très sympathique et m’a envoyé une partie de sa traduction en rimes des parties de rap diffusées par UIP. Aux USA, Jody Toll, qui a gentiment répondu à mes questions et essayé de m’aider avec plus de matériel de recherche, malheureusement en vain. Deux autres personnes doivent être remerciées ici : Hendrik Gottlieb, qui m’a apporté sa connaissance théorique et pratique concernant la traduction à l’écran ; et Jorge Dìaz-Cintas, qui m’a envoyé deux listes de dialogues afin que je puisse les comparer avec la liste de dialogues de 8 Mile.
Remerciements de la traductrice
Cette traduction fait partie de mon travail de fin de cycle en « Langues et littératures modernes : orientation germanique » à l’Université de Namur (année académique 2015–2016). Je tiens à remercier le promoteur du projet, M. Dirk Delabastita pour son suivi et ses conseils, ainsi que Mme Ruth Astley qui m’a aidée et conseillée pour la traduction des annexes.
Notes
Références
Annexe 1.Traduction en rimes d’Usachov’s (la première battle de rap entre Lyckety-Splyt et Jimmy)
ЛИККЕТИ-СПЛИТ (рэп)
РЭПЕР ОН ЛЕВЫЙ НЕМОТА ОДОЛЕЛА? ДОБИТЬ ЕГО, ИЛИ САМ УЖЕ ОКОЛЕЛ ОН? ТВОЙ ПИСК НАТУЖНЫЙ - ГРОШ ЕМУ ЦЕНА ТЫ СЯДЕШЬ В ЛУЖУ ЖИДКОГО ГОВНА! ТЫ НЕ ИЗ ДЕТРОЙТА В АСФАЛЬТ ЗАРОЙСЯ В ЗАТЫЛОК СТРОЙСЯ, НАЦИСТСКИЙ ПОТРОХ! НИХТ ШИССЕН, СДАВАЙСЯ ВО СМЕСЬ, ПРИКОЛИСЬ: ВАНИЛЛЫ АЙСА И [СУЧКИ] БРИТНИ СПИРС! СМЕРДИТ ОТ КРЫС КАНТРИ И ПОПСЫ НАКЛАЛ В ТРУСЫ? ТЕМ БОЛЕЕ — БРЫСЬ! ПРАВДУ НЕ СКРОЕШЬ КТО ТЫ ЕСТЬ, ПАРЕНЬ? БЕЛЫЙ ОБОРВЫШ С БИТОЮ ХАРЕЙ КРОЛИК ПРИРУЧЕН ОН ФЬЮЧЕРА ПОДРУЧНЫЙ БУДТО БЫ ФЬЮЧЕР МОРКОВКАМИ НАВЬЮЧЕН СОСИ МОРКОВКУ, ПОКА НЕ УСТАНЕШЬ ФЬЮЧЕР НЕ ГОРДЫЙ - САМ ЕЕ ДОСТАНЕТ! РАЙОНЧИК ОПАСЕН НА УЛИЦЕ МРАК РАЗ УЖ БЕЗГЛАСЕН –305 (299) ЧЕШИ В СВОЙ ТРЕЙЛЕР-ПАРК!
ДЖИММИ (рэп) И ЭТО САТИРА? РЭП ТВОЙ ПОЗОРЕН РЭП ДЛЯ СОРТИРА, СТИЛЬ ДЛЯ ЗАБОРА. МНОГО ЗЛОБЫ, ДА НЕТ МАСШТАБА ШОБЛА ШЕСТЕРОК, БАЗАРНЫЕ БАБЫ ТАК Я НАЦИСТ? СКАЗАНО СМЕЛО. НО ЧЕРНЫХ РАСИСТОВ НЕ МЕНЬШЕ, ЧЕМ БЕЛЫХ СТРЁМНО, СЕСТРИЧКИ: ВЫ — ДИЛЕТАНТЫ БАНТЫ В КОСИЧКИ И РЕЖЬТЕСЬ В ФАНТЫ ПРОГНАЛ САМ ТЫ ПРО ЛУЖУ ГОВНА - ЛУЖА ПОЛНА И ТЕБЯ ЖДЕТ ОНА. МОЯ ВИНА: НЕ ВЫКАЗАЛ СТРАХА В ГОНКЕ КРОЛИКА С ЧЕРЕПАХОЙ ЕСЛИ Я НАЦЦИ – ТЫ ПЛОД МАСТУРБАЦИИ ДЕЛАНЫЙ ПАЛЬЦЕМ ИЛЬ МНЕ ПОЛАГАЛОСЬ БЫ ОБЛАЖАТЬСЯ? ЗДЕСЬ СТРЕЛЫ И ЛУК - ТАМ ЧУГУННЫЙ УТЮГ… ЧТО Ж, ДЛЯ ЖОПЫ БЕЛОЙ ВОСЕМЬ МИЛЬ НЕ КРЮК.Annexe 2.Retraduction vers l’anglais de la version en rimes d’Usachov (par Andrey Shilov)1313.La traductrice s’est chargée de la version française des annexes. Cette traduction est approximative : aucune attention n’a été prêtée aux rimes ni au rythme, et le niveau de langage n’est peut-être pas tout à fait équivalent, bien que des efforts aient été réalisés à ce niveau-là.
Liketty Split:He is a false* rapper. Did he surrender to muteness? Should I deal a final blow or Did he die** anyway? ABAA |
Liketty Split:C’est un faux rappeur. Il a abandonné et est devenu muet ? J’devrais porter le coup final ou Il est d’toute façon déjà mort? |
* un mot d’argot de jeunes est utilisé ** un verbe désobligeant est utilisé |
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Your strained squeak
Isn’t worth a pin.
You will sit in a paddle*
Of liquid shit.
ABAB
|
Tes couinements tendus
Valent pas un clou.
T’es dans une marre
De merde liquide.
|
*un jeu de mot: en russe, ‘to sit in a paddle’ veut dire ‘se couvrir de honte’ |
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You are not from Detroit
Bury yourself in asphalt
Line up one behind the other,
Nazi’s bastard*
AAAB
|
T’es pas de Detroit
Enterre-toi toi-même dans le bitume
Mets-toi en ligne derrière l’autre,
Bâtard de nazi
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*référence à une expression russe ‘le bâtard d’une pute’ |
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Nicht schissen,* give up!
Appreciate** the mix
Of Vanilla Ice
And [bitch] Britney Spears.
ABAB
|
Nicht schissen, abandonne !
Profite du mix
De Vanilla Ice [rappeur américain]
Et [la salope de] Britney Spears.
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* les mots sont écrits en alphabet cyrillique. Ne veut rien dire en russe, ne fait pas référence à une traduction/citation connue etc. mais sonne très allemand ** un mot d’argot de jeunes est utilisé |
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Pop-* and country-music rats
Stink here.
Are you scared?**
Get out,*** even more so!
ABBA
|
Des rats qui aiment la musique pop et country
Ça pue ici.
T’as peur?
Dégage, va bien loin !
|
* un mot péjoratif connu est utilisé pour ‘musique pop’ ** en russe, ressemble à ‘t’as fait dans ton froc’, c’est-à-dire ‘t’as chié dans ton froc’ (de peur) *** littéralement un cri péremptoire après un chat |
|
The truth can’t be hidden.
Who are you, guy?
White ragamuffin
With beat mug.
|
La vérité peut pas être cachée.
T’es qui, mec?
Un galopin blanc
Avec une gueule défoncée.
|
ABAB
The Rabbit is tame,
He is Future’s helper.
As if Future
Is loaded with carrots.
AAAA
|
Le Lapin est apprivoisé,
C’est l’assistant de Future.
Comme si Future
Était bourré de carottes.
|
Suck a carrot
Untill you get tired.
Future isn’t too proud,
He’ll get it for you.
ABAB
|
Suce une carotte
Jusqu’à ce que tu sois fatigué.
Future est pas trop fier,
Il la prendra pour toi.
|
This little district is dangerous,
The streets are gloomy.
Since you are dumb —
|
Ce p’tit quartier est dangereux,
Les rues sont lugubres.
Puisque t’es stupide —
|
Go away* to you trailer-park.
ABAB
|
Retourne dans ta caravanne.
|
* un mot d’argot est utilisé |
|
Jimmy:
Is that satire?
Your rap is disgraceful.
That rap is for a toilet,*
That style is for a fence.**
ABAB
|
Jimmy:
C’est une satire ?
Ton rap est scandaleux.
Ce rap est pour les chiottes,
Ce style est pour un receleur.
|
* un mot familier est utilisé ** référence à l’expression russe ‘near a fence’, c.-à-d., ‘sans-abri’, ‘vulgaire’ |
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There is a lot of anger
But there is no size.
A gang* of gofers,
Fishwives.**
ABCB
|
Y a plein de haine
Mais y a pas de taille.
Une bande d’hommes à tout faire,
Des poissonnières.
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* un mot d’argot rare est utilisé ** la définition d’une personne bavarde, acariâtre, bruyante, de n’importe quel sexe, littéralement ‘vendeuses de marché’ |
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So I am Nazi?
It’s a brave definition.
But amount of black racists
Isn’t smaller than of white ones.
ABAB
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Donc je suis nazi?
C’est une définition courageuse.
Mais la quantité de racistes noirs
Est pas plus petite que celle des blancs.
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It’s strange, sisters,
You are dabblers.
Put bows in your braids
And play* forfeits.
ABAB
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C’est bizarre, mes soeurs,
Vous êtes des amateurs.
Mettez des noeuds dans vos tresses
Et déclarez forfait.
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* un verbe d’argot est utilisé, créant l’image d’un jeu pour hommes |
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You yourself told*
About the paddle of shit.
The paddle is full
And it’s waiting for you.
ABBB
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T’as déblatéré toi-même
De la mare de merde.
La mare est pleine
Et elle t’attend.
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* un verbe d’argot de jeunes est utilisé avec le sens exact de ‘dire des bêtises’ |
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It’s my fault, I didn’t show a fear
About the turtle-and-rabbit race.
ABCB
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C’est ma faute, j’ai pas montré de peur
À propos de la course entre la tortue et le lapin.
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If I am Nazi
Then you are a result of masturbation*
You’ve been made with a finger.
So is it me who should disgrace oneself**?
AAAA
|
Si j’suis nazi
Alors t’es le résultat de masturbation
T’as été fait avec un doigt.
Alors, c’est moi qui devrais me couvrir de honte?
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* un jeu de mots: ‘le résultat d’une action’ peut être décrit en russe comme ‘le fruit de quelque chose’. En russe, le même mot peut être utilisé pour ‘fruit’ et ‘foetus’ ** un mot d’argot de jeunes est utilisé |
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Arrows and bow are here,
Cast-iron iron is there
Well eight miles are not too far
For a white ass.*
AABA
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Les flèches et l’arc sont là,
Le fer en fonte est là
Eh bien huit miles c’est pas trop loin
Pour un cul blanc.
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* référence au proverbe russe ‘sept versts ne sont pas trop loin pour un chien fou’ |
Annexe 3.Le texte original (battle entre Lyckety-Splyt et Jimmy)
Lyckety-Splyt:
This guy’s a choke artist
You catch a bad one
You better off shooting yourself
With Papa Doc’s handgun
|
Lyckety-Splyt:
Ce mec est un loser
Tu t’en prends une dans la face
Tu f’rais mieux de te tirer une balle
Avec le flingue de Papa Doc
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Climbing up this mountain
You’re weak
I leave you lost without a paddle
Floating up shits creek
|
En montant cette montagne
T’es un faible
J’te laisse sans rames
Flotter dans cette mare de merde
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You ain’t Detroit
I’m the D, you the new kid on the block
But to get smacked back to the boondocks
|
T’es pas Detroit
Je suis le D, toi le nouveau du quartier
Prends-toi une raclée et retourne au bled
|
Fuckin’ nazi, your squad ain’t your type
Take some real advice
Form a group with Vanilla Ice
|
Putain de nazi, ta bande est pas d’ton genre
Un bon conseil
Forme un groupe avec Vanilla Ice
|
And what I tell you, you better use it
This guy’s a hillbilly
This ain’t Willie Nelson music
|
Et ce que je te dis, tu f’rais mieux de l’utiliser
Ce mec est un plouc
C’est pas la musique de Willie Nelson
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Trailer trash
I choke you to your last breath
Have you look foolish
Like Cheddar Bob when he shot hisself
|
Espèce de moins que rien
J’t’étouffe jusqu’à ton dernier souffle
Je te ridiculise
Comme Cheddar Bob quand il s’est tiré dessus
|
Silly Rabbit — I know why you called that
Cause you follow Future
Like he got carrots up his ass crack
|
Stupide Lapin – j’sais pourquoi on t’appelle comme ça
Parce que tu suis Future
Comme s’il avait des carottes dans la fente de son cul
|
And when you acted up
That’s when you got jacked up
Stupid like Tina Turner when she got smacked up
|
Et quand tu fais l’idiot
C’est là que tu t’emballes
Stupide comme Tina Turner quand elle s’est pris une raclée
|
I’ll crack your shoulder blade
You’ll get drop so hard that Elvis’ll start turning
his grave
|
J’vais t’péter l’omoplate
Je vais tellement te défoncer qu’Elvis va commencer à s’retourner dans sa tombe
|
Why’d they let you running out in the dark?
You need to take your white ass
Across 8 Mile to the trailer park
|
Pourquoi ils te laisseraient sortir en courant dans le noir?
T’as besoin d’emmener ton cul blanc
De l’autre côté de 8 Mile jusqu’au parc de caravanes
|
Jimmy:
This guy raps like his parents jerked him
He sounds like Eric Sermon
The generic version
|
Jimmy:
Ce mec rap comme si ses parents l’avaient secoué
Il parle comme Eric Sermon
La version générique
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This whole crowd looks suspicious
It’s all dudes in here, except for these bitches
So, I’m a German, eh?
That’s okay
You look like a fuckin’ worm with braids
|
Toute cette foule semble suspecte
Y a que des mecs ici, à part ces salopes
Donc, j’suis allemand, hein?
C’est pas grave
Toi tu ressembles à un putain de ver avec des tresses
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These Leadaz Of Tha Free World rookies
Lookie
How can 6 dicks be pussies?
|
Ces Leaders Du Monde Libre, des bleus
Regarde
Comment 6 bites peuvent être des chattes?
|
Talk about shits creek?
Bitch you could be up piss creek
With paddles this deep — you’d still sink
|
On parle de mare de merde?
Salope, tu pourrais être dans une mare de pisse
Avec des rames profondes comme ça — tu t’noierais quand même
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You’re a disgrace
Ya they call me Rabbit — this is a turtle race
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T’es une honte
Ouais on m’appelle Rabbit [lapin], c’est une course de tortues
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He can’t get with me,
spittin’ this shit wickedly
Lickety-shot
A-spicha-spicketly
split lickety
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Il peut pas me rattraper
Crachant cette merde méchamment
Coup de Lickety
A-spicha-spicketly
split lickety
|
Now I’m gonna turn around with a great smile
And walk my white ass back across 8 Mile
|
Maintenant j’vais me retourner avec un grand sourire
Et ramener mon cul de blanc à travers 8 Mile
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