Traduction
« Qu’y a-t-il dans un nom ? »: De la confusion métalinguistique en traductologie [“What’s in a name?”: On metalinguistic confusion in translation studies]

Mary Snell-Hornby
Traduit par Lolita Cavier, Jonathan Dent, Olivia Holle, Amélia Mallia, Djily Mbacke, Sarah Michelon, Sarah Oubelaid, Brayerlin Rangel, Luis Rangel, Tanguy Raymond, Louis Reich, Manon Renaud, et Elsa Robert, sous la direction de Georges Fournier et Cindy Lefebvre-Scodeller
Résumé

Le présent article vise à analyser le problème de la terminologie de la traductologie. Le nom même de la discipline « translation studies » proposé par James Holmes en 1972 a déjà provoqué un débat tout comme le concept-clé de l’époque, c’est-à-dire « l’équivalence ». Celle-ci est le sujet d’interminables discussions et réévaluations dans certaines écoles de pensée et a été abandonnée comme illusion dans d’autres. Cette contribution discutera les trois possibilités principales d’introduire de nouveaux termes techniques dans le débat scientifique utilisant comme exemples des termes de la traductologie descriptive (p.ex. les « normes » introduites par Toury, terme provenant de la langue générale, défini et utilisé dans un sens spécifique qui se distingue d’ailleurs de la définition des « normes » dans la théorie fonctionnaliste de Vermeer) ; la théorie de l’action traductionnelle de Holz-Manttari (qui a forgé de nouveaux termes comme par ex. le « Botschaftstrager ») et la théorie du skopos (dont le nom a été importé du grec par Vermeer). Partant de l’expérience de l’auteur en tant qu’éditeur du manuel de traductologie Handbuch Translation, l’article discutera en détail les problèmes qu’implique chacune de ces possibilités et se penchera aussi sur le rôle problématique de l’anglais comme lingua franca dans le métadiscours de la traductologie.

Mots-clés :
Table des matières

« Quand, moi, j’emploie un mot, déclara le Gros Coco d’un ton assez dédaigneux, il veut dire exactement ce qu’il me plaît qu’il veuille dire… ni plus ni moins.

  • La question est de savoir si vous pouvez obliger les mots à vouloir dire autant des choses différentes.

  • La question est de savoir qui sera le maître, voilà tout. »11.Lewis Caroll, De l’autre côté du miroir, p. 46, trad. Paul Gilson, La Bibliothèque merveilleuse, Denoël et Steele, Paris, 1931.

Avec du recul, ce célèbre échange métalinguistique pourrait être perçu comme ayant joué un rôle déterminant dans l’anticipation des problèmes rencontrés en général dans le discours académique et ceux de la future discipline de la traductologie au cours des dernières décennies du xx e siècle en particulier. À l’époque où l’étude de la traduction était considérée comme une branche de la linguistique appliquée ou de la littérature comparée, les concepts, la méthodologie et le métalangage étaient incontestablement empruntés à la « discipline mère », et même alors, ils étaient loin d’être univoques. Cependant, le métalangage de la traduction est devenu un sujet véritablement complexe quand la traductologie s’est démarquée en tant que discipline à part entière.

Même le nom de cette discipline a suscité un débat lorsqu’en 1972 James Holmes a proposé de l’appeler « translation studies » en anglais (Holmes 1987Holmes, James S. 1987 [11972] “The name and nature of Translation Studies”. Indian journal of applied linguistics 13:2. 9–24.Google Scholar). Le sujet est également très controversé au sein de la communauté germanophone depuis la publication, dans les années 1960 et au début des années 1970, des travaux d’Otto Kade (Kade 1968Kade, Otto 1968Zufall und Gesetzmäßigkeit in der Übersetzung. Leipzig: Enzyklopädie Verlag.Google Scholar et 1973 1973 “Zum Verhältnis von ‘idealem Translator’ als wissenschaftlicher Hilfskonstruktion und optimalem Sprachmittler als Ausbildungsziel”. Neue Beiträge zu Grundfragen der Übersetzungswissenschaft. Supplement to Fremdsprachen 5:6. 179–190.Google Scholar ; cf. Pöckl 2004Pöckl, Wolfgang ed. 2004Übersetzungswissenschaft Dolmetschwissenschaft: Wege in eine neue Disziplin. Wien: Praesens.Google Scholar). Des concepts centraux tels que l’équivalence sont devenus l’objet d’incessants débats entre universitaires (cf. Snell-Hornby 1986Snell-Hornby, Mary 1986 “Übersetzen, Sprache, Kultur”. Mary Snell-Hornby, ed. Übersetzungswissenschaft—Eine Neuorientierung: Zur Integrierung von Theorie und Praxis. Tübingen: Francke 1986 9–29.Google Scholar : 13–16, Koller 1995Koller, Werner 1995 “The concept of equivalence and the object of Translation Studies”. Target 7:2. 191–222. DOI logoGoogle Scholar et Halverson 1997Halverson, Sandra 1997 “The concept of equivalence in Translation Studies: Much ado about something”. Target 9:2. 207–233. DOI logoGoogle Scholar) mais n’ont pas permis de parvenir à des conclusions mutuellement partagées. Au cœur du problème se trouve le rôle spécifique joué par le langage et les langues dans le domaine de la traductologie. Contrairement aux sciences naturelles comme la chimie ou la biologie où le métalangage implique des termes standardisés faisant référence à des phénomènes naturels clairement définis et qui vont au-delà des différences linguistiques et culturelles, le métalangage de la traduction est employé pour traiter de questions complexes portant elles-mêmes sur le langage, ce qui ne favorise guère un discours sans ambiguïté. Bien au-delà du caractère intrinsèque de la discipline qui implique que le discours soit tenu dans et au travers d’un certain nombre de langues, et que le langage soit à la fois l’objet de discussions et le moyen de communication, le risque de non-comunication n’en est que renforcé.

1.À quel point les normes sont-elles normatives ?

Ce problème apparaît très clairement si l’on suit le débat autour du terme anglais norm tel qu’il a été utilisé en traductologie au cours de ces dernières décennies. Au sein de la communauté scientifique anglophone, le concept de norme traductionnelle est directement associé à l’approche de Gideon Toury, notamment celle qu’il a présentée en 1995 1995Descriptive Translation Studies and beyond. Amsterdam-Philadelphia: John Benjamins. [Benjamins Translation Library, 4.] DOI logoGoogle Scholar. En effet, son travail sur les normes remonte à l’intervention qu’il a faite lors du célèbre colloque organisé à Louvain en 1976 (Toury, 1978Toury, Gideon 1978 “The nature and role of norms in literary translation”. James S. Holmes, José Lambert and Raymond van den Broeck, eds. Literature and translation. Leuven: acco 1978 83–100.Google Scholar). Une version révisée de son article a été publiée ultérieurement dans un livre (Toury, 1995 1995Descriptive Translation Studies and beyond. Amsterdam-Philadelphia: John Benjamins. [Benjamins Translation Library, 4.] DOI logoGoogle Scholar, p. 4), et, au moins dans le cadre de la traductologie descriptive, le concept est devenu considérablement influent. C’est cependant moins le cas pour les recherches menées dans d’autres domaines et dans d’autres langues, et si l’on étudie l’usage de ce terme, on découvre rapidement pourquoi.

Toury prend comme point de départ le rôle social du traducteur, qui nécessite l’acquisition de normes. Il fait la distinction entre deux pôles : d’un côté, les « règles relativement absolues » et de l’autre, les « pures idiosyncrasies ». Entre les deux se trouve un vaste espace de « facteurs intersubjectifs communément appelés normes » :

Les normes elles-mêmes forment un continuum gradué sur une échelle : certaines sont plus fortes et donc similaires à des règles, d’autres sont plus faibles et donc plus idiosyncratiques. Les limites entre les différents types de contraintes sont alors floues. Chacun des concepts, y compris la graduation, est relatif également.22.Les citations de Toury présentes en anglais dans cet article ont été traduites par le traducteur. Voici la version originale : “The norms themselves form a graded continuum along the scale: some are stronger, and hence more rule-like, others are weaker, and hence more idiosyncratic. The borderlines between the various types of constraints are thus diffuse. Each of the concepts, including the grading itself, is relative too.” (1995 : 54)

Avec le temps, les contraintes peuvent changer et ce qui n’est au début qu’une simple lubie peut devenir une norme, voire une règle. Toury propose alors cette définition :

Les sociologues et les psychologues sociaux ont longtemps considéré les normes comme étant la transposition de valeurs ou d’idées générales partagées par une communauté (ce qui est bien ou mal, adéquat ou inadéquat) en règles de conduite appropriées et applicables à des situations particulières spécifiant aussi bien ce qui est prescrit et interdit que ce qui est toléré et permis dans une certaine dimension comportementale.33.Les citations de Toury présentes en anglais dans cet article ont été traduites par le traducteur. Voici la version originale : “Sociologists and social psychologists have long regarded norms as the translation of general values or ideas shared by a community—as to what is right or wrong, adequate and inadequate – into performance instructions appropriate for and applicable to particular situations, specifying what is prescribed and forbidden as well as what is tolerated and permitted in a certain behavioural dimension.” (1995 : 54)

Une norme implique donc une « régularité de comportement dans des situations récurrentes de même type » (1995 : 55) et constitue un concept clé dans l’ordre social. À ce titre, ce sens est cohérent avec la définition que donne le dictionnaire Collins English de la norme (sociale) en tant que « règle de conduite partagée par plusieurs membres d’un groupe social à laquelle chaque membre doit se conformer. »44.Définition traduite par le traducteur. Voici la version originale : “an established standard of behaviour shared by members of a social group to which each member is expected to conform.”

Toury applique ensuite le concept de norme à l’activité de traduction, qui implique deux langues et traditions culturelles, et donc un « double système de normes » (1995 1995Descriptive Translation Studies and beyond. Amsterdam-Philadelphia: John Benjamins. [Benjamins Translation Library, 4.] DOI logoGoogle Scholar : 56). Toury remarque des régularités concrètes dans le comportement traductionnel : le choix premier du traducteur, qu’il définit comme « norme initiale » (initial norm), consiste à suivre soit les normes du texte et de la culture sources (qui déterminent l’« adéquation » (adequacy) du texte source), soit celles du texte et de la culture cibles (qui déterminent l’« acceptabilité » (acceptability) de la culture cible), la pratique de la traduction impliquant généralement un compromis entre les deux extrêmes. Ensuite, Toury évoque des normes présentes au cours du processus même de traduction : les « normes préliminaires » (preliminary norms) et « opérationnelles » (operational norms). Les normes préliminaires de Toury incluent la politique de traduction (par exemple, le choix de l’éditeur quant à l’œuvre à traduire), alors que les normes opérationnelles dirigent les décisions prises pendant le processus de traduction, et consistent en des normes « matricielles » (par exemple la segmentation de textes ou l’omission) et des normes « linguistico-textuelles » (text-linguistic norms) (1995 1995Descriptive Translation Studies and beyond. Amsterdam-Philadelphia: John Benjamins. [Benjamins Translation Library, 4.] DOI logoGoogle Scholar : 58). Enfin, les normes déterminent le type et le degré d’« équivalence » (equivalence) en traduction, un terme que Toury tient à conserver, mais en tant que concept historique et non prescriptif. Les normes de traduction dépendent toutes du rôle joué par la traduction dans la culture cible (Toury 1995 1995Descriptive Translation Studies and beyond. Amsterdam-Philadelphia: John Benjamins. [Benjamins Translation Library, 4.] DOI logoGoogle Scholar : 61). Ces catégories sont entre-temps devenues des termes courants en traductologie descriptive – mais déterminer si elles correspondent toutes à la définition classique du dictionnaire Collins English de la norme comme « comportement attendu » ou si elles impliquent plutôt des décisions, des pratiques ou des stratégies indépendantes, est plus que discutable.

Passons maintenant à ce qui est comparable dans les définitions, catégories et commentaires sur les normes issues de l’école fonctionnelle allemande. L’importance de la notion de norme dans la théorie du skopos est visible dans la définition fondamentale de la culture donnée par Vermeer, à savoir : « ensemble de normes, conventions et opinions qui déterminent le comportement des membres d’une société » (cf. Snell-Hornby 2006 2006The turns of Translation Studies: New paradigms or shifting viewpoints? Amsterdam-Philadelphia: John Benjamins. [Benjamins Translation Library, 66.] DOI logoGoogle Scholar : 55).55.Citation traduite en français par le traducteur. Voici la version originale : “Conventions are not explicitly formulated, nor are they binding. They are based on common knowledge and on the expectation of what others expect you to ex pect them (etc.) to do in a certain situation. Therefore, they are only valid for the group that shares this knowledge.” Christiane Nord (1991)Nord, Christiane 1991 “Scopos, loyalty, and translational conventions”. Target 3:1. 91–109. DOI logoGoogle Scholar évoque la distinction en anglais entre les termes norme, convention et règle : selon elle, la norme se situe entre une règle – en tant que réglementation établie par un pouvoir législatif (par exemple, le code de la route) – et une convention telle que définie par Searle (1969)Searle, John R. 1969Speech acts: An essay in the philosophy of language. Cambridge: Cambridge University Press. DOI logoGoogle Scholar comme étant un comportement régulier répondant à des attentes spécifiques :

Les conventions ne sont ni formulées de manière explicite, ni contraignantes. Elles sont fondées sur des connaissances communes et sur l’attente de ce que les autres s’attendent à ce que vous attendiez d’eux (et ainsi de suite) dans une certaine situation. Par conséquent, elles ne sont valables que pour le groupe qui partage ces connaissances.66.Le contenu de la parenthèse est un ajout de la part du traducteur. (Nord 1991Nord, Christiane 1991 “Scopos, loyalty, and translational conventions”. Target 3:1. 91–109. DOI logoGoogle Scholar : 96)

D’un autre côté, pour Reiß et Vermeer (1984)Reiß, Katharina and Hans J. Vermeer 1984Grundlegung einer allgemeinen Translationstheorie. Tübingen: Niemeyer. DOI logoGoogle Scholar, les règles et les normes (mentionnées ensemble) semblent se confondre : « Normen sind Vorschriften für rekurrentes Verhalten (Handeln) in Situationstypen. Normen sind kulturspezifisch » (1984 : 97) (Les normes sont des réglementations pour un comportement (une action) récurrent(e) dans différents types de situations. Les normes sont spécifiques à chaque culture). Cependant, on trouve une comparaison entre les normes (dans le sens donné par Reiß et Vermeer) et les conventions, dans le cadre du débat sur les types de textes (genres), et non dans celui de la théorie de la traduction :

Wir ziehen den Terminus “Konvention” dem in manchen Publikationen verwendeten Terminus “Norm” vor, weil er einen weiter gefassten Begriff zu bezeichnen scheint und dadurch dem Umstand Rechnung getragen wird, dass sich der Begriff der Norm hier zu stark der Charakter einer ‘Vorschrift’ verbindet, deren Nichtbefolgung Sanktionen nach sich zieht. Konventionen können anscheinend leichter durch andere Konventionen ersetzt werden als Normen durch Normen.(1984 : 178–179)

[Nous préférons le terme de « convention » à celui de « norme » tel qu’utilisé dans certaines publications, car il semble se rapporter à un concept plus large, en tenant compte de l’évolution des divers phénomènes dans le temps, alors que le concept de norme est trop étroitement associé au caractère d’une réglementation qui implique des sanctions en cas de non-respect. Vraisemblablement, les conventions peuvent être plus facilement remplacées par d’autres conventions que les normes par d’autres normes.]

S’ensuit une explication détaillée des « Textsortenkonventionen » (conventions liées aux types de textes) dans un sens purement descriptif et dans le cadre de la théorie textuelle plutôt que de celui du comportement traductionnel.

Examinons maintenant les points communs et les différences entre ces deux cadres conceptuels. La division tripartite de Toury – ou plutôt la graduation dont les extrémités sont la règle et l’idiosyncrasie, entre lesquelles se trouve la norme – a été fondée sur les trois couches du système linguistique de Coseriu, à savoir la norme, le système et le texte/discours (cf. Toury 1980 1980In search of a theory of translation. Tel Aviv: Porter Institute.Google Scholar : 23 et Coseriu 1970Coseriu, Eugenio 1970 “System, Norm und Rede”. Eugenio Coseriu, ed. Sprachen, Strukturen und Funktionen. Tübingen: Gunter Narr 1970 193–212.Google Scholar). Néanmoins, le concept de Toury était destiné à s’appliquer à la traduction littéraire (cf. Toury 1980 1980In search of a theory of translation. Tel Aviv: Porter Institute.Google Scholar : 52 sqq). La division proposée par l’approche fonctionnelle allemande, qui a pourtant l’air similaire, ne s’applique ni à la langue ni à la littérature, mais essentiellement au domaine socioculturel. Nord fait la distinction entre règle, norme et convention : elle reprend la définition que donne Toury de la norme et recourt à la théorie des actes de langage pour définir la convention. Pour Vermeer, la distinction entre règle et norme est floue, et puisque le concept (allemand) de Norm est perçu comme trop prescriptif, la théorie du skopos préfère le terme Konvention (pour décrire des types de texte ou des genres, et non le processus de traduction). Il semble également pertinent que l’idiosyncrasie de Toury implique un choix individuel, alors que la Konvention de Nord fait référence à un comportement de groupe attendu.

En ce qui concerne les normes traductionnelles de Toury, on peut relever des parallèles intéressants avec la tradition allemande. Ses « normes initiales » font écho à la célèbre maxime de Schleiermacher revue par Venuti (1995)Venuti, Lawrence 1995The translator’s invisibility: A history of translation. London-New York: Routledge. DOI logoGoogle Scholar à travers les concepts opposés d’« étrangéisation » (foreignization) et de « domestication » (domestication) (Toury permettant néanmoins un compromis entre les deux). Les « normes préliminaires » en tant que « politique de traduction » ne sont en aucun cas considérées comme des normes par l’école fonctionnelle allemande, mais comme faisant partie du cahier des charges de la traduction (translation brief) ou skopos. Les normes opérationnelles, quant à elles, sont envisagées comme des « stratégies de traduction » (parmi lesquelles on trouve par exemple les conventions liées aux types de textes (text-type conventions), comparables aux normes linguistico-textuelles (text-linguistic norms) de Toury). Ces similitudes fondamentales en termes de contenu sont décrites selon une terminologie propre à chacune des deux approches, avec des différences subtiles, ce qui peut expliquer pourquoi il est possible (dans un cours sur la théorie du Skopos, par exemple) de traiter le champ défini par Toury sans jamais mentionner ses normes. Cependant, au-delà de ces points communs fondamentaux, la terminologie de Toury aussi bien que celle de l’école fonctionnelle allemande restent floues, voire ambiguës. Le premier retient le terme anglais equivalence (équivalence), mais dans un sens non prescriptif ; Vermeer le rejette explicitement et le remplace par intertextual coherence (cohérence intertextuelle) ou Fidelität (fidélité) en allemand, ce qui ne recouvre toutefois pas la même réalité que les termes anglais faithfulness ou fidelity (qui peuvent tous deux se traduire par « fidélité » en français)77.Expression traduite en français par le traducteur. Voici la version originale :“his somewhat more than hermetic style”. (cf. Snell-Hornby 2006 2006The turns of Translation Studies: New paradigms or shifting viewpoints? Amsterdam-Philadelphia: John Benjamins. [Benjamins Translation Library, 66.] DOI logoGoogle Scholar : 154). Toury utilise également les termes acceptability (acceptabilité) et adequacy (adéquation) ; Reiß et Vermeer (1984Reiß, Katharina and Hans J. Vermeer 1984Grundlegung einer allgemeinen Translationstheorie. Tübingen: Niemeyer. DOI logoGoogle Scholar : 139) font correspondre à ce dernier le terme allemand Adäquatheit (équivalent de « adéquation »), mais encore une fois avec un sens légèrement différent. Plus trompeur encore, bien que les deux chercheurs privilégient l’utilisation du terme « norme », la Norm de Vermeer s’avère plus « normative » que la norm de Toury. Ainsi, le terme Konvention a gagné du terrain dans l’approche fonctionnelle allemande tandis que les norms de Toury sont devenues monnaie courante dans le domaine de la traductologie descriptive (bien que son usage ne soit pas si répandu). Au final, Vermeer comme Toury remportent aisément le titre de « maître » ainsi que le définit le Gros Coco.

2.Nouveau terme ou nouveau sens ?

Si les termes « techniques » (ici dans le sens de « spécifiques à un sujet ») ont pour but d’être clairs et non ambigus, on peut admettre en toute honnêteté qu’une grande partie de la terminologie utilisée dans le domaine de la traductologie n’a pas atteint son objectif. Cela tient généralement au fait qu’un terme – comme nous l’avons vu avec norm – ait été emprunté à la langue courante et que son équivalent apparent dans une autre langue s’avère être un faux-ami. Plus les deux termes sont morphologiquement proches, plus il y a de chances qu’ils aient un sens différent (voir aussi Snell-Hornby 1986/1988 à propos de l’opposition entre Äquivalenz et equivalence et de l’« illusion d’équivalence »). Quand bien même ce terme est défini de manière aussi précise que les norms de Toury ou les Normen de Vermeer, il risque d’être mal interprété et utilisé différemment dans d’autres contextes et dans d’autres langues.

Un spécialiste qui souhaite introduire un nouveau terme technique dispose d’autres solutions que celle de recourir à des termes issus de la langue courante ou aux métaphores (avec toutes les connotations et les associations spécifiques à chaque culture qui peuvent compliquer davantage le problème). L’une d’elles est l’invention de nouveaux termes. C’est ce qu’a fait Justa Holz-Mänttäri qui, en développant sa propre théorie de l’action traductionnelle au début des années 1980, a inventé de nouveaux termes reposant principalement sur la combinaison de mots issus de la langue allemande courante et qui avaient leur propre fonction dans le cadre de cette théorie (Holz-Mänttäri 1984Holz-Mänttäri, Justa 1984Translatorisches Handeln: Theorie und Methode. Helsinki: Suomalainen Tiedeakatemia.Google Scholar). Contestant la pensée dominante de l’époque selon laquelle la traduction n’est qu’un transfert linguistique impliquant un texte purement verbal, elle a affirmé que le traducteur produit plutôt un message qui peut être communiqué au moyen d’éléments verbaux aussi bien que non verbaux (comme les modes d’emploi qui incluent souvent des croquis et des diagrammes) qu’elle a appelés Botschaftsträger (littéralement : « porteurs » ou « convoyeurs » du message). Il est désormais communément admis en traductologie qu’un texte peut être constitué d’éléments verbaux aussi bien que non verbaux (cf. Snell-Hornby 2006 2006The turns of Translation Studies: New paradigms or shifting viewpoints? Amsterdam-Philadelphia: John Benjamins. [Benjamins Translation Library, 66.] DOI logoGoogle Scholar : 79–84), mais l’aspect linguistique d’un texte étant toujours considéré comme dominant par les traductologues de l’époque, il s’agissait là d’une idée tout à fait nouvelle. De même, Holz-Mänttäri était l’une des premières parmi les universitaires à rejeter le concept de traduction défini comme simple transcodage ou substitution. Elle considère plutôt la traduction comme la production professionnelle d’un texte, fruit d’une coopération entre experts (tels que les maquettistes, les responsables marketing, les conseillers juridiques et les traducteurs), s’inscrivant dans l’Handlungsgefüge ou « structure de l’action » (« complex of actions », cf. Snell-Hornby 2006 2006The turns of Translation Studies: New paradigms or shifting viewpoints? Amsterdam-Philadelphia: John Benjamins. [Benjamins Translation Library, 66.] DOI logoGoogle Scholar : 59).

La théorie développée par Holtz-Mänttäri s’appuyait sur sa propre expérience en tant que traductrice et, avec le recul actuel, elle paraît tout à fait plausible, à partir du moment où on parvient à la comprendre. Ce n’est pas seulement sa terminologie insolite qui pose problème, mais presque tous les aspects du langage qu’elle utilise. Elle avait initialement soumis son ouvrage publié en 1984 en tant que thèse de doctorat en Finlande ; elle y a donc employé le style que requiert tout écrit de « nature académique » en allemand. Par ailleurs, elle a fourni un effort considérable pour créer un métalangage visant à rendre la traduction plus scientifique et plus précise, dans l’espoir de valoriser le statut social du traducteur en l’élevant au rang d’expert professionnel. Néanmoins, quelques problèmes se posent. Comme le démontre Michael Clyne (1991)Clyne, Michael 1991 “Zu kulturellen Unterschieden in der Produktion und Wahrnehmung englischer und deutscher wissenschaftlicher Texte”. Info DaF 18:4. 376–383.Google Scholar dans son étude des textes universitaires en anglais et en allemand, les écrits académiques en allemand ont une tendance à la digression, à l’asymétrie ; ils sont déductifs et orientés vers l’auteur : c’est au lecteur de prendre la peine de comprendre (et de se doter des connaissances nécessaires). Les textes universitaires anglais ont, quant à eux, une tendance à la linéarité, à la symétrie ; ils sont inductifs et orientés vers le lecteur : il en va de la responsabilité de l’auteur de se faire comprendre. Holz-Mänttäri a écrit (et a été tenue d’écrire) suivant la tradition allemande ; l’association de structures hypotactiques et d’une terminologie novatrice rend son travail difficile à comprendre même pour les germanophones natifs, ce qui a amené la communauté anglophone à le rejeter et le qualifier de simple « jargon » (cf. Newmark 1991Newmark, Peter 1991 “The curse of dogma in Translation Studies”. Lebende Sprachen 36:3. DOI logoGoogle Scholar).

Une autre option pour créer une nouvelle terminologie consiste à reprendre un mot d’une langue morte classique comme le latin et le grec, et à lui donner une définition spécifique pour la théorie concernée. C’est le cas du terme skopos, et somme toute, ce choix semblerait avoir été celui qui, terminologiquement, ait le moins prêté à confusion. Il est important de considérer qu’il peut être repris pour des textes rédigés dans n’importe quelle langue, sans qu’il soit nécessaire de le traduire (contrairement à la terminologie de Holz-Mänttäri) et sans risquer de recourir à des faux-amis ou à des usages variables (comme avec « norme » ou « équivalence »). Si la théorie du skopos elle-même n’a pas été acceptée par la communauté scientifique anglophone dans son ensemble (cf. Halverson 1997Halverson, Sandra 1997 “The concept of equivalence in Translation Studies: Much ado about something”. Target 9:2. 207–233. DOI logoGoogle Scholar; Sturge 1999Sturge, Kathryn E. 1999 ‘The alien within’: Translation into German during the Nazi regime. London. [unpublished Ph.D. thesis.] et la discussion dans Snell-Hornby 2006 2006The turns of Translation Studies: New paradigms or shifting viewpoints? Amsterdam-Philadelphia: John Benjamins. [Benjamins Translation Library, 66.] DOI logoGoogle Scholar : 152–155), cela pourrait être dû au fait que la plupart des ouvrages de référence sont en allemand. Le style asymétrique et digressif (cf. Reiß et Vermeer 1984Reiß, Katharina and Hans J. Vermeer 1984Grundlegung einer allgemeinen Translationstheorie. Tübingen: Niemeyer. DOI logoGoogle Scholar, mais aussi les versions anglaises, par exemple Vermeer 1995 1995A skopos theory of translation: (Some arguments for and against.) Heidelberg: mimeo.Google Scholar) peut être une explication supplémentaire, bien qu’il soit utile de souligner que Toury écrit également de cette manière, tout en utilisant l’anglais. Cependant, ce que Lefevere et Bassnett (1990Lefevere, André and Susan Bassnett 1990 “Introduction: Proust’s grandmother and the thousand and one nights: The ‘cultural turn’ in Translation Studies”. Susan Bassnett and André Lefevere, eds. Translation, history and culture. London: Pinter 1990 1–13.Google Scholar : 5) décrivent comme « son style un peu plus qu’hermétique »88.Citation traduite en français par le traducteur. Voici la version originale : “… if a Handbuch is a speculum of the reality of a discipline, then this Handbuch certainly mirrors fairly accurately the present situation where there is an urgent need for Translation Studies to define its central object of study and to clarify, objectify and dynamize its basic concepts. This it will have to do if it is to survive as a discipline in its own right and to provide insights into translational phenomena.” ne semble pas avoir été un obstacle à la réception internationale des œuvres de Toury – ce qui s’est avéré plus important, c’est qu’elles aient été écrites en anglais et ont donc été lues dans le monde entier. Malgré de nombreuses suppositions affirmant le contraire, l’utilisation de l’anglais comme lingua franca pour les échanges scientifiques tend à accroître les problèmes métalinguistiques plutôt qu’à les réduire. Comme nous l’avons vu plus haut, des termes apparentés sont librement utilisés comme équivalents d’une langue à l’autre bien qu’ils présentent souvent des différences de sens et d’association subtiles, ce qui ne fait que favoriser les malentendus. L’usage différent de termes par plusieurs théoriciens et écoles de pensée est un phénomène qui ne se limite évidemment pas à la traductologie, mais l’origine linguistique diverse de ces termes – et l’illusion qu’ils sont identiques lorsqu’ils sont transcrits en anglais – rend les choses encore plus compliquées. Il existe un plus grand nombre d’exemples que ceux cités ci-dessus, notamment des mots largement utilisés tels que « texte », « culture » et « système » (text, culture, system) (cf. Snell-Hornby 2006 2006The turns of Translation Studies: New paradigms or shifting viewpoints? Amsterdam-Philadelphia: John Benjamins. [Benjamins Translation Library, 66.] DOI logoGoogle Scholar : 49 et 2006 : 173), mais aussi des termes spécifiques à des concepts tels que « fidélité » (fidelity) (cf. Snell-Hornby 2006 2006The turns of Translation Studies: New paradigms or shifting viewpoints? Amsterdam-Philadelphia: John Benjamins. [Benjamins Translation Library, 66.] DOI logoGoogle Scholar : 154) ou bien encore « fonction » (function) (cf. Toury 1995 1995Descriptive Translation Studies and beyond. Amsterdam-Philadelphia: John Benjamins. [Benjamins Translation Library, 4.] DOI logoGoogle Scholar : 12). En outre, les textes anglais issus de discussions monolingues entre chercheurs de langues maternelles différentes, même s’ils maîtrisent bien l’anglais, ne sont en aucun cas les mêmes que ceux produits par des locuteurs natifs et, par conséquent, ne constituent donc souvent pas une base comparable pour la communication. Aux différences traditionnelles de style et d’usage académique évoquées ci-dessus s’ajoutent les inévitables interférences linguistiques (temps, aspect, focalisation, cohésion) qui vont au-delà du style ou de la terminologie. Il en résulte une nouvelle prolifération de « différentes formes d’anglais », non pas au sens sociolinguistique de variétés linguistiques bienvenues, mais plutôt comme facteurs de confusion (en fonction de l’origine et des compétences linguistiques des chercheurs concernés), dans un discours académique dont l’objectif devrait être de lever toute ambiguïté. Ce problème ne concerne pas seulement la traductologie et mériterait assurément qu’on lui prête plus d’attention qu’actuellement. Dans un tel discours, les personnes de langue maternelle anglaise (ou celles qui travaillent dans un département d’anglais) ont un avantage évident et déloyal. De plus, il est tout à fait logique qu’un discours tenu en anglais se concentre sur des problèmes de linguistique anglaise (plutôt que sur ceux d’autres langues sur lesquelles peuvent travailler les universitaires), en utilisant comme exemples des textes anglais et en se focalisant sur des phénomènes culturels de la sphère anglophone (ou mondialisée). Ainsi, la langue anglaise tend clairement à être utilisée non seulement comme moyen de communication, mais également comme élément des problèmes étudiés dans lesquels, une fois encore, le discours anglo-américain bénéficie d’une position dominante sur les autres langues et cultures. L’une des solutions serait une meilleure maîtrise des langues étrangères, en particulier chez les Anglo-Américains, prenant la forme d’un plurilinguisme passif, ce qui encouragerait une plus grande ouverture aux autres langues et cultures (cf. Finkenstaedt et Schröder 1992Finkenstaedt, Thomas and Konrad Schröder 1992Sprachen im Europa von morgen. Berlin/ München: Langenscheidt.Google Scholar et Snell-Hornby 2006 2006The turns of Translation Studies: New paradigms or shifting viewpoints? Amsterdam-Philadelphia: John Benjamins. [Benjamins Translation Library, 66.] DOI logoGoogle Scholar : 174).

3.Handbuch translation

L’émergence de la traductologie, en tant que discipline indépendante développant son propre métalangage et ses propres domaines d’intérêt, a naturellement engendré un besoin d’explication et de classification à l’aide d’ouvrages de référence et d’encyclopédies. Apparemment, le milieu des années 1990 a été le moment propice en raison d’une prolifération de publications universitaires dans la sphère germanophone ; cependant, elles étaient écrites dans un style inaccessible aux étudiants, aux enseignants et aux professionnels (traducteurs et interprètes). L’écart grandissant entre théorie et pratique devenait trop évident et le besoin d’ouvrages de référence se faisait clairement ressentir afin de combler cet écart. De cela a découlé l’idée de créer le Handbuch Translation (Snell-Hornby et al. 1998Snell-Hornby, Mary, Hans G. Hönig, Paul Kussmaul and Peter A, Schmitt eds. 1998Handbuch Translation. Tübingen: Stauffenburg.Google Scholar), qui se voulait être dès le départ un manuel (au sens premier du terme) peu encombrant et en un seul tome. Son objectif était d’être facile d’utilisation, structuré de façon claire, et d’être accessible financièrement aux étudiants et aux professionnels ainsi que d’être rédigé dans un langage compréhensible. En même temps, il devait aussi aborder autant que possible tous les sujets et débats de la discipline qui étaient pertinents pour le lectorat envisagé : les auteurs des diverses contributions venaient aussi bien du milieu académique que du milieu professionnel. Le critère le plus important pour leur sélection fut leur expertise dans le domaine concerné.

Ainsi, la portée et le lectorat du Handbuch furent clairement définis dès le début (comme expliqué dans la préface). Il est évident qu’en travaillant avec un éditeur allemand et en utilisant l’allemand comme langue de publication (les articles rédigés dans d’autres langues ont été traduits), l’œuvre était majoritairement destinée au marché germanophone. Néanmoins, il a été clairement expliqué aux participants que pour un tel marché, le style des écrits académiques conventionnels en allemand, digressif et orienté vers l’auteur, ne conviendrait pas. On leur a donc demandé de fournir des explications claires et concises illustrées, lorsque c’est possible, par des exemples issus de leur propre expérience. Du point de vue métalinguistique, la terminologie fondamentale restait un problème important. Cela a tout d’abord concerné le titre lui-même : Translation est en allemand le terme générique qui désigne à la fois la traduction et l’interprétation, comme le montre la définition précise que l’on peut en trouver dans Kade 1968Kade, Otto 1968Zufall und Gesetzmäßigkeit in der Übersetzung. Leipzig: Enzyklopädie Verlag.Google Scholar ainsi que l’approfondissement apporté par l’approche fonctionnelle des théoriciens du skopos au cours des années 1980 (cf. Reiß et Vermeer 1984Reiß, Katharina and Hans J. Vermeer 1984Grundlegung einer allgemeinen Translationstheorie. Tübingen: Niemeyer. DOI logoGoogle Scholar), mais aussi des dérivations telles que Translator, Translatorisch et Translat, ce dernier signifiant à la fois le produit (écrit) de la traduction et le produit (oral) de l’interprétation (terme pour lequel il n’existe pas encore d’équivalent en anglais). Le titre marque donc une rupture avec l’approche linguistique de la traduction des années 1970 dont le point central était un interminable débat concernant l’équivalence – concept rejeté par les quatre rédacteurs comme sujet d’une contribution distincte. Plutôt que de partir de concepts et de termes classés par ordre alphabétique, les éditeurs ont privilégié une macrostructure fondée sur des aspects thématiques – la pratique professionnelle et la formation, comme par exemple les domaines spécifiques de la traduction et de l’interprétation, notamment la traduction d’actualités, la localisation de logiciels et l’interprétation communautaire. Cette approche envisage la traduction comme une activité liée au monde qui nous entoure et dépendante de celui-ci, et non comme le simple transcodage d’une langue A vers une langue B ou vice versa. Ainsi, au lieu de titres tels que « Équivalence » ou « Adéquation », nous avons « Rédaction et traduction techniques », « Traduction de documents », « Métaphore » ou « Interprétation juridique ». Il en résulte un ensemble structuré d’articles reflétant le panorama des études et de la pratique de la traduction et de l’interprétation au cours des dernières années du XXe siècle – un panorama qui, bien entendu, évolue avec le temps, créant ainsi le besoin d’une révision périodique.

Il émerge de quelques commentaires publiés dans la revue Target à propos du Handbuch Translation le fait que la perspective, ainsi que le métalangage et la terminologie fondamentale, peuvent varier d’une langue et d’une culture à une autre, en particulier dans l’observation suivante : « Ce que le lecteur ne trouvera pas, ce sont des entrées consacrées à des concepts clés de la traduction, tels que l’équivalence, l’adéquation, la correspondance, et les délimitations entre ceux-ci » (Krein-Kühle 2000Krein-Kühle, Monika 2000 Review of Mary Snell-Hornby et al.. Handbuch Translation. Target 12:2. 363–366. DOI logoGoogle Scholar : 365), ainsi que dans la conclusion de la critique :

… si un Handbuch est un miroir de la réalité d’une discipline, alors ce Handbuch reflète certainement de manière assez fidèle la situation actuelle dans laquelle il existe un besoin urgent pour la traductologie de définir son objet d’étude central et de clarifier, d’objectiver ainsi que de dynamiser ses concepts de base. C’est ce qu’elle sera contrainte de faire si elle veut survivre en tant que discipline à part entière et fournir un aperçu des phénomènes traductionnels. (2000 : 366)99.La définition de la culture donnée par Vermeer est la suivante : « … die Gesamtheit der Normen, Konventionen und Meinungen, nach denen sich das Verhalten der Mitglieder einer Gesellschaft richtet, und die Gesamtheit der Resultate aus diesem Verhalten (also z.B. der architektonischen Bauten, der universitären Einrichtungen usw.) » (1989 : 9). Les citations en allemand présentes dans cet article ont été traduites en anglais par l’auteur puis en français par le traducteur.

Cette dernière exigence, déjà connue (comme mentionné ci-dessus) depuis quelques décennies grâce à la théorie linguistique de la traduction, aurait pu être réalisable si la traductologie n’avait impliqué qu’une seule école de pensée et qu’une seule langue dominante permettant de dégager des concepts de base dépourvus d’ambiguïté. Si la traductologie a pu émerger en tant que discipline à part entière, ce n’est cependant pas dû à un dogme théorique unique ou à son uniformité métalinguistique, mais au contraire à la pluralité des approches, des langues et des cultures qui se manifestent dans l’étude et l’activité de la traduction. Comme le laissent entendre le titre, la langue de publication et la macrostructure, le Handbuch Translation (qui, en français serait Manuel de Traduction et d’Interprétation) représente une approche fonctionnelle. Bien que d’autres approches soient bien sûr impliquées dans la discussion, le métalangage visait à la cohérence et à la clarté de la conception de base qui, comme l’ont affirmé Lefevere et Bassnett (1990Lefevere, André and Susan Bassnett 1990 “Introduction: Proust’s grandmother and the thousand and one nights: The ‘cultural turn’ in Translation Studies”. Susan Bassnett and André Lefevere, eds. Translation, history and culture. London: Pinter 1990 1–13.Google Scholar : 4), avait déjà « pris le “virage culturel” » des années 1980.

4.Conclusion

La pluralité des approches et des langues ne mène pas nécessairement à la confusion métalinguistique que nous avons décrite ici, pas plus que l’utilisation d’un seul dogme ne garantit un discours homogène. Si la terminologie et les concepts étaient standardisés au point d’être uniformes, les échanges entre universitaires, du moins dans les disciplines autres que les sciences naturelles, se retrouveraient figés. Ce qui est néanmoins important, particulièrement en traductologie, c’est d’avoir un discours « compatible » (compatible discourse) qui sensibilise aux différences d’usage et dans lequel les termes soient clairement définis au sein de la langue et de l’école de pensée qui les utilisent.

Le contenu présenté dans cet article semble mener à quelques conclusions logiques qui pourraient nourrir la réflexion. Tout d’abord, à l’ère de la communication interculturelle instantanée, le discours ne peut que s’enrichir en utilisant un langage clair et orienté vers le lecteur plutôt qu’un langage distant, alambiqué et « savant ». Ensuite, les concepts et les termes fondamentaux doivent être définis de manière claire et sans ambiguïté par rapport à leur usage spécifique au sein de l’approche en question. Les mots provenant du langage courant devraient être employés avec précaution, particulièrement lorsqu’ils ont des connotations spécifiques à une culture et qu’ils sont traduits littéralement dans d’autres langues. Enfin, si l’on garde à l’esprit ce qui précède, il n’existe pas vraiment d’argument allant à l’encontre d’un discours métalinguistique compatible dans plusieurs langues – excepté, bien sûr, quand certains universitaires ne connaissent pas les langues utilisées. Une solution à cela serait de savoir lire des langues autres que sa langue maternelle et celles sur lesquelles on travaille – une exigence qui paraît raisonnable pour toute personne travaillant dans le domaine de la traduction. Cela pourrait aider à contrer les dangers liés à l’utilisation d’une seule langue dominante, laquelle pourrait en fin de compte mettre en échec l’objectif même de la traductologie.

Remerciements

William Shakespeare, Roméo et Juliette, p. 42, trad. F-V Hugo, Librairie Générale Française, 1983.

Remarques

1.Lewis Caroll, De l’autre côté du miroir, p. 46, trad. Paul Gilson, La Bibliothèque merveilleuse, Denoël et Steele, Paris, 1931.
2.Les citations de Toury présentes en anglais dans cet article ont été traduites par le traducteur. Voici la version originale : “The norms themselves form a graded continuum along the scale: some are stronger, and hence more rule-like, others are weaker, and hence more idiosyncratic. The borderlines between the various types of constraints are thus diffuse. Each of the concepts, including the grading itself, is relative too.”
3.Les citations de Toury présentes en anglais dans cet article ont été traduites par le traducteur. Voici la version originale : “Sociologists and social psychologists have long regarded norms as the translation of general values or ideas shared by a community—as to what is right or wrong, adequate and inadequate – into performance instructions appropriate for and applicable to particular situations, specifying what is prescribed and forbidden as well as what is tolerated and permitted in a certain behavioural dimension.”
4.Définition traduite par le traducteur. Voici la version originale : “an established standard of behaviour shared by members of a social group to which each member is expected to conform.”
5.Citation traduite en français par le traducteur. Voici la version originale : “Conventions are not explicitly formulated, nor are they binding. They are based on common knowledge and on the expectation of what others expect you to ex pect them (etc.) to do in a certain situation. Therefore, they are only valid for the group that shares this knowledge.”
6.Le contenu de la parenthèse est un ajout de la part du traducteur.
7.Expression traduite en français par le traducteur. Voici la version originale :“his somewhat more than hermetic style”.
8.Citation traduite en français par le traducteur. Voici la version originale : “… if a Handbuch is a speculum of the reality of a discipline, then this Handbuch certainly mirrors fairly accurately the present situation where there is an urgent need for Translation Studies to define its central object of study and to clarify, objectify and dynamize its basic concepts. This it will have to do if it is to survive as a discipline in its own right and to provide insights into translational phenomena.”
9.La définition de la culture donnée par Vermeer est la suivante : « … die Gesamtheit der Normen, Konventionen und Meinungen, nach denen sich das Verhalten der Mitglieder einer Gesellschaft richtet, und die Gesamtheit der Resultate aus diesem Verhalten (also z.B. der architektonischen Bauten, der universitären Einrichtungen usw.) » (1989 : 9). Les citations en allemand présentes dans cet article ont été traduites en anglais par l’auteur puis en français par le traducteur.

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Adresse de correspondance

Mary Snell-Hornby

Zentrum für Translationswissenschaft

Universität Wien

Gymnasiumstr. 50

Wien A-1190

Austria

[email protected]