Traduction
Les groupes de mots clés comme indicateurs du style du traducteur [Key clusters as indicators of translator style]

Lorenzo Mastropierro
Traduction par Jordan Avello, Sofiane Estrade, Thylia Ipser, Aissatou Kane, Asma Karoui, Eva Leclerc, Bruna Mariz-Fragata et Anny-Claude (Happy) Ngamassu
sous la direction de Georges Fournier et Cindy Lefebvre-Scodeller
Résumé

Cet article traite de la problématique du style du traducteur à travers la comparaison de deux traductions italiennes de At the Mountains of Madness de H. P. Lovecraft. A travers une approche fondée sur la linguistique de corpus, cet article propose une méthode pour identifier les indicateurs potentiels du style du traducteur qui repose sur l’analyse de groupes de mots clés. La comparaison des deux traductions avec cette méthode permet d’identifier quels groupes de mots, c’est-à-dire des séquences de mots récurrents, sont utilisés plus ou moins fréquemment en fonction du traducteur. Cette analyse montre que les deux traducteurs se distinguent dans la façon dont ils utilisent certains traits linguistiques, notamment le -d euphonique italien, les clitiques locatifs, et les démonstratifs distaux qui sont alors analysés comme des divergences stylistiques.

Mots-clés:
Table des matières

1.Le style du traducteur

Dans son sens le plus large, le « style » peut être défini comme la façon singulière dont la langue est utilisée par une personne donnée dans un contexte donné (Leech et Short [1981] 2007Leech, Geoffrey, and Mick Short (1981) 2007Style in Fiction. A Linguistic Introduction to English Fictional Prose. Harlow: Pearson Education.Google Scholar). Cependant, dans le cadre de la traduction littéraire, la notion de style a été traditionnellement perçue comme un attribut propre au texte source (TS) qui doit être reproduit dans le texte cible (TC). Les discussions concernant le style en traductologie se sont principalement focalisées sur la façon dont les traits stylistiques de l’original sont reproduits dans le texte traduit (Baker 2000 2000 “Towards a Methodology for Investigating the Style of a Literary Translator.” Target 12 (2): 241–266. DOI logoGoogle Scholar, 243), plutôt que sur le style du traducteur lui-même. Toutefois, de nombreux théoriciens soutiennent que la traduction n’est pas un simple processus de reproduction dérivée, mais implique un engagement actif et créatif de la part du traducteur. Le traducteur « réécrit » (Lefevere 1992Lefevere, André 1992Translation, Rewriting, and the Manipulation of Literary Fame. London: Routledge.Google Scholar) le TS et cette réécriture n’est jamais un transfert passif ; il s’agit plutôt d’une forme de (ré)interprétation qui implique à la fois les niveaux linguistique et extralinguistique du texte original. Lorsque nous lisons un texte traduit, nous n’initions pas le dialogue avec la seule voix de l’auteur original, mais également avec celle du traducteur (Hermans 1996Hermans, Theo 1996 “The Translator’s Voice in Translated Narrative.” Target 8 (1): 23–48. DOI logoGoogle Scholar). Le traducteur est, en un sens, le co-auteur du texte traduit (Perteghella et Loffredo 2006Perteghella, Manuela, and Eugenia Loffredo 2006Translation and Creativity: Perspectives on Creative Writing and Translation Studies. London: Bloomsbury.Google Scholar, 6), et sa présence peut être clairement perceptible, comme dans le cas des commentaires paratextuels (Hermans 1996Hermans, Theo 1996 “The Translator’s Voice in Translated Narrative.” Target 8 (1): 23–48. DOI logoGoogle Scholar) ou, plus souvent, cachée derrière celle de l’auteur. Discerner le style du traducteur devient dès lors plus compliqué, puisqu’il sera vraisemblablement mêlé à celui de l’auteur original (Bernardini 2005Bernardini, Silvia 2005 “Reviving Old Ideas: Parallel and Comparable Analysis in Translation Studies – With an Example for Translation Stylistics.” In New Tendencies in Translation Studies, edited by Karin Aijmer and Cecilia Alvstad, 5–18. Göteborg: University of Göteborg.Google Scholar). Toutefois, étudier le style du traducteur n’est pas seulement possible, mais également nécessaire ; comme l’expliquent Baker (2000 2000 “Towards a Methodology for Investigating the Style of a Literary Translator.” Target 12 (2): 241–266. DOI logoGoogle Scholar, 262) et Saldanha (2014 2014 “Style in, and of, Translation.” In A Companion to Translation Studies, edited by Sandra Bermann and Catherine Porter, 95–106. Chichester: Wiley Blackwell. DOI logoGoogle Scholar, 100), si nous voulons affirmer que la traduction n’est pas seulement une activité de dérivation, mais plutôt une entreprise créative, nous devons explorer de manière plus convaincante la question du style à partir du point de vue du traducteur. Cet article a pour but d’étudier le style du traducteur et de proposer, à partir d’une analyse de groupes de mots clés fondée sur la linguistique de corpus, une méthodologie pour identifier des indicateurs potentiels de traits stylistiques propres au traducteur.

L’approche par corpus proposée par Baker (2000) 2000 “Towards a Methodology for Investigating the Style of a Literary Translator.” Target 12 (2): 241–266. DOI logoGoogle Scholar pour étudier le style du traducteur a été fondatrice, tout comme, plus généralement, ses travaux dans le domaine de la traductologie de corpus (cf. Baker 1993Baker, Mona 1993 “Corpus Linguistics and Translation Studies: Implications and Applications.” In Text and Technology: In Honour of John Sinclair, edited by Mona Baker, Gill Francis, and Elena Tognini-Bonelli, 233–250. Amsterdam: John Benjamins. DOI logoGoogle Scholar). Baker (2000) 2000 “Towards a Methodology for Investigating the Style of a Literary Translator.” Target 12 (2): 241–266. DOI logoGoogle Scholar donne une définition pratique du style du traducteur et fournit un cadre méthodologique préliminaire pour son analyse dans les traductions littéraires. Selon elle, le style s’appuie sur des traits stylistiques similaires à des empreintes digitales (245), c’est-à-dire des traits linguistiques particuliers que le traducteur laisse dans le TC. L’étude du style du traducteur devrait en ce sens se focaliser sur ce dernier et viser à identifier ces habitudes linguistiques qui, au premier abord, passent inaperçues, de façon à détecter des schémas récurrents – par opposition à des occurrences isolées – qui différencient et caractérisent la langue d’un traducteur par rapport à celle des autres. Baker (2000) 2000 “Towards a Methodology for Investigating the Style of a Literary Translator.” Target 12 (2): 241–266. DOI logoGoogle Scholar applique cette approche à la comparaison du ratio type/token, à la longueur moyenne des phrases et aux structures de discours indirect (lemme say et that optionnel) dans les travaux de deux traducteurs britanniques, Peter Bush et Peter Clark, et elle identifie des schémas qui mettent au jour les différents moyens par lesquels les deux traducteurs recréent le monde fictionnel de leurs TS respectifs.

Saldanha (2011)Saldanha, Gabriela 2011 “Translator Style: Methodological Considerations.” The Translator 17 (1): 25–50. DOI logoGoogle Scholar s’appuie sur la réflexion de Baker (2000) 2000 “Towards a Methodology for Investigating the Style of a Literary Translator.” Target 12 (2): 241–266. DOI logoGoogle Scholar et la poursuit en proposant une nouvelle approche du style de traduction. A l’inverse de Baker (2000) 2000 “Towards a Methodology for Investigating the Style of a Literary Translator.” Target 12 (2): 241–266. DOI logoGoogle Scholar, Saldanha utilise le TS : même si l’attention est portée sur le TC, l’original est utilisé pour vérifier si l’on peut ou non attribuer avec certitude les traits linguistiques des traductions aux choix du traducteur, ou s’ils ont été générés par des éléments du TS. De plus, Saldanha (2011Saldanha, Gabriela 2011 “Translator Style: Methodological Considerations.” The Translator 17 (1): 25–50. DOI logoGoogle Scholar, 31) approfondit la définition que donne Baker (2000 2000 “Towards a Methodology for Investigating the Style of a Literary Translator.” Target 12 (2): 241–266. DOI logoGoogle Scholar, 246) du style du traducteur en tant qu’ « habitudes linguistiques discrètes qui échappent largement au contrôle conscient de l’écrivain et que nous, récepteurs, assimilons le plus souvent de façon subliminale »,11.La citation originale de Saldanha est la suivante : “unobtrusive linguistic habits which are largely beyond the conscious control of the writer and which we, as receivers, register mostly subliminally”. pour y inclure également des schémas qui relèvent de choix motivés et significatifs ayant une fonction discernable. Selon Saldanha (2011)Saldanha, Gabriela 2011 “Translator Style: Methodological Considerations.” The Translator 17 (1): 25–50. DOI logoGoogle Scholar, il est plus difficile de considérer comme significatives et motivées des habitudes linguistiques telles que la différence d’utilisation de mots grammaticaux ou la longueur moyenne des phrases que, par exemple, des choix au niveau du discours et de l’organisation des idées. Par conséquent, l’étude du style du traducteur devrait également prendre en compte des choix rhétoriques plus délibérés, c’est-à-dire des traits plus facilement considérés comme significatifs et dotés d’une fonction perceptible. Dans sa comparaison des traductions de Peter Bush et de Margaret Costa, Saldanha (2011)Saldanha, Gabriela 2011 “Translator Style: Methodological Considerations.” The Translator 17 (1): 25–50. DOI logoGoogle Scholar analyse les italiques (utilisés à des fins d’emphase ou pour mettre en évidence des mots étrangers) ainsi que la conjonction that utilisée après les verbes de parole say et tell. L’utilisation que font Bush et Costa de ces traits fait partie d’un schéma significatif de choix, dans le sens où leurs décisions sont cohérentes avec leur idée du rôle que devrait jouer la traduction.

Fondée sur la comparaison des traductions de différents textes originaux, l’approche proposée par Baker (2000) 2000 “Towards a Methodology for Investigating the Style of a Literary Translator.” Target 12 (2): 241–266. DOI logoGoogle Scholar et Saldanha (2011)Saldanha, Gabriela 2011 “Translator Style: Methodological Considerations.” The Translator 17 (1): 25–50. DOI logoGoogle Scholar vise à identifier les divergences dans les traits linguistiques des TC qui peuvent être attribuées aux traducteurs. Comme les deux traductologues le reconnaissent elles-mêmes, cette approche est sertie de difficultés. En comparant des TC issus de différents TS, identifier le style du traducteur devient chose complexe, compte tenu des nombreuses variables qui peuvent être la cause des différences stylistiques entre les TC : les styles variés des auteurs, les différences au niveau des traits stylistiques des textes originaux, l’influence différente des langues sources, etc. Cependant, si l’on compare plusieurs traductions d’un même texte, on peut éliminer des variables telles que l’auteur, le TS et la langue source, puisqu’elles resteraient constantes (Baker 2000 2000 “Towards a Methodology for Investigating the Style of a Literary Translator.” Target 12 (2): 241–266. DOI logoGoogle Scholar, 261–262 ; Saldanha 2011Saldanha, Gabriela 2011 “Translator Style: Methodological Considerations.” The Translator 17 (1): 25–50. DOI logoGoogle Scholar, 33). Cela faciliterait le processus d’attribution des traits stylistiques au seul traducteur. Baker (2000) 2000 “Towards a Methodology for Investigating the Style of a Literary Translator.” Target 12 (2): 241–266. DOI logoGoogle Scholar et Saldanha (2011)Saldanha, Gabriela 2011 “Translator Style: Methodological Considerations.” The Translator 17 (1): 25–50. DOI logoGoogle Scholar soutiennent que cette approche présente un inconvénient majeur, à savoir que très peu de textes ont été traduits plusieurs fois dans une même langue et à une période donnée. Ceci est indubitablement vrai ; cela ne constitue toutefois pas nécessairement un obstacle. Même si les textes correspondant à ces critères sont peu nombreux, cela ne devrait pas nous empêcher de les utiliser s’ils nous permettent de mieux cerner le style du traducteur. Rien ne nous interdit de regrouper l’étude de plusieurs traductions de textes différents et la comparaison de plusieurs traductions d’un même TS. La présente étude adopte cette dernière approche en comparant deux traductions en italien de At the Mountains of Madness de H. P. Lovecraft, toutes deux publiées au début des années 1990. Je tente ainsi de minimiser, dans le processus de comparaison, les effets de variables comme le TS, l’auteur d’origine, la langue source et la période de traduction.

Dans le domaine de la traductologie de corpus, la comparaison de différentes traductions issues du même texte original est monnaie courante. Néanmoins, très peu d’études utilisant différents TC issus du même TS analysent le style du traducteur, comme par exemple Li, Zhang et Liu (2011)Li, Defang, Chunling Zhang, and Kanglong Liu 2011 “Translation Style and Ideology: A Corpus-assisted Analysis of Two English Translations of Hongloumeng .” Literary and Linguistic Computing 26 (2): 153–166. DOI logoGoogle Scholar, Winters (2005Winters, Marion 2005A Corpus-based Study of Translator Style: Oeser’s and Orth Guttmann’s German Translations of F. Scott Fitzgerald’s The Beautiful and Damned. PhD diss. Dublin City University., 2007 2007 “F. Scott Fitzgerald’s Die Schönen und Verdammten: A Corpus-based Study of Speech-act Report Verbs as a Feature of Translators.” Meta 52 (3): 412–425. DOI logoGoogle Scholar, 2009 2009 “Modal Particles Explained: How Modal Particles Creep into Translations and Reveal Translators’ Styles.” Target 21 (1): 74–97. DOI logoGoogle Scholar, 2010 2010 “From Modal Particles to Point of View: A Theoretical Framework for the Analysis of Translator Attitude.” Translation and Interpreting Studies 5 (2): 163–185. DOI logoGoogle Scholar), ainsi que Wang et Li (2012)Wang, Qing, and Defeng Li 2012 “Looking for Translator’s Fingerprints: A Corpus-based Study on Chinese Translation of Ulysses .” Literary and Linguistic Computing 27 (1): 81–93. DOI logoGoogle Scholar. Li, Zhang et Liu (2011)Li, Defang, Chunling Zhang, and Kanglong Liu 2011 “Translation Style and Ideology: A Corpus-assisted Analysis of Two English Translations of Hongloumeng .” Literary and Linguistic Computing 26 (2): 153–166. DOI logoGoogle Scholar suivent attentivement la méthode de Baker (2000) 2000 “Towards a Methodology for Investigating the Style of a Literary Translator.” Target 12 (2): 241–266. DOI logoGoogle Scholar dans leur comparaison de deux traductions en anglais du même roman chinois de Xuequin Cao, Hongloumeng. Ils identifient des différences au niveau du ratio type/token et dans la longueur des phrases entre les deux traducteurs, et utilisent un vaste ensemble d’informations méta- et paratextuelles pour fournir des hypothèses expliquant ces différences. Winters (2007 2007 “F. Scott Fitzgerald’s Die Schönen und Verdammten: A Corpus-based Study of Speech-act Report Verbs as a Feature of Translators.” Meta 52 (3): 412–425. DOI logoGoogle Scholar, 2009 2009 “Modal Particles Explained: How Modal Particles Creep into Translations and Reveal Translators’ Styles.” Target 21 (1): 74–97. DOI logoGoogle Scholar, 2010 2010 “From Modal Particles to Point of View: A Theoretical Framework for the Analysis of Translator Attitude.” Translation and Interpreting Studies 5 (2): 163–185. DOI logoGoogle Scholar) compare le point de vue, les actes de discours et les particules modales dans deux traductions en allemand de The Beautiful and the Damned de F. Scott Fitzgerald afin d’identifier des divergences dans l’attitude et dans le style des traducteurs. Enfin, Wang et Li (2012)Wang, Qing, and Defeng Li 2012 “Looking for Translator’s Fingerprints: A Corpus-based Study on Chinese Translation of Ulysses .” Literary and Linguistic Computing 27 (1): 81–93. DOI logoGoogle Scholar mettent en parallèle deux traductions en chinois de Ulysses de James Joyce pour mettre au jour les préférences lexicales de chacun des traducteurs avec une attention particulière aux verbes et aux particules émotionnelles du chinois dont l’utilisation différente à travers les deux TC est interprétée comme relevant de différents niveaux de familiarité.

A l’exception de ces quelques études, la comparaison de différentes traductions d’un même texte original a surtout été utilisée dans les recherches axées sur le TS ; celles-ci s’intéressent particulièrement au style du texte original et à sa reproduction, plutôt qu’au style du traducteur. Ruano (2017)Ruano, Pablo 2017 “Corpus Methodologies in Literary Translation Studies: An Analysis of Speech Verbs in Four Spanish translations of Hard Times .” Meta 62 (1): 94–113. DOI logoGoogle Scholar, par exemple, compare quatre versions en espagnol de Hard Times de Charles Dickens. Il analyse la manière dont les traducteurs ont réagi à un trait stylistique du texte original, en l’occurrence l’utilisation des verbes de locution comme technique de caractérisation. De la même façon, Mastropierro (2015)Mastropierro, Lorenzo 2015 “-ly adverbs in Lovecraft’s At the Mountains of Madness and in Two Italian translations: A Corpus Stylistic Approach to Literary Translation.” In Spazi della Memoria, edited by Luisa Pontrandolfo, 217–241. Bari: Edizioni dal Sud.Google Scholar analyse dans quelle mesure l’utilisation idiosyncratique des adverbes par H. P. Lovecraft a été maintenue dans deux traductions en italien de At the Mountains of Madness, alors que Mastropierro (2017) 2017Corpus Stylistics in Heart of Darkness and its Italian Translations. London: Bloomsbury.Google Scholar étudie le style de Heart of Darkness de Joseph Conrad dans quatre traductions en italien. En se focalisant sur les traits stylistiques liés au monde fictif et aux thèmes principaux de la nouvelle, Mastropierro (2017) 2017Corpus Stylistics in Heart of Darkness and its Italian Translations. London: Bloomsbury.Google Scholar compare les TC et traite les effets de manipulation qui découlent de la modification du style du texte original par le traducteur. Bosseaux (2004Bosseaux, Charlotte 2004 “Translating Point of View: A Corpus-Based Study.” Language Matters: Studies in the Language of Africa 35 (1): 259–274. DOI logoGoogle Scholar, 2006 2006 “Who’s Afraid of Virginia’s you: A Corpus-Based Study of the French Translations of The Waves .” Meta 51 (3): 599–610. DOI logoGoogle Scholar, 2007 2007How Does It Feel? Point of View in Translation: The Case of Virginia Woolf into France. Amsterdam: Rodopi. DOI logoGoogle Scholar) analyse les points de vue dans The Waves de Virginia Woolf et dans deux traductions en français, en se concentrant sur des points comme la transitivité, la deixis, la modalité et l’effet des choix du traducteur sur ces traits. Comme l’explique Saldanha (2011Saldanha, Gabriela 2011 “Translator Style: Methodological Considerations.” The Translator 17 (1): 25–50. DOI logoGoogle Scholar, 27), ces études témoignent d’une préoccupation envers le « style de la traduction » (perçu comme étant une réponse au style du TS) plutôt qu’envers le « style du traducteur ». Cette approche contribue de manière importante à notre compréhension de la relation entre texte source et texte cible, mais elle n’apporte pas un éclairage sur le style des traducteurs individuels.

Cet article vise à analyser deux traductions en italien de At the Mountains of Madness pour interroger la problématique du style du traducteur. Il se focalise principalement sur une méthode d’identification des traits linguistiques pouvant être considérés comme de potentiels indicateurs du style des deux traducteurs. Cette méthode est fondée sur la comparaison des TC, à travers l’utilisation d’une technique de linguistique de corpus appelée analyse par mots-clés. Toutefois, au lieu d’utiliser des mots individuels comme cela a pu être fait dans des études antérieures (voir Section 2), j’utilise des séquences de mots, c’est-à-dire des « groupes de mots ». Dans la section suivante, je présenterai l’analyse par mots-clés en général et sa mise en pratique sur les séquences de mots ; j’expliquerai également pourquoi l’utilisation des groupes de mots est avantageuse dans l’étude du style du traducteur. La Section 3 décrit la méthodologie de cette étude, alors que la Section 4 en expose les grandes lignes et discute des résultats de l’analyse. La réflexion est divisée en trois sous-sections, chacune traitant un ensemble spécifique de groupes de mots clés connexes. La Section 4.1 analyse l’utilisation du -d euphonique, la Section 4.2 traite de la différence d’utilisation des clitiques locatifs et la Section 4.3 se focalise sur les démonstratifs distaux. Enfin, la Section 5 propose des conclusions.

2.Mots-clés et groupes de mots clés

L’analyse par mots-clés est utilisée en linguistique de corpus afin de comparer deux textes (ou deux corpus). Dans une analyse par mots-clés, l’ordinateur compare les fréquences de la totalité des mots dans les deux textes et identifie comme étant clés les mots qui apparaissent plus (ou moins) souvent de manière significative dans un texte, par rapport à l’autre. Les mots-clés sont généralement considérés comme des éléments caractéristiques dans les textes et ils ont été largement utilisés pour déterminer le sujet de ces derniers (Scott 2016aScott, Mike 2016aWordSmith Tools Help. Liverpool: Lexical Analysis Software. Accessed January 05, 2017. http://​www​.lexically​.net​/downloads​/version6​/HTML​/index​.html​?getting​_started​.htm). Mahlberg et McIntyre (2011)Mahlberg, Michaela, and Dan McIntyre 2011 “A Case for Corpus Stylistics: Ian Fleming’s Casino Royale .” English Text Construction 4 (2): 204–227. DOI logoGoogle Scholar, par exemple, analysent des mots-clés du roman Casino Royale d’Ian Fleming afin d’identifier les groupes de mots clés qui caractérisent les thèmes et le monde fictif de son roman ; on peut notamment y trouver casino, gambler, luck, agent, etc. Culpeper (2009)Culpeper, Jonathan 2009 “Keyness: Words, Parts-of-Speech and Semantic Categories in the Character-Talk of Shakespeare’s Romeo and Juliet .” International Journal of Corpus Linguistics 14 (1): 29–59. DOI logoGoogle Scholar compare la façon dont les personnages parlent dans Romeo and Juliet afin de déterminer le vocabulaire typique de chacun. Les résultats obtenus suggèrent que la façon de parler de Romeo est caractérisée par l’utilisation de mots lexicaux comme beauty, love, blessed, eyes, etc., alors que celle de Juliet est marquée par l’occurrence plus fréquente de mots grammaticaux comme if, or, I et my. En traductologie, les mots-clés ont été employés pour faciliter l’identification du langage créatif et des hapax legomena dans le TS (Kenny 2001Kenny, Dorothy 2001Lexis and Creativity in Translation: A Corpus-based Study. Manchester: St. Jerome.Google Scholar), pour mettre l’accent sur des mots thématiques qui nécessitent plus d’attention de la part du traducteur (Čermáková 2015Čermáková, Anna 2015 “Repetition in John Irving’s Novel A Widow for One Year: A Corpus Stylistics Approach to Literary Translation.” International Journal of Corpus Linguistics 20 (3): 355–377. DOI logoGoogle Scholar), ou pour sélectionner des éléments qui peuvent fonctionner comme des nœuds dans les réseaux de cohésion (Mastropierro et Mahlberg 2017Mastropierro, Lorenzo, and Michaela Mahlberg 2017 “Key Words and Translated Cohesion in Lovecraft’s At the Mountains of Madness and One of its Italian Translations.” English Text Construction 10 (1): 78–105. DOI logoGoogle Scholar). Cependant, les mots-clés, dans le cadre de l’investigation du style du traducteur, ont rarement été utilisés pour comparer les différentes traductions d’un même TS. Parmi les rares exceptions, Winters (2009) 2009 “Modal Particles Explained: How Modal Particles Creep into Translations and Reveal Translators’ Styles.” Target 21 (1): 74–97. DOI logoGoogle Scholar se sert de cette méthode pour comparer deux traductions en allemand de The Beautiful and Damned de F. Scott Fitzgerald. Elle met notamment l’accent sur la façon personnelle dont les traducteurs utilisent les particules modales en allemand et procède à une analyse par mots-clés pour identifier les particules les plus utilisées par chaque traducteur. De la même façon, Wang et Li (2012)Wang, Qing, and Defeng Li 2012 “Looking for Translator’s Fingerprints: A Corpus-based Study on Chinese Translation of Ulysses .” Literary and Linguistic Computing 27 (1): 81–93. DOI logoGoogle Scholar utilisent l’analyse par mots-clés pour comparer deux traductions en chinois de l’œuvre de Joyce, Ulysses, sélectionnant, pour une analyse plus approfondie, des verbes et des particules émotionnelles en chinois qui sont préférés soit par un traducteur, soit par l’autre.

Contrairement à Winters (2009) 2009 “Modal Particles Explained: How Modal Particles Creep into Translations and Reveal Translators’ Styles.” Target 21 (1): 74–97. DOI logoGoogle Scholar et Wang et Li (2012)Wang, Qing, and Defeng Li 2012 “Looking for Translator’s Fingerprints: A Corpus-based Study on Chinese Translation of Ulysses .” Literary and Linguistic Computing 27 (1): 81–93. DOI logoGoogle Scholar, cet article se focalise sur des groupes de mots plutôt que sur des mots individuels. Les groupes de mots sont des séquences de mots qui apparaissent fréquemment ensemble (Scott 2016aScott, Mike 2016aWordSmith Tools Help. Liverpool: Lexical Analysis Software. Accessed January 05, 2017. http://​www​.lexically​.net​/downloads​/version6​/HTML​/index​.html​?getting​_started​.htm) comme, par exemple, of the car, un groupe de trois mots, you know, un groupe de deux mots, on the other hand, un groupe de quatre mots, etc. Les séquences de mots ont fait l’objet de nombreuses études en linguistique de corpus sous différents noms (groupes de mots, blocs lexicaux, n-grammes, fragments, combinaisons de mots récurrentes, etc.) et sous différentes approches. L’une des conceptions les plus répandues de ce trait linguistique est celle des « blocs lexicaux » (Biber et al. 1999Biber, Douglas, Susan Conrad, Edward Finegan, Geoffrey Leech, and Stig Johansson 1999Longman Grammar of Spoken and Written English. Harlow: Longman.Google Scholar ; Biber, Conrad et Cortes 2004Biber, Douglas, Susan Conrad, and Viviana Cortes 2004 “ If you look at…: Lexical Bundles in University Teaching and Textbooks.” Applied Linguistics 25 (3): 371–405. DOI logoGoogle Scholar), définis comme étant des blocs de mots qui, d’un point de vue statistique, ont tendance à se répéter. La définition des blocs lexicaux est liée à deux critères numériques : pour être reconnue en tant que bloc, une séquence de mots doit (i) apparaître au moins un certain nombre de fois par million de mots (ce nombre est arbitraire et change d’étude en étude, passant de 5, à 10, à 40), et (ii) apparaître au moins dans cinq textes différents. Les séquences de mots qui répondent à ces critères ont été étudiées comme pertinentes, et spécifiques au genre et/ou au registre (Biber, Conrad, et Cortes 2004Biber, Douglas, Susan Conrad, and Viviana Cortes 2004 “ If you look at…: Lexical Bundles in University Teaching and Textbooks.” Applied Linguistics 25 (3): 371–405. DOI logoGoogle Scholar). Néanmoins, une définition pratique des séquences de mots fondée sur des limites statistiques, comme celle des blocs lexicaux, pourrait ne pas fonctionner aussi bien dans une étude qui, comme celle-ci, se concentre uniquement sur deux textes individuels, et non sur de vastes corpus. La longueur moindre des traductions peut avoir une répercussion sur le potentiel de la fréquence de mots pour mettre en exergue les traits linguistiques pertinents. Mahlberg (2013) 2013Corpus Stylistics and Dickens’s Fiction. New York: Routledge. DOI logoGoogle Scholar, par exemple, montre que les séquences de mots qui n’apparaissent pas aussi souvent qu’il le faudrait pour être qualifiées de blocs lexicaux offrent, malgré tout, un aperçu intéressant pour l’étude des romans de Dickens. De ce fait, cet article se sert de la définition plus vague de « groupes de mots » qui n’est pas liée à des seuils de fréquence stricts. On peut toujours considérer une séquence répétée de mots comme un groupe de mots même si elle n’apparaît pas x fois par million de mots. De plus, cette étude n’est pas contrainte à la restriction selon laquelle un groupe de mots doit apparaître dans au moins x textes puisque cette analyse a comme objet des traductions littéraires individuelles.

La pertinence de l’analyse des groupes de mots pour étudier les caractéristiques de textes ou d’auteurs uniques a été largement démontrée dans le cadre de la stylistique de corpus, par des études qui se penchent sur les idiosyncrasies plutôt que sur les schémas généralisables. Mahlberg (2007Mahlberg, Michaela 2007 “Clusters, Key Clusters and Local Textual Functions in Dickens.” Corpora 2 (1): 1–31. DOI logoGoogle Scholar, 2013 2013Corpus Stylistics and Dickens’s Fiction. New York: Routledge. DOI logoGoogle Scholar), Starcke (2006)Starcke, Bettina 2006 “The Phraseology of Jane Austen’s Persuasion: Phraseological Units as Carriers of Meaning.” ICAME Journal 30: 87–104.Google Scholar et Fisher-Starcke (2010) en particulier ont énormément contribué à l’élaboration de cette approche. Mahlberg (2007Mahlberg, Michaela 2007 “Clusters, Key Clusters and Local Textual Functions in Dickens.” Corpora 2 (1): 1–31. DOI logoGoogle Scholar, 2013 2013Corpus Stylistics and Dickens’s Fiction. New York: Routledge. DOI logoGoogle Scholar) suggère que les groupes de cinq mots dans les romans de Dickens peuvent jouer des rôles spécifiques produisant des effets stylistiques. Par exemple, la catégorie de groupes de mots en « as if » indique les commentaires et les interprétations de l’auteur ou du narrateur, tandis que les groupes de mots « étiquette » contribuent à la caractérisation des protagonistes et à l’identification de thèmes principaux (Mahlberg 2013 2013Corpus Stylistics and Dickens’s Fiction. New York: Routledge. DOI logoGoogle Scholar, 40). De la même façon, Starcke (2006)Starcke, Bettina 2006 “The Phraseology of Jane Austen’s Persuasion: Phraseological Units as Carriers of Meaning.” ICAME Journal 30: 87–104.Google Scholar et Fischer-Starcke (2010)Fischer-Starcke, Bettina 2010Corpus Linguistics in Literary Analysis: Jane Austen and her Contemporaries. London: Continuum.Google Scholar abordent la question des groupes de mots dans les œuvres de Jane Austen et en identifient certains qui caractérisent des protagonistes spécifiques. À titre d’exemple, on peut citer le personnage d’Anne qui, dans Persuasion, est souvent l’agent des groupes de mots « psychologiques » (par exemple, she could not, Starcke 2006Starcke, Bettina 2006 “The Phraseology of Jane Austen’s Persuasion: Phraseological Units as Carriers of Meaning.” ICAME Journal 30: 87–104.Google Scholar, 102) ; ces groupes de mots indiquent la vie intérieure du personnage et, dans le même temps, soulignent le fait que le roman se concentre sur les pensées et les perceptions intérieures.

Au même titre qu’une analyse par mots-clés, on peut utiliser une analyse par groupes de mots clés pour identifier des séquences de mots caractéristiques d’un texte donné, par rapport à un autre texte ou corpus. Le fonctionnement est le même : on compare la fréquence de tous les groupes de mots dans un texte à celle de tous les groupes de mots d’un autre texte et on considère ceux qui apparaissent beaucoup plus souvent dans un texte que dans l’autre comme des éléments clés. Dans cet article, les textes comparés sont deux traductions différentes du même texte original ; les groupes de mots clés identifiés seront donc considérés comme révélateurs des divergences de style entre les deux traducteurs. Le tableau des différences entre les TC que les principaux groupes de mots clés proposent ne se limite pas à la préférence pour le mot individuel, mais peut également comprendre des structures lexico-grammaticales plus complexes. Les séquences polylexicales peuvent en réalité avoir un impact sémantique et grammatical plus important sur le sens que les mots individuels (Stubbs 2002Stubbs, Michael 2002Words and Phrases. Corpus Studies of Lexical Semantics. Oxford: Blackwell.Google Scholar, 2007 2007 “Quantitative Data on Multi-word Sequences in English: The Case of the Word world .” In Text, Discourse and Corpora: Theory and Analysis, edited by Michael Hoey, Michaela Mahlberg, Michael Stubbs, and Wolfgang Teubert, 163–189. London: Continuum.Google Scholar) et leur analyse a représenté une approche méthodologique majeure pour l’étude de la pertinence stylistique (Biber 2011Biber, Douglas 2011 “Corpus Linguistics and the Study of Literature: Back to the Future?Scientific Study of Literature 1 (1): 15–23. DOI logoGoogle Scholar, 17). À cet égard, cet article est préliminaire : il évalue dans quelle mesure les groupes de mots clés peuvent être indicateurs de potentielles différences stylistiques entre deux traductions d’un même TS.

3.Méthodologie

Cette étude compare deux traductions italiennes de l’œuvre intitulée At the Mountains of Madness. Il s’agit, plus précisément, d’une nouvelle d’horreur/de science-fiction écrite en 1931 par H. P. Lovecraft. Cette histoire est structurée autour d’un récit écrit à la première personne, dans lequel un des personnages, le Dr William Dyer, détaille les événements d’une expédition scientifique en Antarctique. Cette expédition mène à la découverte d’une ancienne cité en ruines au-delà d’une chaîne d’énormes montagnes – les montagnes de la folie – qui était habitée, dans un passé lointain, par des créatures préhistoriques et étranges, inconnues à la science. Le premier des deux TC en italien utilisés dans le cadre de cette analyse est celui de Giuseppe Lippi, publié par Mondadori en 1992 ; le second est celui de Serenella Antonucci, publié en 1993 par Newton et Compton. La traduction de Lippi compte 43 564 mots (tokens), tandis que celle de Antonucci en compte 44 943.

Les listes de groupes de mots clés nécessaires à la comparaison sont générées à l’aide du logiciel WordSmith Tools 7 (Scott 2016b 2016bWordSmith Tools version 7 [Computer software]. Liverpool: Lexical Analysis Software.Google Scholar). Des groupes de mots composés de deux à douze termes sont pris en compte. Cette grande portée a été choisie afin d’inclure autant de groupes de mots que le logiciel le permet (2 à 12 étant la gamme maximale autorisée par WordSmith Tools), de manière à maximiser la quantité de données disponibles pour l’analyse. Les comparaisons de groupes de mots clés varient, en réalité, selon le nombre de mots (ou de groupes de mots, dans ce cas) dans les textes (Baker 2010Baker, Paul 2010Sociolinguistics and Corpus Linguistics. Edinburgh: Edinburgh University Press.Google Scholar, 26). Ainsi, le fait d’avoir un plus grand nombre d’éléments à comparer augmente les chances d’obtenir des données plus pertinentes pour l’analyse.

L’autre facteur important qui fait que le nombre de groupes de mots obtenus dans une comparaison de groupes de mots clés varie est le seuil statistique utilisé. Un test statistique (généralement la log-vraisemblance) est utilisé pour produire une liste de groupes de mots clés (et de mots-clés en général). C’est le chercheur qui fixe le seuil définissant le score de log-vraisemblance nécessaire pour qu’un groupe de mots soit considéré comme clé. Ce seuil est fixé par le choix d’une valeur-p. Cette valeur indique la probabilité que le résultat de l’analyse soit dû au hasard. Plus le seuil de la valeur-p est élevé, plus on obtient de groupes de mots clés ; parallèlement, plus le seuil de la valeur-p est bas, plus la probabilité que les résultats soient hasardeux est faible. Il n’y a pas de « bon » ou de « mauvais » seuil de la valeur-p à utiliser dans une comparaison d’éléments-clés, bien que des valeurs inférieures soient généralement préférées parce qu’elles produisent des ensembles d’éléments-clés plus petits, mais plus significatifs. Cependant, lorsque l’on étudie des textes aussi courts que At the Mountains of Madness, il est possible que cela contraigne à travailler avec un nombre restreint de mots ; on risquerait, par ailleurs, de ne pas avoir suffisamment de données pour identifier des schémas significatifs. Mon intention de comparer deux TC du même TS accentue cet inconvénient potentiel, étant donné la similitude intrinsèque entre les traductions. Par exemple, la comparaison de la traduction d’Antonucci à celle de Lippi en utilisant une valeur-p de 0,01 fait ressortir 130 groupes de mots clés, alors qu’avec une valeur-p de 0,0000001 on en obtient seulement 5. Pour cette étude, une valeur-p de 0,0001 est utilisée, de manière à maintenir un bon équilibre entre le nombre de groupes de mots clés obtenus et leur signification statistique (une valeur-p de 0,0001 signifie qu’il n’y a qu’une probabilité de 0,01% que le résultat de l’analyse d’éléments-clés soit dû au hasard).

Je comparerai les groupes de mots clés de la traduction d’Antonucci à ceux de la traduction de Lippi (et vice versa), afin d’identifier les traits linguistiques qui peuvent être liés aux différences de style chez les traducteurs. En m’appuyant sur les définitions du style du traducteur de Baker (2000) 2000 “Towards a Methodology for Investigating the Style of a Literary Translator.” Target 12 (2): 241–266. DOI logoGoogle Scholar et de Saldanha (2011)Saldanha, Gabriela 2011 “Translator Style: Methodological Considerations.” The Translator 17 (1): 25–50. DOI logoGoogle Scholar, je chercherai des traits linguistiques qui (i) permettent de distinguer l’écriture de chacun des traducteurs, (ii) représentent des schémas dans le texte et (iii) ne peuvent pas être expliqués en raison de contraintes linguistiques. Les groupes de mots clés sélectionnés seront discutés et analysés de manière détaillée afin de vérifier s’ils correspondent à ces critères.

Enfin, on utilisera un corpus de référence supplémentaire dans le but de fournir d’autres preuves des différentes utilisations des traits linguistiques opposés : CODIS (Corpus Dinamico di Italiano Scritto, http://​corpora​.ficlit​.unibo​.it​/coris​_eng​.html). Développé à l’Université de Bologne, en Italie, le CODIS est un corpus dynamique de l’italien écrit. Il contient 100 millions de mots répartis en 6 sous-corpus principaux : presse, fiction, prose académique, prose juridique et administrative, miscellanées et éphémères. Dans cette étude, on utilise le sous-corpus de fiction qui contient 25 millions de mots, issus de romans et de nouvelles, à la fois à partir de textes originaux italiens et de traductions en italien.

4.Groupes de mots clés dans les deux traductions

Aucun seuil de fréquence minimum n’a été utilisé lors de la création des deux listes de groupes de mots, afin de s’assurer que tous les groupes de 2 à 12 mots ont été inclus. La traduction d’Antonucci contient 382 688 groupes de mots, et celle de Lippi, 369 009. Les deux listes sont ensuite comparées pour identifier les groupes de mots clés. Une valeur-p de 0,0001 est utilisée, ainsi qu’une fréquence minimale de 3 (c’est-à-dire qu’un groupe de mots doit apparaître au moins 3 fois pour être considéré comme un groupe de mots clé). La comparaison de la traduction d’Antonucci avec celle de Lippi fait apparaître 16 groupes de mots clés, alors que la comparaison de la traduction de Lippi avec celle d’Antonucci en fait apparaître 14. Le Tableau 1 présente les groupes de mots clés pour les deux listes qui ont été triées par score de log-vraisemblance (Log-L).

Tableau 1.Groupes de mots clés
Antonucci vs. Lippi Lippi vs. Antonucci
N Groupe de mots clé Fréq. RC. Fréq. Log-L N Groupe de mots clé Fréq. RC. Fréq. Log-L
1 ad un 38  0 51,50 1 a un 41  6 30,36
2 ad una 27  0 36,60 2 e io 19  0 26,94
3 ed il 25  0 33,88 3 a una 30  3 26,49
4 ed i 25  0 33,88 4 d anni 16  0 22,68
5 in quel 64 16 29,36 5 fra le 21  2 18,89
6 in quel momento 30  3 24,81 6 e altri 13  0 18,43
7 così come 16  0 21,69 7 un attimo 13  0 18,43
8 al di 62 20 21,28 8 danforth e io 13  0 18,43
9 di quella 33  6 19,75 9 la creatura 12  0 17,01
10 per cui 37  8 19,37 10 all accampamento 16  1 16,43
11 di quelle 39 10 17,45 11 e il 47 17 15,58
12 vi erano 17  1 16,73 12 c era  5  5 15,19
13 ed in 12  0 16,26 13 alle spalle  1  1 15,14
14 un istante 12  0 16,26 14 c erano  1  1 15,14
15 quel momento 50 17 15,97
16 di quel 35  9 15,61

La plupart des groupes de mots clés relevés sont des séquences de deux mots. Il n’y a qu’un seul groupe de mots clé composé de trois termes dans la traduction d’Antonucci (in quel momento, « à ce moment-là ») et un seul dans celle de Lippi (Danforth e io, « Danforth et moi »). Ce résultat n’est pas seulement dû au fait que les groupes de mots plus courts apparaissent beaucoup plus souvent que les longs. Il est plus probable que les groupes de mots plus longs soient plus spécifiques au texte que les groupes de mots courts, qui sont plutôt généraux. Par exemple, dans le corpus de Dickens ainsi que dans son corpus de référence composé de romans du XIX siècle, Mahlberg (2013 2013Corpus Stylistics and Dickens’s Fiction. New York: Routledge. DOI logoGoogle Scholar, 57) fait remarquer que plus un groupe de mots est long, plus le nombre de textes dans lesquels il apparaît est restreint. Lorsque les groupes de mots atteignent 9 à 10 termes, ils deviennent propres à un texte en particulier, tandis que les groupes de mots plus courts apparaissent dans presque tous les textes. Dans la mesure où ils sont principalement constitués de mots-outils courants, aucun des groupes de mots du Tableau 1 ne comprend de termes propres à un texte, à l’exception de Danforth e io. Cela démontre que les éléments liés au contenu et spécifiques au texte ont été presque complètement écartés par la comparaison d’éléments-clés, puisqu’ils sont communs aux deux textes. Il ne reste donc que les groupes de mots clés non communs : ceux qui peuvent révéler des différences potentielles entre le style des deux traducteurs.

Cet article vise à décrire le style du traducteur en termes de tendances linguistiques ou « schémas ». Afin de mieux démontrer dans quelle mesure les principaux groupes de mots clés du Tableau 1 peuvent être considérés comme des schémas textuels, je me concentrerai sur les groupes de mots qui peuvent être répartis dans des catégories connexes, en proposant plus particulièrement une analyse détaillée de trois types de groupes de mots. Dans la Section 4.1, je traiterai de l’utilisation du -d euphonique en analysant les groupes de mots clés ad un, ad una, ed il, ed i et ed in. Dans la Section 4.2, je décrirai l’utilisation des clitiques locatifs en me concentrant sur les groupes de mots clés vi erano, c’era et c’erano. Enfin, dans la Section 4.3, j’aborderai l’utilisation des démonstratifs distaux à travers l’analyse des groupes de mots clés in quel, in quel momento, di quella, di quelle, quel momento et di quel.

4.1L’utilisation du -d euphonique

On appelle -d euphonique (-d eufonica en italien) le -d que l’on ajoute à la conjonction e (« et ») ou à la préposition a (« à ») quand elles précèdent un mot qui commence par une voyelle ; par exemple, ed il (« et le ») à la place de e il, ou ad un (« à un ») à la place de a un. L’ajout d’un -d a pour but de réduire la cacophonie engendrée par la succession de deux voyelles, ce qui explique qu’on le définisse comme « euphonique » (c’est-à-dire, agréable à l’oreille). Plusieurs groupes de mots clés dans le Tableau 1 montrent une préférence pour l’utilisation du -d euphonique dans la traduction d’Antonucci : ad un (« à un »), ad una (« à une »), ed il (« et le »), ed i (« et les », masculin) et ed in (« et dans »). Cela signifie qu’Antonucci utilise la conjonction e ainsi que la préposition a dans leur forme euphonique beaucoup plus fréquemment que l’autre traducteur – en réalité, ils n’apparaissent pas du tout dans le texte de Lippi. En revanche, la traduction de Lippi possède des groupes de mots clés similaires mais sans l’utilisation du -d euphonique : a un, a una et e il.

L’utilisation du -d euphonique en italien contemporain a considérablement diminué (D’Achille 2003D’Achille, Paolo 2003L’Italiano Contemporaneo. Bologna: Il Mulino.Google Scholar, 191), notamment à l’écrit, comme dans la fiction et les articles de journaux (Bonomi 2002Bonomi, Ilaria 2002L’Italiano Giornalistico: Dall’inizion del ‘900 ai quotidiani online. Firenze: F. Cesati.Google Scholar, 193). Son utilisation est désormais préconisée uniquement quand e et a sont suivis de mots commençant par ces mêmes voyelles (Setti 2002Setti, Raffaella 2002Sulla d eufonica. Accessed January 06, 2017. http://​www​.accademiadellacrusca​.it​/it​/lingua​-italiana​/consulenza​-linguistica​/domande​-risposte​/d​-eufonica ; D’Achille 2003D’Achille, Paolo 2003L’Italiano Contemporaneo. Bologna: Il Mulino.Google Scholar ; Viviani 2011Viviani, Andrea 2011d eufonica: Enciclopedia dell’Italiano. Accessed March 9, 2018. http://​www​.treccani​.it​/enciclopedia​/d​-eufonica​-prontuario​_%28Enciclopedia​-dell%27Italiano%29/). Le CODIS fournit des preuves supplémentaires de cette tendance à la baisse. En comparant la fréquence de ces deux types de groupes de mots clés dans les deux TC à l’aide du sous-corpus de fiction du CODIS, on constate que les formes dépourvues du -d euphonique sont beaucoup plus courantes. On compte 2 236 occurrences de ad un contre 11 197 de a un ; alors qu’on compte 1 367 ad una contre 6 219 a una ; enfin on compte 800 ed il contre 16 522 e il. Un test de log-vraisemblance (Log-Likelihood, LL) confirme que toutes ces différences de fréquence sont statistiquement significatives (ad un (2 236) contre a un (11 197) : LL 6526,44 ; ad una (1 367) contre a una (6 219) : LL 3356,84 ; ed il (800) contre e il (16 522) : LL 17530,73 ; valeur-p < 0,0001). Antonucci affiche donc une préférence pour un trait linguistique moins courant que son équivalent standard et, à cet égard, plus marqué. Prenons l’exemple (1) où, pour la même phrase du TS, Antonucci utilise le -d euphonique, contrairement à Lippi:

(1)

[…] una serie di dischi orizzontali vicino allá cima, ed una fila di pinnacoli simili ad aghi, lungo la merlatura. [Traduction d’Antonucci]

[…] une série de disques horizontaux près du sommet, et une rangée de pinacles similaires à des aiguilles le long du créneau. [Traduction quasi-littérale]

[…] vàri strati di dischi orizzontali in prossimità della cima e una fila di guglie sottili come aghi lungo il bordo superiore. [Traduction de Lippi]

[…] plusieurs couches de disques horizontaux près du sommet et une rangée de flèches fines comme des aiguilles le long du bord supérieur. [Traduction quasi-littérale]

Utiliser des groupes de mots – plutôt que des mots individuels – s’avère particulièrement utile dans le cas présent car les groupes de mots clés nous montrent quel mot suit ed et ad. L’utilisation du -d euphonique dans la traduction d’Antonucci n’est pas conforme à l’usage courant qui veut que celui-ci ne soit utilisé que dans les cas où ed et ad sont suivis d’un mot commençant par e et a respectivement. A l’inverse, Antonucci utilise le -d euphonique lorsque le mot qui suit commence par d’autres voyelles : ad un, ad una, ed il, ed i et ed in.

Le -d euphonique étant un trait linguistique marqué dont la fréquence diminue à l’écrit en italien contemporain, son utilisation dans la traduction d’Antonucci donne un effet suranné au texte, par rapport à celui de Lippi. Cette particularité pourrait s’expliquer comme étant une tentative de la part d’Antonucci de retranscrire le style désuet, caractéristique de Lovecraft avec des traits linguistiques équivalents en italien. En effet, ce dernier est réputé pour son style anachronique et son usage de tournures anciennes (Robison 2015Robinson, Christopher 2015 “The Abysmal Style of H. P. Lovecraft.” In The Ethics and Poetics of Alterity: New Perspectives on Genre Literature, edited by Maylis Rospide and Sandrine Sorlin, 126–139. Newcastle upon Tyne: Cambridge Scholars Publishing.Google Scholar), visant à imiter le style de la littérature anglaise du XVIIIe siècle. Bien que ce trait stylistique ait été souvent critiqué (notamment par Wilson (1980)Wilson, Edmund 1980 “Tales of the Marvellous and the Ridiculous.” In H. P. Lovecraft: Four Decades of Criticism, edited by S. T. Joshi, 46–49. Athens, OH: Ohio University Press.Google Scholar et Punter (1996)Punter, David 1996The Literature of Terror. The Modern Gothic. London: Longman.Google Scholar, parmi d’autres) il n’en demeure pas moins une caractéristique distinctive de l’œuvre de Lovecraft. Avec son utilisation du -d euphonique, Antonucci a peut-être cherché à reproduire sous certains aspects les « éléments clés et fondamentaux du style de Lovecraft »,22.La citation originale de l’éditeur d’Antonucci traduite en anglais par Mastropierro est la suivante : “fundamental key elements of Lovecraft’s style”. dans la mesure où « y renoncer […] en faveur d’une concision et d’un laconisme plus grands, qu’on pense peut-être plus en accord avec les goûts contemporains, représente une trahison »33.La citation originale de l’éditeur d’Antonuci traduite en anglais par Mastropierro est la suivante : “renouncing them […] in favour of a greater terseness and conciseness, which is maybe considered in line with contemporary taste, is a betrayal”. (préface de l’éditeur, ma traduction).44.Cette citation est une traduction en français de la traduction en anglais par Mastropierro d’une citation de la préface de l’éditeur d’Antonucci originalement écrite en italien. En revanche, Lippi explique dans sa préface que le but de son édition / sa traduction « était d’offrir un Lovecraft lisible » qui ne serait pas « indigeste d’un point de vue stylistique »55.La citation originale de Lippi est la suivante : “was to offer a readable Lovecraft [that would not be] indigestible from a stylistic point of view”. (préface de Lippi, ma traduction),66.Cette citation est une traduction en français de la traduction en anglais par Mastropierro d’une citation de Lippi originalement écrite en italien. d’où son choix d’éviter le -d euphonique. Quels que soient les éventuels éléments déclencheurs de cette divergence linguistique, cette comparaison de groupes de mots clés démontre sans aucun doute que l’utilisation du -d euphonique différencie les styles d’écriture des deux traducteurs qui diffèrent considérablement dans la mesure où ils utilisent un trait linguistique qui peut contribuer à rendre le texte désuet.

4.2L’utilisation des clitiques locatifs ci et vi

L’utilisation des clitiques locatifs est un autre trait linguistique qui différencie les deux traducteurs dans leur adhésion aux conventions d’écriture contemporaines. Les clitiques italiens ci et vi ont la même fonction adverbiale, avec le sens de « y » dans des expressions comme c’è/vi è (« il y a » singulier) ou c’erano/vi erano (« il y avait » pluriel), la différence étant que ci est beaucoup plus commun que vi (D’Achille 2003D’Achille, Paolo 2003L’Italiano Contemporaneo. Bologna: Il Mulino.Google Scholar ; Proudfoot et Cardo 2005Proudfoot, Anna, and Francesco Cardo 2005Modern Italian Grammar. London: Routledge.Google Scholar, 101). Les données du CODIS confirment ceci. La comparaison des formes vi erano (258 occurrences) contre c’erano (3 653) et vi era (447) contre c’era (12 580) montre clairement que les variantes avec ci sont beaucoup plus fréquentes que celles avec vi. Là encore, les différences de fréquence sont statistiquement significatives (vi erano (258) contre c’erano (3 653) : LL 3 520,41 ; vi era (447) contre c’era (12 580) : LL 14 166,01 ; valeur-p < 0,0001). Cependant, il ne s’agit pas seulement d’une question de fréquence : vi est habituellement considéré comme étant plus formel que ci. En comparant les entrées de dictionnaires pour cette catégorie de particules, Calvo Rigual (2011Calvo Rigual, Cesáreo 2011 “Italiano standard e italiano dell’uso medio nei dizionari italiani monolingui dell’uso attuali.” Studi Italiani di Linguistica Teorica e Applicata 3: 403–422.Google Scholar, 412) montre non seulement que ci est presque unanimement considéré comme étant plus courant que vi mais aussi que plusieurs dictionnaires italiens s’accordent sur le fait que vi porte un plus haut degré de formalité.

L’utilisation de ces deux variantes est clairement différente au sein des TC. Lippi préfère la forme ci, plus courante et moins formelle, alors qu’Antonucci utilise plus fréquemment la forme vi, plus rare et plus formelle. Les groupes de mots clés c’era (« il y avait » singulier) et c’erano (« il y avait » pluriel), dans la traduction de Lippi, et vi erano « il y avait » pluriel), dans celle d’Antonucci en sont l’illustration. Vi era (« il y avait » singulier), la forme alternative de c’era, est elle aussi plus fréquente dans la traduction d’Antonucci que dans celle de Lippi, avec respectivement 11 occurrences contre 1, bien que la différence de fréquence ne soit pas significative en raison du seuil de la valeur-p utilisé pour l’analyse des groupes de mots clés. Cette différence entre les deux TC est illustrée dans l’exemple (2) ci-dessous :

(2)

Vi erano dei coni e delle piramidi composte, isolate oppure che sormontavano dei cilindri […] [Traduction d’Antonucci]

Il y avait quelques cônes et quelques pyramides composites, seuls ou surplombant quelques cylindres […]. [Traduction quasi-littérale]

C’erano coni e piramidi composite, a volte isolate e a volte posti in cima a cubi, cilindri […] [Traduction de Lippi]

Il y avait des cônes et des pyramides composites, parfois seuls et parfois placés au sommet de cubes, de cylindres […]. [Traduction quasi-littérale]

Pour ce trait linguistique, Antonucci choisit à nouveau une forme moins commune et plus marquée que celle de Lippi. Les choix des deux traducteurs semblent encore une fois correspondre aux intentions que chacun annonce dans sa préface. L’emploi fréquent de vi au lieu de ci, associé à l’utilisation du -d euphonique, contribue à donner au style d’Antonucci un caractère plus daté et formel, alors que la version de Lippi s’en tient à des choix stylistiques plus conventionnels, du moins en ce qui concerne ces traits linguistiques précis. Comme l’expliquent Wang et Li (2012Wang, Qing, and Defeng Li 2012 “Looking for Translator’s Fingerprints: A Corpus-based Study on Chinese Translation of Ulysses .” Literary and Linguistic Computing 27 (1): 81–93. DOI logoGoogle Scholar, 85), même un choix lexical isolé, pour peu qu’il soit récurrent, peut altérer le ton du texte. Dans ce cas précis, l’utilisation ou non du -d euphonique et le choix d’un clitique plutôt que d’un autre ont un impact sur l’ensemble du registre des deux TC qui diffère selon le degré d’adhésion des textes aux tendances d’écriture actuelles.

4.3L’utilisation des démonstratifs distaux

L’une des plus grandes catégories de groupes de mots clés ne figurant que dans le tableau d’Antonucci est celle des démonstratifs distaux : in quel (« dans ce »), in quel momento (« à ce moment-là »), di quella (« de cette ») di quelle (« de ces » féminin pluriel), quel momento (« ce moment-là »), et di quel (« de ce »). Les démonstratifs pointent vers des entités linguistiques et/ou extra-linguistiques, et renvoient généralement à leur emplacement (Halliday et Hasan 1976Halliday, M. A. K., and Ruqaiya Hasan 1976Cohesion in English. London: Longman.Google Scholar). En italien, tout comme en anglais, les démonstratifs sont organisés en un système binaire fondé sur la distance ou la proximité relative entre l’entité en question et la personne qui parle ou écrit : de manière générale quest-/this (équivalents de « ceci ») font référence à des entités physiquement proches de la personne qui parle ou écrit (démonstratifs proximaux), tandis que quel-/that (équivalents de « cela ») font référence aux entités qui en sont physiquement éloignées (démonstratifs distaux). En plus d’être des marqueurs référentiels, les démonstratifs proximaux et distaux ont une fonction de focalisation. Pavesi (2013)Pavesi, Maria 2013 “ This and That in the Language of Film Dubbing: A Corpus-based Analysis.” Meta 58 (1): 103–133. DOI logoGoogle Scholar explique que, comparativement à d’autres marqueurs référentiels comme le pronom it, (pronom personnel de la 3e personne du singulier en anglais, utilisé pour les non-animés et les non-humains) les démonstratifs « ressortent davantage et lient de façon explicite l’interlocuteur à l’événement discursif et au contexte situationnel »77.La citation originale de Pavesi est la suivante : “stand out more and explicitly bind the interlocutor to the speech event and the situational context”. (105). Mais ce n’est pas seulement l’attention de l’interlocuteur/du lecteur qui est portée sur une entité spécifique. Diessel (2006Diessel, Holger 2006 “Demonstratives, Joint Attention, and the Emergence of Grammar.” Cognitive Linguistics 17 (4): 463–489. DOI logoGoogle Scholar, 469) avance que les démonstratifs sont un « point focal de l’attention commun »88.La citation originale de Diessel est la suivante : “joint focus of attention”. à la personne qui parle ou écrit et à son interlocuteur ou lecteur : l’attention des deux parties est attirée sur l’entité marquée par l’utilisation d’un démonstratif.

Les deux TC diffèrent significativement dans leur utilisation de démonstratifs distaux, bien plus fréquents chez Antonucci. S’intéresser aux mots qui apparaissent le plus souvent après les groupes de mots peut mettre en lumière la façon dont les démonstratifs sont utilisés par Antonucci. In quel est principalement employé avec le référent temporel momento (« moment »), comme l’indiquent les groupes de mots clés in quel momento (« à ce moment-là ») et quel momento (« ce moment-là »). Il apparaît aussi avec d’autres référents temporels comme punto (« point »), periodo (« période »), et tempo (« temps ») ainsi qu’avec des noms de lieux, comme labirinto (« labyrinthe »), posto (« endroit »), luogo (« lieu »), tunnel (« tunnel »), regno (« royaume »), mondo (« monde »), et continente (« continent »). Aucun terme n’est utilisé de façon fréquente à la suite de di quella (comme momento pour in quel) ; d’une façon générale, on ne le trouve pas non plus employé avec des référents temporels. Au contraire, di quella est majoritairement suivi de référents spatiaux tels que città (« ville »), regione (« région »), terra (« terre »), caverna (« caverne »), etc., ainsi que de noms désignant des entités variées, comme par exemple razza (« race »), vista (« vue »), spedizione (« expédition »), follia (« folie »), entità (« entité »), etc. Di quelle présente des caractéristiques similaires à celles de di quella et n’est pas utilisé avec des référents temporels mais avec une grande variété de lieux et d’entités, les plus fréquents étant sculture (« sculptures ») et montagne (« montagnes »), qui apparaissent 4 fois, ainsi que cime (« sommets »), qui apparaît 3 fois. Di quel est plus fréquent avec mondo (« monde », 4 occurrences), tandis que la plupart des autres termes qui suivent le déterminant n’apparaissent qu’une seule fois ; il s’agit de lieux et d’entités, mais jamais de référents temporels. En général, à l’exception de in quel qui est utilisé avec momento pour désigner un moment précis dans le temps, les autres déterminants sont employés pour faire référence à un large éventail d’entités, d’espaces et d’endroits. Cette variabilité suggère que c’est la structure elle-même (préposition + déterminant distal + nom) qui est privilégiée par le traducteur plutôt qu’une séquence de mots donnée.

L’utilisation répétée de cette structure par Antonucci met l’accent sur le lien entre le point de vue du narrateur et le contexte situationnel qu’il décrit. En comparaison avec la traduction de Lippi, celle d’Antonucci présente une emphase supplémentaire sur le narrateur comme focalisateur de la scène. Observons l’exemple (3) :

(3)

La vista di quelle creature mostruose, insieme con la desolata solitudine e il vento spaventoso che soffiava dalle montagne, dovevano aver contribuito insieme a spingere quel gruppo di studiosi verso la pazzia. [Traduction d’Antonucci]

La vue de ces créatures monstrueuses, ainsi que la solitude désolée et le vent effrayant qui soufflait des montagnes, ont sûrement contribué ensemble à pousser ce groupe de savants vers la folie. [Traduction quasi-littérale]

La vista delle creature e la loro vicinanza, unita all’opprimente solitudine e al terribile vento che soffiava dalle montagne, dovevano essersi uniti nello spingere il gruppo verso la follia. [Traduction de Lippi]

La vue des créatures et leur proximité, couplée à la solitude oppressante et au vent terrible qui soufflait des montagnes, se sont sûrement unis pour pousser le groupe vers la folie. [Traduction quasi-littérale]

L’utilisation de démonstratifs distaux dans la traduction d’Antonucci (di quelle creature, « de ces créatures » ; quel gruppo, « ce groupe ») met en avant le point de vue du narrateur comme centre déictique de la narration de façon plus marquée que ne le fait l’utilisation de déterminants dans la version de Lippi (delle creature, « des créatures » ; il gruppo « le groupe »). L’emphase supplémentaire véhiculée par les démonstratifs renforce l’impression de distance entre le narrateur et les événements traumatiques qu’il vit : ces créatures, plutôt que les créatures ; ce groupe, plutôt que le groupe. Mason et Şerban (2003)Mason, Ian, and Adriana Şerban 2003 “Deixis as an Interactive Feature in Literary Translations from Romanian into English.” Target 15 (2): 269–294. DOI logoGoogle Scholar ont montré la même chose dans leur analyse sur les déplacements déictiques dans la traduction littéraire. La présente étude ne se concentre pas sur le même sujet que la leur, dans la mesure où cette dernière s’intéresse, à travers la comparaison de TC et de TS, à la traduction en anglais des déictiques dans la fiction roumaine. Néanmoins, Mason et Şerban reconnaissent que l’utilisation réitérée de démonstratifs distaux peut créer « un discours de distanciation et de détachement »99.La citation originale de Mason et Şerban est la suivante : “a discourse of distance and detachement”. dans le texte (Mason et Şerban 2003Mason, Ian, and Adriana Şerban 2003 “Deixis as an Interactive Feature in Literary Translations from Romanian into English.” Target 15 (2): 269–294. DOI logoGoogle Scholar, 290). L’utilisation plus fréquente de démonstratifs distaux dans un TC que dans l’autre suggère que dans le texte d’Antonucci, ce « discours de distanciation et de détachement »1010.Voir i. est plus marqué et plus cohérent que dans la version de Lippi. En conséquence, on peut penser que la traduction d’Antonucci intensifie le sentiment d’aliénation que les protagonistes ressentent quand ils explorent les anciennes ruines de la civilisation extraterrestre.

Un autre schéma mis en évidence par l’analyse de cette catégorie de groupes de mots clés est l’utilisation de démonstratifs distaux pour introduire des référents temporels. Comme mentionné précédemment, ce phénomène s’avère plus fréquent avec momento (« moment »), qui apparaît dans les groupes de mots clés in quel momento (« à ce moment-là ») et quel momento (« ce moment-là ») dans la traduction d’Antonucci. Dans ce cas, au lieu de marquer une séparation, les références temporelles agissent comme des pointeurs vers le contexte d’énonciation spécifique dans lequel le narrateur se trouve. Prenons l’exemple (4) :

(4)

Il passo apparve in quel momento direttamente davanti a noi, levigato e spazzato dal vento […] [Traduction d’Antonucci]

Le col apparut à ce moment-là directement devant nous, lissé et balayé par le vent […] [Traduction quasi-littérale]

Il passo si trovava davanti a noi, liscio e frustato dal vento […] [Traduction de Lippi]

Le col se trouvait devant nous, lisse et battu par le vent […] [Traduction quasi-littérale]

Comparé à la traduction de Lippi, le texte d’Antonucci ajoute une dimension temporelle supplémentaire à la description, ce qui souligne l’implication du narrateur et donne à la scène vivacité et immédiateté. Comme l’explique Bosseaux (2007) 2007How Does It Feel? Point of View in Translation: The Case of Virginia Woolf into France. Amsterdam: Rodopi. DOI logoGoogle Scholar dans son analyse des points de vue temporels et de la deixis dans deux traductions françaises de The Waves de Woolf, le nombre de références temporelles dans un texte a un effet sur son « ancrage déictique »1111.La citation originale de Bosseaux est la suivante : “deictic anchorage”. (179). Le TC d’Antonucci a un ancrage déictique plus important que celui de Lippi, car il indique une temporalité plus marquée des événements. Dans l’ensemble, et lorsque l’on compare les deux traductions, l’utilisation fréquente de démonstratifs distaux par Antonucci contribue à construire une plus grande impression d’implication emphatique du narrateur. Ces déictiques renforcent « la position [du narrateur] au sein de la situation dont il est question et soulignent également le fait que les actions ont lieu durant le processus d’énonciation »1212.La citation originale de Bosseaux est la suivante : “the [narrators’] position within the situation they are talking about and also emphasise that the actions are taking place during the unfolding of the [narrators’] utterances”. (Bosseaux 2007 2007How Does It Feel? Point of View in Translation: The Case of Virginia Woolf into France. Amsterdam: Rodopi. DOI logoGoogle Scholar, 180). Enfin, relier les références spatio-temporelles au point de vue du narrateur à travers l’utilisation de démonstratifs permet de mettre davantage en évidence l’univers discursif du narrateur tout en soulignant l’immersion subjective de ce dernier dans les évènements relatés.

5.Conclusions

Le style du traducteur est particulièrement difficile à étudier, en raison de ses liens subtils et inextricables avec les spécificités du TS. Il dépend tellement d’un nombre incalculable de variables héritées du texte original que distinguer les idiosyncrasies stylistiques du traducteur peut s’avérer très difficile (Bernardini 2005Bernardini, Silvia 2005 “Reviving Old Ideas: Parallel and Comparable Analysis in Translation Studies – With an Example for Translation Stylistics.” In New Tendencies in Translation Studies, edited by Karin Aijmer and Cecilia Alvstad, 5–18. Göteborg: University of Göteborg.Google Scholar, 12). Afin de faire face à cette question complexe, cet article a proposé une approche par corpus, fondée sur la comparaison automatisée de textes. La comparaison des différentes traductions d’un même texte original a permis, grâce à l’informatique, d’identifier les traits linguistiques qui apparaissent beaucoup plus fréquemment dans une traduction que dans l’autre, tout en éliminant ce qui est commun aux deux TC. Afin de développer la méthodologie existante, j’ai opté pour l’utilisation de groupes de mots clés, plutôt que de mots individuels, comme indicateurs potentiels des traits stylistiques du traducteur.

Les résultats ont mis en évidence que les groupes de mots clés sont effectivement de bons indices du style du traducteur, dans la mesure où ils donnent un aperçu de ses idiosyncrasies ne se limitant pas à l’utilisation de mots individuels. De plus, les groupes de mots clés identifiés ont pu être classés dans des catégories connexes. Un ensemble de groupes de mots clés, plus qu’un mot ou groupe de mots individuels, implique la présence d’une tendance constante – un schéma – dans les habitudes linguistiques des traducteurs. Il ne s’agit pas simplement d’une séquence de mots utilisée plus fréquemment par un traducteur ; ce groupe de mots clé individuel représente l’instanciation d’une tendance ou d’un comportement prédominants auxquels renvoie ce groupe. Trois grandes catégories de groupes de mots clés ont été étudiées dans cet article, chacune étant liée à l’utilisation de traits linguistiques spécifiques : le -d euphonique, les clitiques locatifs et les démonstratifs distaux. Les deux premières présentent des tendances opposées quant à la manière dont les deux traducteurs utilisent ces traits linguistiques. Antonucci utilise ed et ad, alors que Lippi emploie e et a ; de la même manière, la traduction d’Antonucci indique une préférence pour le clitique locatif vi, là où Lippi privilégie ci. Ces tendances correspondent également aux effets stylistiques qu’elles peuvent véhiculer : l’utilisation du -d euphonique et du clitique vi sont deux choix plus rares et plus marqués, ce qui donne au texte un côté plus désuet et plus formel. Le fait qu’il n’y ait aucune différence au niveau sémantique entre les deux variantes de chacun des deux traits linguistiques étaye l’hypothèse selon laquelle les deux TC se distinguent grâce aux choix stylistiques opérés par les traducteurs. La troisième catégorie de groupes de mots clés a montré qu’Antonucci utilise des démonstratifs distaux bien plus fréquemment que Lippi. Les démonstratifs soulignent la présence du narrateur au cœur de la focalisation, par comparaison avec d’autres procédés déictiques plus neutres comme les articles. L’utilisation répétée de démonstratifs distaux dans le texte d’Antonucci marque de manière plus saisissante le lien entre les événements relatés et le point de vue du narrateur que dans la traduction de Lippi.

Le but de cet article était de soumettre à test l’utilisation des groupes de mots clés en tant qu’indicateurs potentiels du style du traducteur. Pourtant, bien que cette méthode ait permis d’indiquer les différences stylistiques entre les TC, il est important de souligner que ces traits stylistiques représentent des aspects du style des traducteurs dans ce texte en particulier, plutôt que des idiosyncrasies propres à Antonucci et Lippi en général. Comme le suggère Saldanha (2011)Saldanha, Gabriela 2011 “Translator Style: Methodological Considerations.” The Translator 17 (1): 25–50. DOI logoGoogle Scholar, l’identification de schémas stylistiques qu’on retrouve dans plusieurs traductions faites par un même traducteur représente une avancée majeure dans le processus visant à permettre une compréhension plus nuancée du style des traducteurs. Dans de futurs travaux, il faudrait s’attacher à déterminer si d’autres traductions réalisées par les mêmes traducteurs présentent les mêmes traits stylistiques identifiés ici, afin de pouvoir reconnaître ces traits comme étant caractéristiques du style d’écriture de ces traducteurs en général. Cet article peut ainsi représenter un premier pas dans cette direction : les résultats de l’analyse ci-dessus ont montré que les éléments étudiés représentent bien des instances probables pour l’identification des différences stylistiques dans l’écriture des deux traducteurs.

Remerciements

Je souhaite remercier les éditeurs et les évaluateurs anonymes pour leurs commentaires éclairés sur une version antérieure de cet article. Je remercie aussi tout particulièrement Andrea Bonazzi pour son aide dans l’élaboration de la bibliographie.

Remarques

1.La citation originale de Saldanha est la suivante : “unobtrusive linguistic habits which are largely beyond the conscious control of the writer and which we, as receivers, register mostly subliminally”.
2.La citation originale de l’éditeur d’Antonucci traduite en anglais par Mastropierro est la suivante : “fundamental key elements of Lovecraft’s style”.
3.La citation originale de l’éditeur d’Antonuci traduite en anglais par Mastropierro est la suivante : “renouncing them […] in favour of a greater terseness and conciseness, which is maybe considered in line with contemporary taste, is a betrayal”.
4.Cette citation est une traduction en français de la traduction en anglais par Mastropierro d’une citation de la préface de l’éditeur d’Antonucci originalement écrite en italien.
5.La citation originale de Lippi est la suivante : “was to offer a readable Lovecraft [that would not be] indigestible from a stylistic point of view”.
6.Cette citation est une traduction en français de la traduction en anglais par Mastropierro d’une citation de Lippi originalement écrite en italien.
7.La citation originale de Pavesi est la suivante : “stand out more and explicitly bind the interlocutor to the speech event and the situational context”.
8.La citation originale de Diessel est la suivante : “joint focus of attention”.
9.La citation originale de Mason et Şerban est la suivante : “a discourse of distance and detachement”.
10.Voir i.
11.La citation originale de Bosseaux est la suivante : “deictic anchorage”.
12.La citation originale de Bosseaux est la suivante : “the [narrators’] position within the situation they are talking about and also emphasise that the actions are taking place during the unfolding of the [narrators’] utterances”.

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Adresse de correspondance

Lorenzo Mastropierro

School of English

University of Nottingham

Nottingham NG7 2RD

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