TraductionLe traitement des métaphores dans les sous-titres [How metaphors are rendered in subtitles]
Résumé
Au cours des dernières décennies, les métaphores en tant que problème de traduction ont fait l’objet d’études approfondies. Cependant, peu de ces études portent sur le sous-domaine de la traduction audiovisuelle, ce qui est surprenant. En effet, ce mode de traduction, en particulier le sous-titrage, présente des contraintes particulières qui compliquent la traduction des métaphores qu’il s’agisse de l’interaction entre le dialogue, l’image et les sous-titres ou bien d’importantes contraintes de temps et d’espace. Cet article examine le traitement des métaphores dans le sous-titrage suédois de la sitcom britannique Yes, Prime Minister. Les résultats de l’étude démontrent que les sous-titreurs considèrent les métaphores comme des caractéristiques linguistiques importantes qu’ils auraient moins tendance à omettre que d’autres lors de la traduction. De plus, contrairement aux métaphores transculturelles, davantage de stratégies sont employées pour sous-titrer les métaphores monoculturelles (propres à une seule culture). Les métaphores sont aussi traitées différemment dans les sous-titres en fonction de leur ancrage culturel. En général, la traduction des métaphores entraîne une perte de force métaphorique, mais il est nécessaire d’approfondir les recherches afin de démontrer si cette perte est propre à ce médium, ou s’il s’agit d’un effet général de traduction lié à une normalisation grandissante.
Keywords:
Table des matières
- Résumé
- Mots clés
- 1.Introduction
- 2.Les métaphores
- 3.La traduction des métaphores
- 8.Conclusion
- Remarques
- Bibliographie
- Adresse de correspondance
1.Introduction
En 1976, Menachem Dagut considérait que la traduction des métaphores était un domaine trop peu étudié. Il aurait été satisfait de voir le nombre d’études menées depuis, notamment par d’éminents universitaires tels que Van Den Broeck (1981)Van den Broeck, Raymond 1981 “The Limits of Translatability Exemplified by Metaphor Translation.” Poetics Today 2 (4): 73–84. ; Newmark (1988)Newmark, Peter 1988 A Textbook of Translation. Harlow: Longman.; Toury (1995)Toury, Gideon 1995 Descriptive Translation Studies – and Beyond. Amsterdam: John Benjamins. ; Lindqvist (2002)Lindqvist, Yvonne 2002 Översättning som social praktik: Tony Morrison och Harlequinserien på svenska [Translation as a social practice: Tony Morrison and the Harlequin series in Swedish]. Acta Universitatis Stockholmiensis, Stockholm Studies in Scandinavian Philology New Series 26. Stockholm: Almqvist & Wiksell.; Dickins (2005)Dickins, James 2005 “Two Models for Metaphor Translation.” Target 17 (2): 227–273. ; Shäffner et Shuttleworth (2013)Schäffner, Christina, and Mark Shuttleworth 2013 “Metaphor in Translation: Possibilities for Process Research.” Target 25 (1): 93–106. . Bien que récemment, quelques chercheurs aient commencé à s’y intéresser (par exemple Iranmanesh et Kaur 2014Iranmanesh, Ahmad, and Kulwindr Kaur 2009 “The Translation of Metaphors in the Subtitling of the American Film Sin City into Persian.” In The Sustainability of the Translation Field. The 12th International Conference on Translation, 2009, ed. by Hasuria Che Omar, Haslina Haroon, and Aniswal Abd. Ghani, 164–171. Kuala Lumpur: Perpustakaan Negara Malaysia., Schmidt 2014Schmidt, Goran 2014 “Metaphor Translation in Subtitling.” In Linguistics, Culture and Identity in Foreign Language Education, ed. by Azamat Akbarov, 832–840. Sarajevo: IBU Publications.; Iranmanesh 2014Iranmanesh, Ahmad 2014 Translation of Metaphors into Persian in the Subtitling of American Movies. PhD thesis University of Malaya. http://studentsrepo.um.edu.my/4594/1/Translation_of_Metaphors_into_Persian_in_the_Subtitling_of_American_Movies.pdf. Accessed July 3, 2016.; Pedersen 2015 2015 “On the Subtling of Visualised Metaphors.” Journal of Specialized Translation 23. http://www.jostrans.org/issue23/art_pedersen.php. Accessed February 20, 2016.), la traduction des métaphores reste peu étudiée en traduction audiovisuelle (TAV), sous-domaine en plein essor. D’une part, ce faible nombre d’études peut s’expliquer par l’intérêt tout récent que les chercheurs portent à la TAV. D’autre part, cela reste toutefois surprenant puisque la TAV, et particulièrement le sous-titrage, est régie par des contraintes bien spécifiques. Dans un précédent article (Pedersen 2015 2015 “On the Subtling of Visualised Metaphors.” Journal of Specialized Translation 23. http://www.jostrans.org/issue23/art_pedersen.php. Accessed February 20, 2016.), j’ai étudié l’interaction entre le dialogue, l’image et la traduction, toujours problématique dans le sous-titrage. Iranmanesh (2014)Iranmanesh, Ahmad 2014 Translation of Metaphors into Persian in the Subtitling of American Movies. PhD thesis University of Malaya. http://studentsrepo.um.edu.my/4594/1/Translation_of_Metaphors_into_Persian_in_the_Subtitling_of_American_Movies.pdf. Accessed July 3, 2016., quant à lui, a examiné l’application de schémas cognitifs sur les métaphores dans le sous-titrage. Toutefois, il reste encore beaucoup à découvrir sur ce sujet captivant. Cet article se propose de répondre aux questions suivantes :
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Il existe une condensation des éléments verbaux du texte source (TS) vers les sous-titres du texte cible (TC). Cela affecte-t-il les métaphores ?
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Il existe différents types de métaphores. Cela se reflète-t-il dans les sous-titres ?
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Certaines métaphores sont transculturelles, connues aussi bien dans la culture source que dans la culture cible, alors que d’autres, les métaphores monoculturelles, ne le sont pas. Cela se reflète-t-il sur la façon dont les métaphores sont traitées dans les sous-titres ?
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En théorie, les métaphores monoculturelles devraient être les plus difficiles à sous-titrer. Est-ce vraiment le cas ?
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Le traitement des métaphores dans le sous-titrage suit-il la théorie élaborée par Dagut et ses successeurs, comme c’est le cas dans d’autres formes de traduction, ou les métaphores sont-elles traitées différemment ?
Cet article a pour but de répondre à ces questions en examinant la façon dont les métaphores de la sitcom Yes, Prime Minister (Jay & Linn 1986–1988Yes Prime Minister 1986–1988 Anthony Jay and Jonathan Lynn. UK, BBC) sont traitées dans les sous-titres suédois.
2.Les métaphores
Selon le courant auquel se rattache le chercheur, les métaphores sont définies et décrites de bien des manières. De la même façon, un nombre conséquent de termes est utilisé pour qualifier le mécanisme métaphorique. Cependant, cela ne fera pas l’objet d’une étude approfondie dans cet article. Ce dernier fera simplement état des termes et définitions utilisés dans la présente étude, qui est, après tout, centrée sur la traduction. Pour une analyse plus approfondie, le lecteur est invité à consulter mon article de 2015. Pour faire simple, nous utiliserons la définition que donne Aristote de la métaphore : « Un mot transporté de sa signification propre à une autre signification » (cité par Lakoff et Johnson 1980Lakoff, George, and Mark Johnson 1980 Metaphors We Live By. Chicago, IL: The University of Chicago Press., 5 et traduit par Ch. Batteux 1874). Par exemple, lorsqu’il cherche à convaincre les Britanniques que leur pays serait invincible, Sir Humphrey Appleby exhorte : « Nous avons une baguette magique appelée Trident11.Les exemples tirés du corpus ont tous été traduits par nos soins, en français, pour permettre une meilleure compréhension. “We have a magic wand called Trident”. » (1:2, 5.45), expliquant comment Trident, un nouveau système d’arme nucléaire, résoudrait selon lui tous les problèmes de défense du pays. Cette déclaration est métaphorique puisque Trident n’est pas une baguette magique mais un missile nucléaire. Selon la notation des métaphores conceptuelles (cf. Lakoff et Johnson 1980Lakoff, George, and Mark Johnson 1980 Metaphors We Live By. Chicago, IL: The University of Chicago Press.), elle serait exprimée par une arme est un outil magique.
Dans cette étude, nous éviterons d’employer une multitude de termes différents et nous nous contenterons de ceux définis par Goatly (2007)Goatly, Andrew 2007 The Language of Metaphors. London: Routledge. : la topique est l’élément décrit (le système d’arme nucléaire dans l’exemple ci-dessus), le véhicule est l’élément utilisé pour le décrire (la baguette magique) et le point commun entre les deux s’appelle l’idée de base. Ce dernier est tout aussi important puisque les métaphores ne projettent pas toutes les significations du véhicule sur la topique. Si tel était le cas, il ne s’agirait pas de métaphores. Comme le soulignent Lakoff et Johnson (1980Lakoff, George, and Mark Johnson 1980 Metaphors We Live By. Chicago, IL: The University of Chicago Press., 13), « la structuration métaphorique impliquée ici est partielle et non totale. Si elle était totale, un concept en serait réellement un autre22.Lakoff, G. et Johnson, M. (1985) Les métaphores dans la vie quotidienne. Traduction par M. de Fornel. Paris : Éditions de Minuit. La citation originale est la suivante : “the metaphorical structuring involved here is partial, not total. If it were total, one concept would actually be the other” (1980, 13). ». Il convient également de noter, comme le fait Dickins (2005Dickins, James 2005 “Two Models for Metaphor Translation.” Target 17 (2): 227–273. , 233), qu’il n’y a pas besoin d’un réel point commun entre la topique et le véhicule, une simple similitude suffit. Les métaphores ont des forces différentes (Dagut 1976Dagut, Menachem 1976 “Can “Metaphor” Be Translated?” Babel 22 (1): 21–23. , 23–24) : elles vont de celles qui sont complètement mortes à celles entièrement nouvelles et originales. Ces dernières sont celles auxquelles s’intéressent en général les théoriciens. Par exemple, pour Dagut, seules les métaphores originales sont des métaphores. Cependant, cette conception a changé quand Lakoff et Johnson ont publié leur très influente monographie Les métaphores dans la vie quotidienne en 1980Lakoff, George, and Mark Johnson 1980 Metaphors We Live By. Chicago, IL: The University of Chicago Press.. Ils y introduisent la notion de métaphores conceptuelles et font remarquer que la plupart des utilisations linguistiques quotidiennes sont en fait métaphoriques (1980, 56). Cela nous amènerait à l’autre bout du spectre, celui où les métaphores sont mortes, comme c’est le cas de presque toutes les utilisations des prépositions spatiales, telles que to (moins) et past (et) pour donner l’heure en anglais (exemple : “half past twelve”).33. Half past twelve serait donc traduit par « midi et demi » en français. De nombreux théoriciens (Van Den Broeck 1981Van den Broeck, Raymond 1981 “The Limits of Translatability Exemplified by Metaphor Translation.” Poetics Today 2 (4): 73–84. ; Newmark 1988Newmark, Peter 1988 A Textbook of Translation. Harlow: Longman.; Dickins 2005Dickins, James 2005 “Two Models for Metaphor Translation.” Target 17 (2): 227–273. ou Lindqvist 2005 2005 Högt och lågt i skönlitterär översättning till svenska. Uppsala: Hallgren och Fallgren.) s’accordent à dire qu’il existe une échelle (ou continuum), établie sur la force des métaphores, allant de la métaphore morte à la métaphore originale. Cette force augmente inversement à son ancrage culturel : moins une image est ancrée, plus sa force métaphorique est élevée. Cependant, ce continuum peut se diviser de différentes façons. Van den Broeck (1981Van den Broeck, Raymond 1981 “The Limits of Translatability Exemplified by Metaphor Translation.” Poetics Today 2 (4): 73–84. , 75) fait la distinction entre les métaphores lexicalisées, conventionnelles et privées. De la même manière, Lindqvist (2005 2005 Högt och lågt i skönlitterär översättning till svenska. Uppsala: Hallgren och Fallgren., 119, ma traduction)44.Pedersen indique qu’il a traduit lui-même les termes d’origine : il a utilisé dead, conventional et novel images. les classe dans les catégories images mortes, conventionnelles et nouvelles. Newmark (1988Newmark, Peter 1988 A Textbook of Translation. Harlow: Longman., 106) propose des sous-divisions plus détaillées. Il commence par les catégories suivantes : les métaphores mortes que « nous utilisons sans nous en rendre compte », les métaphores clichées (segments de phrases plutôt éculés), et les métaphores standard55.Ces métaphores sont également connues sous le nom de métaphores stock. Nous aurons ici pris la liberté d’utiliser le terme « standard ». (des images conventionnelles utilisées quotidiennement). Il passe ensuite aux métaphores adaptées (des variations de métaphores existantes), puis aux métaphores récentes qu’il qualifie de « néologismes métaphoriques, d’origine “inconnue” qui se sont rapidement diffusés dans la LS »66.Les citations de Newmark ont été traduites par nos soins car aucune traduction officielle n’a été trouvée. La citation originale est la suivante : “a metaphorical neologism, often ‘anonymously’ coined, which has spread rapidly in the SL”. (111), et finit par les métaphores originales.
En 2005, James Dickins a élaboré deux modèles de traduction des métaphores selon les catégories de Newmark. Dickins a soigneusement étudié et mis à jour ces catégories en supprimant celle des métaphores clichées, car celles-ci « ressemblent à des métaphores standard qui ne sont pas appréciées par les locuteurs77.Le traducteur aura ici pris la liberté d’étoffer la citation pour permettre une meilleure compréhension.La citation originale est la suivante : “a cliché metaphor seems rather like a stock metaphor which one happens to particularly dislike” (2005, 238). » (2005, 238). C’est entre les métaphores lexicalisées et non-lexicalisées (232) que Dickins fait la distinction la plus importante : les métaphores lexicalisées ont des définitions fixes et des interprétations métaphoriques établies. Ceci est important du point de vue de la traduction puisque les métaphores lexicalisées ont tendance à avoir des équivalents dans d’autres langues, tandis que les métaphores non-lexicalisées n’en ont pas. Ainsi, l’adaptation que fait Dickins de la catégorisation de Newmark est la suivante :
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Lexicalisées : métaphores mortes, standard et récentes (242).
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Non-lexicalisées : métaphores adaptées et originales.
La distinction entre les métaphores mortes et les métaphores standard se présente ainsi : « Si le véhicule est perçu de façon évidente, il s’agit d’une métaphore standard. Si ce n’est pas le cas, il s’agit d’une métaphore morte88.La citation originale est la suivante : “if the vehicle is fairly prominently perceived, we have a stock metaphor; if not, we have a dead metaphor.” » (241). De ce fait, les métaphores mortes sont ce qu’un locuteur moyen de la langue ne considérerait normalement pas comme une métaphore. Dans les métaphores standard, les locuteurs identifient le véhicule, mais il n’est généralement pas au premier plan. Les métaphores récentes ressemblent aux métaphores standard à la différence qu’elles n’ont pas trouvé leur place dans le dictionnaire, contrairement aux métaphores lexicalisées (par exemple, l’Oxford English Dictionary recense les utilisations des métaphores sous l’entrée principale). Les métaphores adaptées sont non-lexicalisées, mais possèdent un élément lexicalisé dans le sens où elles se basent sur des métaphores lexicalisées (238). Dans cette étude, l’adaptation que fait Dickins de la taxonomie de Newmark sera utilisée avec quelques ajustements (cf. partie 5).
3.La traduction des métaphores
Dans le domaine de la traduction, le degré de transférabilité de l’image d’un véhicule, c’est-à-dire la transculturalité de l’image, est une des spécificités des métaphores qu’il faut prendre en compte (Pedersen 2011Pedersen, Jan 2011 Subtitling Norms for Television. An Exploration Focussing on Extralinguistic Cultural References. Amsterdam: John Benjamins. , 106–110). Au travers du concept de la transculturalité, je mets en avant la distance culturelle entre la culture source (CS) et la culture cible (CC). Je l’ai développé pour l’utiliser dans le cas d’un transfert de références culturelles extralinguistiques. En clair, une référence est transculturelle si elle est connue aussi bien dans la CS que dans la CC, et monoculturelle si elle n’est connue que dans la CS (le fait qu’elle soit aussi connue dans d’autres cultures n’a pas d’importance dans le contexte de traduction).99.Utiliser une troisième catégorie, celle des références infraculturelles, connue seulement par un nombre négligeable de personnes membres de la CS, n’est pas pertinent ici. Cette distinction est importante, puisque ce sont principalement les références monoculturelles qui posent des problèmes de traduction. La transculturalité, quant à elle, est un aspect important de la traduction des métaphores car elle met en relation deux cultures : la CS et la CC. Les métaphores ne varient pas seulement entre les langues mais aussi entre les cultures, comme le démontre une métaphore telle que grasping the nettle 1010.Littéralement cette expression idiomatique se traduirait par « saisir l’ortie ». Son équivalent français serait « prendre le taureau par les cornes ». (translator’s note) qui est une métaphore britannique qui n’est pas utilisée aux États-Unis (cf. Pedersen 2015 2015 “On the Subtling of Visualised Metaphors.” Journal of Specialized Translation 23. http://www.jostrans.org/issue23/art_pedersen.php. Accessed February 20, 2016.). Comme le montrent des recherches antérieures telles que celles de Van den Broeck (1981Van den Broeck, Raymond 1981 “The Limits of Translatability Exemplified by Metaphor Translation.” Poetics Today 2 (4): 73–84. , 77) et Newmark (1988Newmark, Peter 1988 A Textbook of Translation. Harlow: Longman., 109), certaines images sont utilisées de manière identique ou similaire dans plus d’une culture. Cependant, leurs caractéristiques transculturelles ne semblent pas avoir été utilisées en tant que concept de base dans les principales recherches empiriques sur les métaphores dans le cadre de la traductologie descriptive (voir les études de cas de Iranmanesh et Kaur [2009]Iranmanesh, Ahmad, and Kulwindr Kaur 2009 “The Translation of Metaphors in the Subtitling of the American Film Sin City into Persian.” In The Sustainability of the Translation Field. The 12th International Conference on Translation, 2009, ed. by Hasuria Che Omar, Haslina Haroon, and Aniswal Abd. Ghani, 164–171. Kuala Lumpur: Perpustakaan Negara Malaysia. et Schmit [2014]). Néanmoins, étudier ce concept reste tout à fait pertinent ici puisque les métaphores monoculturelles poseraient plus de problèmes de traduction et nécessiteraient donc plus de réflexion lors de la traduction (Lörscher 1991Lörscher, Wolfgang 1991 Translation Performance, Translation Process, and Translation Strategies: A Psycholinguistic Investigation. Tübingen: Gunter Narr., 88) que les métaphores transculturelles. Ainsi, cette recherche suppose que les métaphores monoculturelles posent plus de problèmes de traduction que les métaphores transculturelles, et, par conséquent, donnent lieu à l’emploi de stratégies de traduction plus variées.
3.1Les stratégies de traduction des métaphores
Après avoir défini ce que sont les métaphores et la façon dont elles sont reliées d’un point de vue interlinguistique, je vais étudier comment elles peuvent être traduites. Selon Toury (1995Toury, Gideon 1995 Descriptive Translation Studies – and Beyond. Amsterdam: John Benjamins. , 82), du point de vue du TS, il existe essentiellement quatre stratégies : traduire la métaphore par la « même » métaphore, par une métaphore « différente », par une non-métaphore, ou par omission (non-remplacement de la métaphore du TS). Du point de vue du TC, il existe deux autres stratégies (83), à savoir le remplacement d’une non-métaphore et l’ajout d’une métaphore là où il n’y a rien dans le TS. Ces deux stratégies peuvent être utilisées comme stratégies de compensation.
Van den Broeck1111.Les citations de Van den Broeck ont été traduites par nos soins car aucune traduction officielle n’a été trouvée. (translator’s note) (1981Van den Broeck, Raymond 1981 “The Limits of Translatability Exemplified by Metaphor Translation.” Poetics Today 2 (4): 73–84. ) propose une taxonomie similaire, bien qu’elle ne comprenne que trois stratégies. La première est la traduction stricto sensu, soit le transfert du même véhicule dans le TC. Il établit une distinction assez importante : « La métaphore sera idiomatique si le “véhicule” dans la LS [langue source] correspond à celui de la LC [langue cible]1212.La citation originale est la suivante : “the ‘vehicles’ in the SL [source language] and TL [target language] correspond, the resulting metaphor will be idiomatic.” (translator’s note) » tandis que « la métaphore sera soit une anomalie sémantique, soit une innovation audacieuse si les ‘‘véhicules’’ de la LS et de la LC sont différents1313.La citation originale est la suivante : “if the ‘vehicles’ in SL and TL differ, the resulting metaphor will be either a semantic anomaly or a daring innovation.” (translator’s note) » (77). De ce fait, il prend en compte la transculturalité lors de l’interprétation des résultats de cette stratégie (il revient à chacun de décider si ce sont des « anomalies » sémantiques ou des « innovations »). Ses deux autres stratégies sont la substitution (par une métaphore différente ayant une topique similaire) et la paraphrase, qui correspondrait à la non-métaphore de Toury. Il semblerait qu’il ait laissé de côté l’omission et la compensation tout en limitant sa liste à ces trois stratégies (ibid.). Dans ses recherches sur les métaphores dans les romans de gare et la littérature classique, Lindqvist (2005 2005 Högt och lågt i skönlitterär översättning till svenska. Uppsala: Hallgren och Fallgren., 121) s’approprie les stratégies de Toury et de Van den Broeck. Dans sa taxonomie, elle reprend les six catégories de Toury et quelques-unes des définitions de Van den Broeck. Dans la partie 5 de mon article, j’utiliserai sa classification des stratégies de traduction tout en faisant quelques ajustements pour qu’elle s’adapte aux contraintes propres au sous-titrage.
3.2Les métaphores dans le sous-titrage
Cet article se concentre sur le traitement des métaphores dans le sous-titrage. Cependant, trois conditions font de cet exercice une forme de traduction unique (pour une argumentation plus poussée, le lecteur est invité à consulter Ivarsson et Carrol 1998Ivarsson, Jan, and Mary Carroll 1998 Subtitling. Simrishamn: TransEdit.; Díaz Cintas et Remael 2007Díaz Cintas, Jorge, and Aline Remael 2007 Audiovisual Translation: Subtitling. Manchester: St. Jerome., ou Pedersen 2011Pedersen, Jan 2011 Subtitling Norms for Television. An Exploration Focussing on Extralinguistic Cultural References. Amsterdam: John Benjamins. ).
Premièrement, le sous-titrage est une forme de traduction diagonale (Gottlieb 2001Gottlieb, Henrik 2001 Screen Translation. Six Studies in Subtitling, Dubbing and Voice-over. Copenhagen: Center for Translation Studies, University of Copenhagen., 16). La traduction consiste à passer de la LS écrite à la LC écrite et l’interprétariat de la LS orale à la LC orale. Le sous-titrage, quant à lui, consiste, en général, à passer de la LS orale à la LC écrite. Ce processus, qui implique un changement aussi bien de langue que de mode d’expression, affecte grandement le TC, puisque l’écrit et l’oral suivent des normes différentes. De plus, la juxtaposition du TS et du TC, bien que de modes différents, a en elle-même des conséquences . Concernant les combinaisons linguistiques telles que l’anglais et le suédois, une grande partie du public cible connaît suffisamment la LS pour se permettre de critiquer toutes les différences notables entre le TS et le TC, et ne se prive pas de le faire. C’est pour cela que le sous-titrage est parfois qualifié comme étant le sous-domaine le plus vulnérable de la traduction (Díaz Cintas et Remael 2007Díaz Cintas, Jorge, and Aline Remael 2007 Audiovisual Translation: Subtitling. Manchester: St. Jerome., 55). Dans cette étude, cela signifie que le public cible est capable de remarquer si le véhicule d’une métaphore est remplacé par un autre.
Deuxièmement, le sous-titrage fait partie d’un texte polysémiotique (Gottlieb 2004 2004 “Subtitles and International Anglification.” In Worlds of Words. A Tribute to Arne Zettersten, ed. by Cay Dollerup, special issue of Nordic Journal of English Studies 3 (1): 219–230. , 227) où le message est diffusé au travers de plusieurs canaux sémiotiques. Le sous-titre doit non seulement coexister avec le canal audio verbal (le dialogue), le canal audio non-verbal (la musique et les effets sonores) ainsi que les deux canaux visuels : l’un verbal (le texte à l’écran) et l’autre non-verbal (tous les éléments à l’écran). Quand une métaphore est illustrée à l’écran, cela peut engendrer de sérieux problèmes de traduction comme c’est parfois le cas dans le corpus de cette étude sur Yes, Prime Minister, tel que décrit dans mon article de 2015.
Enfin, le sous-titrage obéit à des contraintes de temps et d’espace connues de tous, qui influencent la plupart des décisions prises par les sous-titreurs. Je ne m’attarderai pas sur le temps d’affichage à l’écran et le nombre de caractères par seconde. Je me contenterai de mentionner qu’à la télévision suédoise, le texte du sous-titrage est réduit de 30 %. Cela signifie que les sous-titres subissent une perte d’environ 30 % par rapport au TS (Pedersen 2011Pedersen, Jan 2011 Subtitling Norms for Television. An Exploration Focussing on Extralinguistic Cultural References. Amsterdam: John Benjamins. , 21). Il s’agit d’un point très important à prendre en compte dans cette étude puisque cela limite les options du sous-titreur.
4.Le corpus
Le corpus utilisé dans cette étude est l’intégralité de la série télévisée britannique Yes, Prime Minister (Jay et Lynn 1986–1988Yes Prime Minister 1986–1988 Anthony Jay and Jonathan Lynn. UK, BBC). L’histoire se déroule au 10 Downing Street1414.Le 10 Downing Street est le lieu de résidence du Premier ministre britannique. Ce terme est souvent utilisé comme métonymie pour référer au Premier ministre et à son gouvernement. (translator’s note) et tourne autour des difficultés entre le désir des politiciens de réformer la société et celui des fonctionnaires de maintenir le statu quo ou, comme ils le disent dans la série, « l’affrontement entre la volonté politique et l’involonté administrative1515.La citation originale est la suivante : “The clash between the political will and the administrative won’t.” (translator’s note) » (2 : 7, 16.09).1616.Pour faciliter le référencement, les exemples tirés du corpus seront annotés de la manière suivante : saison, épisode, minute et secondes. J’ai choisi ce corpus pour la richesse de son langage métaphorique, puisque les personnages font circuler de nombreuses idées reçues au travers de clichés éculés. C’est particulièrement le cas pour les deux personnages principaux de la série : le Premier ministre James « Jim » Hacker (Paul Eddington) et son secrétaire permanent Sir Humphrey Appleby (Nigel Hawthorne).
Pour cette étude, le corpus du TS est constitué de 2 saisons de 8 épisodes chacune, soit un total de 16 épisodes et 8 heures de visionnage. Dans le sous-titrage, selon la définition que j’en donne dans mon article de 2011 (204), le TC de cette étude se compose du TS et des sous-titres. Les sous-titres utilisés ici ne sont pas ceux d’origine, puisque ceux-ci ont été produits en interne par la société de diffusion du service public national suédois SVT (Sveriges Television) il y a près de 30 ans et que depuis, les normes ont grandement évolué dans ce domaine (pour en savoir plus à ce sujet, le lecteur est invité à consulter Pedersen 2011Pedersen, Jan 2011 Subtitling Norms for Television. An Exploration Focussing on Extralinguistic Cultural References. Amsterdam: John Benjamins. , 135–143). Les sous-titres ont été produits par BTI Studios Sweden et traduits par 13 sous-titreurs différents1717.Je remercie BTI Studios Sweden de m’avoir fourni les fichiers des sous-titres. La série a été sous-titrée au début des années 2000, soit après 1995, année souvent considérée comme un tournant dans le développement des normes de cette partie du monde (Schröter 2005Schröter, Thorsten 2005 Shun the Pun, Rescue the Rhyme? The Dubbing and Subtitling of Language-Play in Film. Karlstad: Karlstad University Studies., 130 ; Pedersen 2011Pedersen, Jan 2011 Subtitling Norms for Television. An Exploration Focussing on Extralinguistic Cultural References. Amsterdam: John Benjamins. , 141). Ainsi, il est possible de considérer qu’ils suivent les normes de sous-titrage actuellement en vigueur dans les pays scandinaves. Le grand nombre de sous-titreurs impliqués rend les résultats de cette étude plus objectifs sachant qu’aucun d’entre eux n’a traduit plus de 2 épisodes.
5.La méthodologie
Afin d’identifier les métaphores dans le corpus décrit ci-dessus, j’ai utilisé la même méthode que Lindqvist (2005) 2005 Högt och lågt i skönlitterär översättning till svenska. Uppsala: Hallgren och Fallgren. dans ses études. Elle a défini le concept de métaphore selon deux critères :
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le critère du mensonge (lögnkriteriet)1818.Pedersen traduit ce terme par lie criterion. (translator’s note) : le sens littéral de la figure de style est un mensonge et le sens figuré la vérité (117–118) ;
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le critère de divergence (avvikelsekriteriet)1919.Pedersen traduit ce terme par divergence criterion. (translator’s note) : un aspect grammatical ou sémantique du texte diverge de l’usage linguistique normal (118–119).
De ce fait, j’ai identifié manuellement 580 occurrences de langage figuratif, que j’ai extraites du corpus, au même titre que les contextes (verbaux et non-verbaux) et la traduction des sous-titres en suédois. Comme la sélection a été plutôt large, j’ai supprimé du premier échantillonnage 51 exemples d’usages linguistiques non figuratifs et 52 cas de tropes non-métaphoriques, ces derniers ayant été recatégorisés en tant que comparaisons et métonymies. Il reste donc 477 métaphores qui constituent le corps de l’analyse. Il convient de souligner que toutes les métaphores mortes, présentant peu d’intérêt pour cette recherche, n’ont pas été extraites puisque, en général, l’usage de la langue ne pose pas de problème d’un point de vue métaphorique (Lakoff et Johnson 1980Lakoff, George, and Mark Johnson 1980 Metaphors We Live By. Chicago, IL: The University of Chicago Press., 55). Les métaphores extraites ont été catégorisées selon la taxonomie de Dickins (2005)Dickins, James 2005 “Two Models for Metaphor Translation.” Target 17 (2): 227–273. :
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lexicalisées : mortes, standard et adaptées ;
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non-lexicalisées : récentes et originales.
Les classifications lexicographiques de l’Oxford English Dictionary (ou OED) (www.oed.com) servent de base à une élaboration aussi objective que possible de ma classification, cette dernière ayant cependant subi des changements au vu de l’apport de nouveaux éléments. Dans le but d’adapter mon étude aux critères actuels, j’ai mis de côté la catégorie des métaphores récentes, la série ayant été diffusée il y a plus d’une trentaine d’années. D’une part, si l’utilisation figurative de l’Ayatollah (YPM 2:4, 15.31) pouvait être vue comme une métaphore récente à la fin des années 1980, elle ne l’était plus lors de la réalisation des sous-titres. Cela ne justifiait donc pas la création d’une catégorie spécifique. D’autre part, en tenant compte du contexte et du script cela semblait évident d’ajouter deux catégories. La première est celle des métaphores filées, où la même métaphore conceptuelle est développée au travers de plusieurs exemples d’utilisation de la langue dans un même texte (Lakoff and Johnson 1980Lakoff, George, and Mark Johnson 1980 Metaphors We Live By. Chicago, IL: The University of Chicago Press., 247). La deuxième est celle des métaphores mixtes, parfois utilisées dans un objectif humoristique comme c’est le cas dans la série, et dont la nature interdiégétique est souvent mise en évidence.
Les limites entre chaque catégorie ont été déterminées grâce à l’utilisation de la classification OED de la manière suivante : une fois la métaphore identifiée, le mot-clé est vérifié dans l’OED. Si aucune occurrence du sens de la métaphore n’est trouvée, celle-ci est alors classée comme métaphore adaptée (si une expression similaire est décelable) ou métaphore originale (si ce n’est pas le cas). Les 2 nouvelles catégories ont été facilement définies : dans un même énoncé, s’il y a 2 métaphores incongrues ou plus, elles sont classées comme métaphores mixtes, et si 2 ou plus de 2 métaphores s’inspirent de la même métaphore conceptuelle, elles sont classées comme métaphores filées. Il est difficile de faire la distinction entre métaphore standard et métaphore morte car la limite entre les deux n’est pas claire. De ce fait, si l’OED désigne le mot-clé par l’abréviation fig. [figuratif] et lui attribue sa propre numérotation, il est alors question d’une métaphore standard. Au contraire, s’il est ajouté en tant qu’entrée alphabétique sous une numérotation déjà existante d’un sens précis, il est question de métaphore morte.
Abstraction faite de la catégorisation intralinguale basée sur la force métaphorique (Dagut 1976Dagut, Menachem 1976 “Can “Metaphor” Be Translated?” Babel 22 (1): 21–23. , 23–24), les métaphores sont également classées de manière interlinguale, qu’elles soient monolingues ou transculturelles. Là encore, une source externe a été utilisée pour le déterminer afin d’éviter une quelconque subjectivité car le suédois importe de plus en plus de caractéristiques linguistiques depuis l’anglais, y compris du langage figuratif. Ici, KorpKorp. http://spraakbanken.gu.se/korp/. Accessed February 17, 2016. (www.spraakbanken.gu.se/korp), un corpus en ligne de plusieurs millions de textes originaux écrits en suédois, a été utilisé afin d’établir si une image est présente à la fois en suédois et en anglais britannique. Si tel est le cas, la métaphore est alors transculturelle ; sinon, elle est monoculturelle. Si la recherche dans le corpus n’aboutit à aucun résultat ou donne seulement le sens littéral de la métaphore en question dans la LC, la métaphore est alors considérée comme monoculturelle. En revanche, si un grand nombre de résultats met en évidence qu’une même image est utilisée de manière figurative à la fois dans la LS et la LC, la métaphore est considérée comme transculturelle. Il est nécessaire de mentionner que ces classifications restent imprécises en raison du chevauchement de certaines catégories, comme c’est parfois le cas dans ce type d’étude (Dickins 2005Dickins, James 2005 “Two Models for Metaphor Translation.” Target 17 (2): 227–273. , 265). Toutefois, pour une grande majorité des cas, la séparation entre catégories est très nette.
Ainsi, les solutions de traduction sont classées selon la stratégie qui a été utilisée. La taxonomie des stratégies de Lindqvist (2005) 2005 Högt och lågt i skönlitterär översättning till svenska. Uppsala: Hallgren och Fallgren. a été adaptée pour répondre aux besoins de cette étude. Cette nouvelle taxonomie utilise des termes devenus courants en traductologie plutôt que d’employer le vocabulaire d’origine :
1.Transfert d’image
Le véhicule de la métaphore est conservé dans la traduction, qu’il soit ancré dans la LC ou non. C’est le cas pour les métaphores transculturelles et non pour les monoculturelles. En plus de toujours impliquer la traduction directe, cette stratégie inclut fréquemment des transpositions ou des modulations variées (Vinay et Darbelnet [1958] 2000Vinay, Jean-Paul, and Jean Darbelnet (1958) 2000 “A Methodology for Translation.” Translated by Juan C. Sager and M. J. Hamel. In The Translation Studies Reader, ed. by Lawrence Venuti, 84–93. London: Routledge., 88) comme la transposition d’un nom en adjectif. Quelles que soient les transformations concernées, si le véhicule est transféré dans le TC, il est possible de considérer que cette stratégie a été appliquée. Elle correspond à ce que Toury appelle la traduction de la « métaphore par la même métaphore » (1995, 82).
2.Substitution d’image
Le véhicule du TS est remplacé par un véhicule différent dans le TC qui partage la même idée de base pour que la topique reste identique. Cette stratégie correspond à ce que Toury appelle la traduction de la « métaphore par une métaphore différente » (1995, 82).
3.Réduction au sens
La métaphore est réduite à la topique sans qu’il y ait de véhicule. La topique peut être rendue par diverses paraphrases (Van den Broeck 1981Van den Broeck, Raymond 1981 “The Limits of Translatability Exemplified by Metaphor Translation.” Poetics Today 2 (4): 73–84. , 77), certaines pouvant être assez éloignées du sens original. Cette stratégie correspond à ce que Toury appelle la traduction de la « métaphore par une non-métaphore » (1995Toury, Gideon 1995 Descriptive Translation Studies – and Beyond. Amsterdam: John Benjamins. , 82).
4.Omission
La topique et le véhicule sont tous deux omis et rien ne les remplace. Cette stratégie correspond à ce que Toury appelle « le non-remplacement de la métaphore » (1995Toury, Gideon 1995 Descriptive Translation Studies – and Beyond. Amsterdam: John Benjamins. , 82).
5.Compensation
La métaphore est ajoutée là où il n’y a que la topique dans le TS. Lindqvist et Toury utilisent également une catégorie de compensation quand il n’y a rien dans le TS. Cela serait peu probable dans le domaine du sous-titrage.
Enfin, les résultats ont été analysés d’un point de vue qualitatif et quantitatif avant d’être comparés aux résultats de précédentes études afin de répondre aux problématiques listées dans la partie 1.
6.Les résultats
Dans cette partie, je donnerai les résultats quantitatifs et qualitatifs de cette étude, en commençant par une approche générale.
6.1Les résultats principaux
Sur les 477 métaphores sélectionnées précédemment, 229 (48,0 %) ont été rendues par un transfert d’image, 95 (19,9 %) par une image différente, 97 (20,3 %) ont été réduites au sens et 56 (11,7 %) ont été omises. Par ailleurs, il n’y a que 4 cas de compensation de métaphores standard. Ces données permettent de répondre négativement à la première question (cf. partie 1). Les métaphores ne sont pas omises plus souvent que d’autres caractéristiques linguistiques. Un taux d’omission de 11,7 % est en effet très bas. Certes, la réduction au sens que l’on retrouve dans un certain nombre de cas signifie également que le message du TS est raccourci. Le taux de condensation n’excède toutefois pas les 30 % qui constituent la norme pour la télévision suédoise (Pedersen 2011Pedersen, Jan 2011 Subtitling Norms for Television. An Exploration Focussing on Extralinguistic Cultural References. Amsterdam: John Benjamins. , 21). Le fait que 32 % des métaphores du TS n’aient pas été traduites par des métaphores dans le TC confère aux sous-titres une dimension métaphorique plus faible que celle du TS. En revanche, dans presque 90 % des cas, les sous-titreurs ont préservé soit la métaphore, soit son sens. Cela signifie qu’ils considèrent que la métaphore est trop importante pour être omise – à l’inverse, par exemple, des particules discursives qui le sont généralement (Mattsson 2009Mattsson, Jenny 2009 The Subtitling of Discourse Particles. A Corpus-Based Study of well, you know, I mean, and like, and their Swedish Translations in Ten American Films. PhD thesis University of Gothenburg.). Une autre question se posait : celle de savoir si les sous-titreurs sont conscients de la transculturalité des métaphores. Cela semble être le cas. Le Tableau 1 présente la répartition des métaphores transculturelles et monoculturelles en fonction de la stratégie utilisée pour les traduire.
Type de métaphore | Transculturelle | Monoculturelle | ||
---|---|---|---|---|
Stratégie utilisée | Nombre | % | Nombre | % |
Transfert | 183 | 68,8 | 46 | 21,8 |
Substitution | 26 | 9,8 | 69 | 32,7 |
Réduction au sens | 33 | 12,4 | 64 | 30,3 |
Omission | 24 | 9,0 | 32 | 15,2 |
Total | 266 | 100 | 211 | 100 |
Le Tableau 1 montre que les métaphores transculturelles sont un peu plus nombreuses dans le corpus que les métaphores monoculturelles et que toutes ont été traduites de manières très différentes. Les métaphores transculturelles ont été rendues par la même image dans ⅔ des cas, tandis que les autres stratégies ont été utilisées avec grande parcimonie. Les métaphores monoculturelles, quant à elles, ont fait l’objet de traductions beaucoup plus variées, ce qui corrobore les résultats de l’étude de cas menée par Schmidt en 2014Schmidt, Goran 2014 “Metaphor Translation in Subtitling.” In Linguistics, Culture and Identity in Foreign Language Education, ed. by Azamat Akbarov, 832–840. Sarajevo: IBU Publications.. En soi, cela n’a rien de très surprenant : il semble naturel de recourir à la même métaphore si celle-ci existe dans la CC. S’il n’en existe pas dans la CC, d’autres stratégies seront volontiers utilisées. Cependant, les choses sont un peu plus complexes, comme je le montrerai dans les parties suivantes, dans lesquelles j’analyse les différents types de métaphores. Les différences observables dans l’utilisation des stratégies pour traduire les métaphores monoculturelles et transculturelles sont statistiquement significatives : χ²(df = 3, N = 477) = 107,562 p = < 0,005. La différence entre les 2 types de métaphores est donc bien reflétée dans les sous-titres, ce qui nous permet de répondre affirmativement à la question 3a.
6.2Les métaphores mortes
Il convient de rappeler que toutes les métaphores mortes n’ont pas été intégrées dans la sélection car il est très difficile de les identifier en tant que métaphores. Celles qui ont été retenues sont les plus frappantes, proches des métaphores standard. Pour la même raison, les cas de compensation de métaphores mortes ont été écartés car ils ne seraient qu’une représentation de l’usage standard de la LC.
Type de métaphore | Transculturelle | Monoculturelle | ||
---|---|---|---|---|
Stratégie utilisée | Nombre | % | Nombre | % |
Transfert | 34 | 57,6 | 0 | 0 |
Substitution | 6 | 10,2 | 8 | 30,8 |
Réduction au sens | 10 | 16,9 | 5 | 19,2 |
Omission | 9 | 15,3 | 13 | 50,0 |
Total | 59 | 100 | 26 | 100 |
Le Tableau 2 montre que les métaphores mortes sont traitées en tant que telles par les sous-titreurs et qu’elles ne sont jamais rendues par une image identique si elles sont monoculturelles. Elles subissent plutôt une omission, une substitution ou une réduction au sens afin que les sous-titres soient idiomatiques dans la LC. Plus de la moitié des occurrences de métaphores mortes transculturelles subissent un transfert. Lorsque d’autres stratégies sont utilisées, c’est principalement dans le but de raccourcir les sous-titres. Les différences présentées dans le Tableau 2 concernant le choix des stratégies appliquées aux métaphores monoculturelles et transculturelles sont significatives : χ²(df = 3, N = 85) = 28,104 p = < 0,005.
6.3Les métaphores standard
Les métaphores standard sont au cœur de cette étude. Il s’agit d’expressions courantes que les hommes politiques et fonctionnaires chérissent tant, également connues et reconnues par la majorité du public source comme étant des phrases éculées. Le Tableau 3 présente les résultats de l’étude du traitement des métaphores standard.
Type de métaphore | Transculturelle | Monoculturelle | ||
---|---|---|---|---|
Stratégie utilisée | Nombre | % | Nombre | % |
Transfert | 119 | 69,5 | 17 | 12,2 |
Substitution | 15 | 8,8 | 51 | 36,7 |
Réduction au sens | 23 | 13,5 | 54 | 38,9 |
Omission | 14 | 8,2 | 17 | 12,2 |
Total | 171 | 100 | 139 | 100 |
Les différences présentées dans le Tableau 3 concernant le choix des stratégies appliquées aux métaphores monoculturelles et transculturelles sont statistiquement significatives : χ²(df = 3, N = 310) = 106,741 p = < 0,005. Si l’on compare les Tableaux 2 et 3, il est évident que les métaphores standard transculturelles et les métaphores mortes transculturelles sont traitées de manière plus ou moins similaire. Cela montre que les sous-titreurs ont conscience de cette transculturalité. Concernant les métaphores standard monoculturelles, le constat est en revanche très différent. Dans plus de ¾ des cas, elles subissent une réduction au sens ou une substitution – auquel cas l’image qui la remplace est déjà ancrée dans la culture cible (à quelques exceptions près) comme dans l’exemple 1 ci-dessous. Ici, Sir Humphrey souhaite, par intérêt personnel, que le Premier ministre nomme évêque le doyen de son ancienne université. Celui-ci ne fait pas partie des candidats à qui le Premier ministre peut offrir l’évêché, mais Sir Humphrey pense savoir comment assurer sa nomination :
SIR HUMPHREY : We can still get the dean up to the starting gate. As a late entry.
[On peut toujours amener le doyen à la porte de départ. Comme une entrée tardive.]2020.Les exemples ont été traduits littéralement afin de permettre une meilleure compréhension au lecteur. (translator’s note)
Sous-titre :I sista stund.
Jag tror att vi kan få dekanen
med i matchen. I sista stund.
Rétro-traduction : I think we can get the dean into the game. At the last moment.
[Je pense que nous pouvons faire entrer le doyen dans le match. Au dernier moment.]
(YPM 1:7, 21.50)
Dans l’exemple (1), l’anglais a recours à une métaphore standard appartenant au domaine de la course hippique (une élection est une course hippique) là où le sous-titreur suédois en utilise une issue du domaine du football (une élection est un match de football). Le nouveau véhicule rend les sous-titres idiomatiques et compréhensibles, ce qui a toujours été la norme dans les pays scandinaves (Lindberg 1989Lindberg, Ib 1989 Nogle regler om TV-teksting [A few rules about TV subtitling]. http://www.titlevision.dk/tekstnin.htm. Accessed July 26, 2016.). Cependant, il est possible d’obtenir l’effet inverse si le véhicule de la métaphore monoculturelle est transféré comme dans l’exemple (2). Un certain Professeur Marriott soumet un projet de réforme totale du gouvernement local, qui le rendrait véritablement démocratique. Sans surprise, Sir Humphrey s’y oppose car il craint que cela ne remette en question son précieux statu quo :
SIR HUMPHREY : This Marriott scheme is the thin edge of the wedge.
[Le projet de Marriott est la partie fine de la cale.]
Sous-titre : Marriotts system är kilens spets.
Rétro-traduction : Marriott’s system is the thin end [or point] of the wedge.
[Le système de Marriott est la pointe de la cale.]
(YPM 2:5, 18.53)
Le sous-titre de l’exemple (2) est particulièrement fidèle au TS puisqu’il ne subit aucune manipulation autre que les changements nécessaires. Un tel choix surprend puisque le suédois n’emploie pas l’image du cale-porte, qui reste toutefois compréhensible : après tout, les Suédois utilisent aussi cet objet. Toujours est-il que ce dernier n’est pas utilisé de façon métaphorique dans cette langue, il en résulte donc une métaphore originale. Il y a ainsi une variation de force métaphorique : une métaphore standard du TS est devenue une métaphore originale dans le TC. Cela ne pose probablement pas d’inconvénient majeur au public cible lorsque la métaphore du TS est relativement transparente comme dans l’exemple (2). Cependant, la compréhension des sous-titres, déjà complexe, peut être affectée par le choix d’une image qui ne serait pas ancrée dans la CC, comme dans l’exemple (3). Ici, Sir Humphrey se trouve dans une position délicate puisqu’il est à la fois secrétaire du cabinet et chef de la fonction publique, causant un conflit d’intérêt :
SIR HUMPHREY : It’s so difficult for me, you see, as I’m wearing two hats.
[C’est tellement difficile pour moi, voyez-vous, puisque je porte deux chapeaux.]
Sous-titre : Jag har två hattar på huvudet.
Rétro-traduction : I have two hats on my head.
[J’ai deux chapeaux sur ma tête.]
(YPM 1:5, 8.57)
Une fois de plus, la traduction est très fidèle à l’original. En revanche, dans le sous-titre, cet exemple n’est pas traduit par une métaphore standard mais par une métaphore originale – voire déroutante – puisque Sir Humphrey ne porte pas de chapeau et que la métaphore du TS est assez opaque.
6.4Les métaphores adaptées
Les métaphores adaptées sont à cheval entre métaphores lexicalisées et non-lexicalisées. Selon Dickins (2005Dickins, James 2005 “Two Models for Metaphor Translation.” Target 17 (2): 227–273. , 238) : « les métaphores adaptées sont, à proprement parler, des métaphores non-lexicalisées. Cependant, leur interprétation dépend de l’existence de métaphores lexicalisées auxquelles elles font écho2121.La citation originale est la suivante : “adapted metaphors are, properly speaking, non-lexicalized metaphors. However, they are dependent for their interpretation on the existence of similar lexicalized metaphors which they recall.” (translator’s note) ». Ainsi, elles sont originales mais leur interprétation dépend d’une métaphore figée (c’est-à-dire lexicalisée). La monoculturalité ou la transculturalité de la métaphore adaptée correspond à celle de la métaphore figée à laquelle elle renvoie.
Type de métaphore | Transculturelle | Monoculturelle | ||
---|---|---|---|---|
Stratégie utilisée | Nombre | % | Nombre | % |
Transfert | 9 | 81,8 | 0 | 0 |
Substitution | 2 | 18,2 | 5 | 83,3 |
Réduction au sens | 0 | 0 | 1 | 16,7 |
Omission | 0 | 0 | 0 | 0 |
Total | 11 | 100 | 6 | 100 |
Comme le montre le Tableau 4, il y a 11 métaphores adaptées transculturelles et 6 métaphores adaptées monoculturelles. Elles ont été traitées différemment en fonction de leur transculturalité. Toutes les métaphores transculturelles ont subi un transfert sauf 2 qui ont été substituées. Dans le cas des métaphores monoculturelles, toutes subissent une substitution sauf une qui a été réduite au sens. Les données du Tableau 4 sont encore trop insuffisantes pour que l’analyse statistique soit significative (trop de valeurs sont inférieures à 5). Cela ne permet pas de tirer de conclusions quantitatives. Les différentes images utilisées pour les métaphores monoculturelles proviennent toutes de métaphores standard de la CC et suivent donc le même fonctionnement que celui observé dans la partie précédente. Dans la majorité des cas, les métaphores adaptées ont été incluses dans le TS pour leur caractère humoristique. C’est le cas dans l’exemple (4) où Jim Hacker est mécontent du communiqué de presse fait par Sir Humphrey dans lequel ce dernier disculpe tout le monde d’avoir fait fuiter des informations :
JIM HACKER : This is a whitewash!
SIR HUMPHREY : No, no, no, not really. It shares out the blame equally.
BERNARD WOOLEY : More of a greywash. (canned laughter)
[JIM HACKER : C’est un blanchissement !
SIR HUMPHREY : Non, non, non, pas vraiment. Il partage la responsabilité de manière égale.
BERNARD WOOLEY : Plutôt un grisement. (rires enregistrés)]
Sous-titres : – Det här är ju ett överslätande.
– Nej, det fördelar skulden lika.
– Mer som ett översittande.
Rétro-traduction :– This is a smoothing over.
– No, it shares the blame equally.
– More like a sitting over [or bullying].
[– C’est un lissage.
– Non, il partage la responsabilité de manière égale.
– Il s’agit plutôt de s’asseoir dessus [ou d’intimider].]
(YPM 2:2, 28.28)
Le suédois n’utilise pas « blanchissement » de manière métaphorique (c’est-à-dire tentative d’étouffer l’affaire). De ce fait, le sous-titreur a opté pour la métaphore standard « lissage », qui se trouve être transculturelle, pour remplacer la métaphore standard du TS. La métaphore adaptée utilisée dans la remarque humoristique de Bernard a donc été traduite par un jeu de mots paronymique provenant d’une image différente. Cette métaphore signifie littéralement « faire une croix dessus » en suédois. Cela permet de l’utiliser en parallèle de la traduction suédoise de « lissage », comme une simple forme d’antanaclase (c’est-à-dire utiliser le même mot ou la même phrase deux fois mais avec des sens différents).
6.5Les métaphores originales
Bien que les métaphores originales sautent généralement aux yeux, elles ne semblent pas très usitées, du moins pas dans le corpus de cette étude. Comme le montre le Tableau 5, il y a seulement 21 métaphores originales dans les 16 épisodes de la série.
Type de métaphore | Monoculturelle | |
---|---|---|
Stratégie utilisée | Nombre | % |
Transfert | 16 | 76,2 |
Substitution | 2 | 9,5 |
Réduction au sens | 2 | 9,5 |
Omission | 1 | 4,8 |
Total | 21 | 100 |
Sans surprise, toutes les métaphores originales sont considérées comme monoculturelles, puisqu’elles sont nouvelles. Cependant, bien que ce soit peu probable, les métaphores originales peuvent être transculturelles si le locuteur utilise une métaphore qui se trouve être une métaphore standard dans la CC. À l’inverse, il est commun qu’une métaphore standard monoculturelle subisse un transfert dans le TC, créant ainsi une métaphore originale dans la CC. Comme le montre la partie précédente, ce phénomène apparaît 17 fois dans le corpus, démontrant que le TS et le TC contiennent un nombre inégal de métaphores originales. Les véhicules subissent un transfert dans toutes les métaphores originales, sauf dans 2 cas de substitution, 2 de réduction au sens et 1 d’omission.
6.6Les métaphores mixtes
Les métaphores mixtes, ou métaphores incongrues pour reprendre les termes de Dickins2222.Les termes de Dickins ont été traduites par nos soins car aucune traduction officielle n’a été trouvée. Le terme anglais est “incongruent metaphors”. (translator’s note) (2005Dickins, James 2005 “Two Models for Metaphor Translation.” Target 17 (2): 227–273. , 238) correspondent aux cas où 2 images (ou plus) en conflit coexistent dans le même énoncé. Selon Lakoff et Johnson (1980Lakoff, George, and Mark Johnson 1980 Metaphors We Live By. Chicago, IL: The University of Chicago Press., 89–96), ce n’est pas nécessairement un problème, tant qu’elles partagent des implications communes, que ces implications se superposent ou encore lorsqu’elles ne sautent pas aux yeux. Parfois, dans la série, Jim Hacker utilise par inadvertance les métaphores mixtes dont le caractère interdiégétique est souligné par le secrétaire personnel du Premier ministre, Bernard Wooley, qui le reprend. L’exemple (5) en est l’illustration parfaite. Dans celui-ci, le Premier ministre craint que les secrets d’État ne soient révélés à la presse et veut mettre la main sur le coupable :
JIM HACKER : Now, about nailing that leak…
BERNARD WOOLEY : Sorry to be pedantic, but if you nail a leak you create another leak (gesticulates indeterminately).
[JIM HACKER : Maintenant, pour clouer cette fuite…
BERNARD WOOLEY : Désolé d’être pédant, mais si vous clouez une fuite, vous créez une autre fuite (gesticule de façon indéterminée).]
Sous-titres :
– Vi måste sticka hål på läckan.
– Då får vi ju en läcka till.
Rétro-traduction :
– We must prick a hole in that leak.
– But then we’ll get another leak.
[– Nous devons faire un trou dans cette fuite.
– Mais alors nous aurons une autre fuite.]
(YPM 2:2, 9.27)
Il est important de noter que ce que dit Bernard n’est pas considéré comme étant métaphorique puisqu’il emploie les mots dans leur sens littéral. De même, il convient également de noter que chaque métaphore mixte contient au moins deux métaphores. C’est le cas dans l’exemple (5) : le sous-titreur suédois y traduit la deuxième en transférant l’image du TS et la première en utilisant une image différente dans la CC. Cela s’explique par le fait que la LC n’utilise pas la même image pour rendre la même métaphore.
Type de métaphore | Transculturelle | Monoculturelle | ||
---|---|---|---|---|
Stratégie utilisée | Nombre | % | Nombre | % |
Transfert | 9 | 90 | 5 | 62,5 |
Substitution | 1 | 10 | 3 | 37,5 |
Réduction au sens | 0 | 0 | 0 | 0 |
Omission | 0 | 0 | 0 | 0 |
Total | 10 | 100 | 8 | 100 |
L’ensemble du corpus ne contient que 9 métaphores mixtes composées de 18 métaphores. Ce sont toutes des métaphores standard : 8 d’entre elles sont monoculturelles et 10 transculturelles. Parmi ces 18 métaphores, 14 ont subi un transfert et 4 ont été remplacées par une métaphore différente via une substitution. Les données du Tableau 6 sont encore trop insuffisantes pour que l’analyse statistique soit significative (trop de valeurs sont inférieures à 5). Cela ne permet pas de tirer des conclusions quantitatives. Même si les métaphores mixtes qu’emploient les personnages peuvent être perçues comme non intentionnelles, elles ne le sont certainement pas pour les scénaristes, puisqu’ils les utilisent toutes, sans exception, à des fins humoristiques et/ou pour renforcer l’image d’un personnage. Cela prend tout son sens dans l’exemple (6) : Sir Desmond Glazebrook, un banquier haut placé, se fait arrêter et doit répondre à des questions au sujet de transactions irrégulières au sein de La City.2323.La City est une métonymie employée pour référer au quartier des finances de Londres. (translator’s note) Avec ses airs d’ancien élève de l’élitiste collège d’Eton,2424.Eton est un collège britannique prestigieux. (translator’s note) il souligne qu’il est préférable que personne d’autre n’intervienne dans l’affaire :
SIR DESMOND : If you spill the beans, you open up a whole can of worms. How can you let sleeping dogs lie, if you let the cat out of the bag? Bring in a new broom and if you’re not careful, you’ll find you’ve thrown the baby out with the bath water. If you change horses in the middle of a stream, the next thing you know, you’re up the creek without a paddle.
[SIR DESMOND : Si vous renversez les haricots, vous ouvrez une conserve entière de vers. Comment pouvez-vous laisser les chiens dormir, si vous laissez le chat sortir du sac ? Apportez un nouveau balai et si vous ne faites pas attention, vous vous rendrez compte que vous avez jeté le bébé avec l’eau du bain. Si vous changez de cheval au milieu d’un cours d’eau, vous vous retrouvez dans le pétrin sans pagaie.]
Sous-titres : Om man pratar bredvid mun, så kan vad som helst rinna ur en. Hur undvika att väcka en sovande hund om man släppt in katten? Ta in en ny kvast – och plötsligt åker barnet ut med badvattnet. Om man byter häst mitt i strömmen- -sitter man strax utan paddel.
Rétro-traduction : If you talk next to your mouth, anything may run out of you. How can you avoid waking a sleeping dog, if you’ve let in the cat? Bring in a new broom and suddenly the baby is thrown out with the bath water. If you change horses in the middle of the stream–there you sit without a paddle.
[Si vous parlez à côté de votre bouche, tout peut sortir de vous. Comment éviter de réveiller un chien qui dort, si vous avez laissé entrer le chat ? Apportez un nouveau balai et soudain le bébé est jeté avec l’eau du bain. Si vous changez de cheval au milieu du ruisseau, vous vous retrouvez sans pagaie.]
(YPM 2:4. 23.57)
Cette longue diatribe est traduite en suédois par une multitude d’images transférées ou différentes. Cependant, il est essentiel de noter que le trope de cette métaphore mixte est trop important dans la réplique pour être omis ou réduit au sens, le sens ayant l’air primordial dans cette tirade.
6.7Les métaphore filées
Alors que les métaphores mixtes sont incongrues, les métaphores filées ont des schémas métaphoriques cohérents2525.L’expression originale est la suivante : “congruent metaphors”. (translator’s note) (Dickins 2005Dickins, James 2005 “Two Models for Metaphor Translation.” Target 17 (2): 227–273. , 247), et sont donc considérées comme des métaphores congrues selon la terminologie de Dickins (253). Comme le montre le Tableau 7, le corpus contient 26 métaphores filées (ensemble des occurrences d’une même image au sein d’un même schéma métaphorique), toutes construites à partir de métaphores standard et originales.
Type de métaphore | Transculturelle | Monoculturelle | ||
---|---|---|---|---|
Stratégie utilisée | Nombre | % | Nombre | % |
Transfert | 12 | 80,0 | 8 | 0 |
Substitution | 2 | 13,3 | 0 | 83 |
Réduction au sens | 0 | 0 | 2 | 17 |
Omission | 1 | 6,7 | 1 | 0 |
Total | 15 | 100 | 11 | 100 |
Les données du Tableau 7 sont une fois de plus trop insuffisantes pour que l’analyse statistique soit significative. Les métaphores filées ont été transférées dans 20 cas tandis que chacune des autres stratégies a été utilisée 2 fois. Même si aucune conclusion quantitative ne peut être tirée de ces données, la progression d’une métaphore conceptuelle vers un schéma métaphorique complet doit être cohérente. Par conséquent, les sous-titreurs ont largement respecté le TS sans se préoccuper de la transculturalité. Les 6 cas qui n’utilisent pas la même image présentent une métaphore du TS trop monoculturelle ou complexe pour que le traducteur puisse respecter les contraintes du sous-titrage. Cela s’illustre dans l’exemple (1) où l’extension de la métaphore hippique a été réduite au sens. De manière générale, le sous-titreur a réussi à conserver l’extension de la métaphore du TS.
Il est intéressant de noter que la traduction peut créer des métaphores filées de manière interlinguistique. Parfois, lorsque le véhicule d’une métaphore du TS ne peut être traduit par un transfert direct vers le TC, mais que l’idée de base nécessite cette métaphore conceptuelle précise, elle peut être considérée comme filée, plutôt que simplement transférée du TS au TC. Cela peut être observé dans l’exemple (7), dans lequel Sir Humphrey suggère à Jim Hacker de centraliser les services de l’éducation nationale. Le Premier ministre le congédie poliment de cette façon :
JIM HACKER : Humphrey, thank you. You have given me much food for thought.
SIR HUMPHREY : In that case, Prime Minister, Bon appétit!
[JIM HACKER : Humphrey, merci. Vous m’avez donné beaucoup de nourriture pour réfléchir.
SIR HUMPHREY : Dans ce cas, M. le Premier ministre, Bon appétit !]
Sous-titres :
– Det var manga matnyttiga fakta.
– Smaklig maltid, premiärministern.
Rétro-traduction :
– Those were many good-for-food facts.
– Bon appétit, Prime Minister.
[– C’était beaucoup de faits bons pour la nourriture.
– Bon appétit, M. le Premier ministre.]
(YPM 2:7, 10.53)
Dans l’exemple (7), le sous-titreur a conservé la métaphore conceptuelle l’information est de la nourriture en ayant recours à une métaphore standard légèrement différente dans la CC. Il est possible de dénombrer ce type d’occurrences 6 fois dans le corpus.
7.L’exploitation des résultats
Les résultats de cette étude montrent clairement que les sous-titreurs sont conscients de la transculturalité (même si cela semble peu probable qu’ils aient déjà défini le concept). Comme le montre le Tableau 1, ils traitent les métaphores très différemment en fonction de leur monoculturalité ou transculturalité. C’est également ce que Schmidt a constaté dans son étude de cas (2014). Ainsi, cela permet de répondre affirmativement à la question 3a (cf. partie 1). De plus, les sous-titreurs semblent arriver sans problème à catégoriser les métaphores comme étant lexicalisées ou non-lexicalisées puisqu’ils se servent de différentes stratégies en fonction des catégories énoncées. Par exemple, ils utilisent une réduction au sens ou une substitution pour les métaphores standard monoculturelles (cf. partie 6.2), tandis qu’ils conservent la même image pour les métaphores filées monoculturelles (cf. partie 6.7). Les métaphores non-lexicalisées (originales, adaptées et filées ; cf. parties 6.4, 6.5 et 6.7) subissent généralement un transfert d’image, tandis que les métaphores lexicalisées monoculturelles nécessitent des stratégies plus variées, ce qui montre bien la mise en place d’une approche réfléchie de la part des sous-titreurs (cf. Lörscher 1991Lörscher, Wolfgang 1991 Translation Performance, Translation Process, and Translation Strategies: A Psycholinguistic Investigation. Tübingen: Gunter Narr., 8). Par conséquent, il est possible de répondre affirmativement à la question 2 : les sous-titreurs tiennent compte des différents types de métaphores. Cela confirme l’hypothèse de la question 3b : les métaphores monoculturelles constituent un problème de traduction, ce qui n’est pas le cas des métaphores transculturelles.
En regardant de plus près, le véhicule des métaphores transculturelles a tendance à subir un transfert, sauf si elles sont traduites par des métaphores standard qui ont un véhicule différent, ancré dans la CC, comme expliqué dans la partie 6.3. Les contraintes qu’impose le sous-titrage impliquent généralement que les métaphores transculturelles soient réduites au sens ou omises. Quant aux métaphores monoculturelles, je constate que l’omission est privilégiée pour les métaphores mortes (cf. partie 6.2) ; que des images différentes sont utilisées pour les métaphores standard (6.4), mixtes (6.6), ou adaptées (6.4) ; et que l’image est conservée uniquement pour les métaphores originales (6.5) ou filées (6.7). Les exceptions à ce constat peuvent être expliquées principalement par les exigences du sous-titrage (les contraintes de temps et d’espace ou l’influence de l’image ou du dialogue).
Il semblerait que les sous-titreurs aient essayé de conserver la force métaphorique du TS, sauf dans les cas où la métaphore a dû être omise ou réduite au sens à cause des contraintes liées au sous-titrage. Ces 2 stratégies impliquent une perte de force métaphorique dans le TC. Cependant, j’ai constaté une augmentation de la force métaphorique dans 4 cas de compensations, ainsi que dans les cas où les métaphores standard monoculturelles ont été traduites par la même image. Ces dernières sont rendues par une métaphore originale dans le TC, comme le montre l’exemple 2 avec « the thin end of the wedge » (rétro-traduction : la partie fine de la cale). Ici, seulement 13 cas ont été identifiés, ce qui affecte peu la lecture des sous-titres. Cela prouve que ce phénomène est assez rare puisqu’il nuit à la compréhension du sous-titre, alors qu’il s’agit d’un principe fondamental dans ce domaine.
Évidemment, le corpus est restreint et certaines catégories (métaphores adaptées, mixtes et filées) contiennent trop peu d’exemples pour que l’analyse statistique soit significative. Ainsi, cela ne permet pas de justifier l’élaboration de normes, mais les tendances que j’ai observées sont assez claires et indiquent une potentielle approche à suivre :
-
Si une métaphore est transculturelle ou originale, elle est traduite en utilisant la même image. C’est le cas pour près de 7 métaphores transculturelles sur 10 et pour plus de ¾ des métaphores originales (cf. parties 6.1 et 6.5).
-
Si une métaphore est morte, elle n’est pas traitée comme étant une métaphore mais plutôt comme un élément linguistique non problématique. Elle n’est donc jamais transférée si elle se trouve être monoculturelle (cf. partie 6.2).
-
S’il s’agit d’une métaphore standard monoculturelle, il existe généralement une solution toute faite : elle est traduite en utilisant la même image ou une image différente, comme dans ¾ des cas (cf. partie 6.3).
-
L’omission, quant à elle, est utilisée avec parcimonie, particulièrement dans le cas de tropes plus complexes, tels que les métaphores adaptées, filées ou mixtes. Cette stratégie n’apparaît que 2 fois au total dans tout le corpus (cf. parties 6.4, 6.6 et 6.7).
-
Si aucune de ces solutions ne peut être appliquée, les sous-titreurs se tournent vers la réduction au sens. Tous les exemples ne suivent pas cette tendance, notamment les métaphores standard monoculturelles qui sont traduites littéralement (cf. partie 6.3). Néanmoins, ce n’est pas pour autant que ces potentielles normes sont erronées puisqu’elles ont une certaine « stabilité hypothétique2626.L’expression originale est la suivante : “counterfactual stability”. (translator’s note) » (Hermans 1999Hermans, Theo 1999 Translation in Systems. Descriptive and System-oriented Approaches Explained. Manchester: St. Jerome., 162). Malgré tout, il convient de souligner que cette ébauche de normes ne repose que sur une seule combinaison linguistique et sur un seul support (ici, une seule série télévisée).
En comparant mes conclusions à de précédentes études, j’observe plusieurs phénomènes. En général, il est possible, lors de la traduction, d’observer une perte de force métaphorique. Dickins (2005Dickins, James 2005 “Two Models for Metaphor Translation.” Target 17 (2): 227–273. , 250), s’appuyant sur les données de Newmark (1988)Newmark, Peter 1988 A Textbook of Translation. Harlow: Longman. et de Dickins, Hervey et Higgins (2002)Dickins, James, Sandor Hervey, and Ian Higgins 2002 Thinking Arabic Translation . A Course in Translation Method: Arabic to English. London: Routledge., déclare que les métaphores ont tendance à perdre en force métaphorique au cours du processus de traduction. Par exemple, les métaphores originales peuvent être remplacées par des métaphores standard, qui peuvent elles-mêmes être remplacées par des métaphores mortes. Dagut (1976)Dagut, Menachem 1976 “Can “Metaphor” Be Translated?” Babel 22 (1): 21–23. fait aussi ce constat : la traduction provoque une perte de force métaphorique. Plus récemment, Kruger (1993)Kruger, Alet 1993 “Translating Metaphors in Narrative Fiction.” Perspectives. Studies in Translatology 1 (1): 23–30. et Samaniego Fernández et al. (2003)Samaniego Fernández, Eva, Marisol Velasco Sacristán, and Pedro A. Fuertes Olivera 2003 “Translations We Live By. Metaphor Translation and Cognitive Innovation.” Paper presented at the 8th International Cognitive Linguistics Conference . July 20–25 2003 University of La Rioja, Spain. ont remarqué, et dénoncent occasionnellement, le remplacement des métaphores originales par des métaphores standard. Ces exemples pourraient faire référence à la loi de Toury sur la normalisation grandissante (1995, 267 ss.), elle aussi présente dans cette étude. Même si quelques métaphores originales sont traduites en utilisant des images différentes, la perte de force métaphorique est due à l’utilisation de la réduction au sens ou de l’omission dans presque ⅓ des cas. Un autre cas de figure, plus rare, a été observé : quelques métaphores standard monoculturelles ont été traduites en conservant la même image (cf. partie 6.3). Cela va à l’encontre des normes traditionnelles, comme le formule Newmark : « Une métaphore standard ne peut être parfaitement traduite que si l’image est transférée par une collocation équivalente, acceptable et établie […] Dès qu’une nouvelle image est créée, bien qu’elle soit acceptable dans la LC, le sens et le registre varient plus ou moins par rapport à l’image de la LS2727.La citation originale est la suivante : “A stock metaphor can only be translated exactly if the image is transferred within a correspondingly acceptable and established collocation […] As soon as you produce a new image, however acceptable the TL metaphor,there is a degree of change of meaning and usually of tone.” (translator’s note) » (1988, 109). Après avoir étudié des traductions de l’arabe vers l’anglais, Dickins conclut qu’il est fréquent de traduire les métaphores par des comparaisons (2005, 231). Il s’oppose ainsi à Newmark qui affirme que l’anglais est la langue qui utilise le plus de métaphores. Je n’ai rien constaté de tel au cours de mes recherches. Cela s’explique probablement par une proximité culturelle entre les deux langues étudiées ici. Ainsi, il semblerait que le sous-titrage des métaphores suive des normes déjà instaurées par des formes de traduction plus traditionnelles. Il est donc possible de répondre affirmativement à la question 4 dans le sens où une perte de force métaphorique est observée malgré le fait que des métaphores standard dans la CS soient parfois, de manière discordante, traduites par des métaphores originales. Il se peut que les métaphores soient fréquemment omises dans les sous-titres à cause des contraintes de ce medium. Cependant, les données dans les études disponibles sont trop faibles pour arriver à une conclusion significative. Dans mon article de 2015, j’ai souligné une légère subtilité : la traduction de métaphores par une image différente n’est pas toujours possible pour le sous-titreur en raison de la nature polysémiotique du texte.
8.Conclusion
Ainsi, les sous-titreurs ont conscience que les métaphores posent des problèmes de traduction. Pour répondre à ma première interrogation formulée dans l’introduction, les métaphores ne font pas plus l’objet de suppressions que ne le requiert le taux de condensation moyen d’un sous-titre. C’est même plutôt l’inverse qui se produit. Les sous-titreurs semblent conscients non seulement de la transculturalité (question 3a), mais aussi du fait que chaque type de métaphores nécessite une stratégie de traduction différente (question 2). Les différentes stratégies appliquées aux métaphores monoculturelles démontrent que celles-ci sont les plus difficiles à traduire (question 3b). Enfin, la traduction des métaphores dans le sous-titrage obéit aux mêmes normes que les autres formes de traduction (question 4), puisque cela implique dans les 2 cas une certaine perte de force métaphorique. Il est difficile de savoir si ce phénomène est dû aux conditions spécifiques du sous-titrage ou à une normalisation grandissante. Comme dans d’autres formes de traduction, des éléments réfutent cette hypothèse : dans certains cas la traduction littérale d’une métaphore standard monoculturelle augmente sa force métaphorique.
Dans son étude sur les genres littéraires, Lindqvist (2002)Lindqvist, Yvonne 2002 Översättning som social praktik: Tony Morrison och Harlequinserien på svenska [Translation as a social practice: Tony Morrison and the Harlequin series in Swedish]. Acta Universitatis Stockholmiensis, Stockholm Studies in Scandinavian Philology New Series 26. Stockholm: Almqvist & Wiksell. a démontré que les métaphores sont traduites plus littéralement dans la littérature classique que dans le roman de gare. Il serait intéressant de reproduire cette étude avec un corpus différent, afin de vérifier si une telle différence existe également dans la traduction de sous-titres.