Daniel Linder, Céline Fays et Norbert Jacquinet Un meurtre impuni

Traduction
Un meurtre impuni: L’argot homosexuel spécialisé du Faucon Maltais assassiné lors de la traduction [Getting away with murder: The Maltese Falcon’s specialized homosexual slang gunned down in translation]

Daniel Linder Université de Salamanca | Étudiante Université de Namur | Université de Namur
Traduit par Céline Fays et Norbert JacquinetUniversité de Salamanca | Étudiante Université de Namur | Université de Namur

Dans Le Faucon Maltais (1929/1930), l’auteur américain de romans noirs Dashiell Hammett a utilisé des termes familiers communs (queer et ferry) [homosexuel, pédé, tapette]11.La traduction française des termes et des extraits en espagnol et en anglais a été fournie par les traducteurs. ainsi que des termes d’argot spécialisé (gunsel, the gooseberry lay) [homme homosexuel] pour inclure des personnages homosexuels à un moment où les magazines à sensation et les éditeurs traditionnels voyaient d’un mauvais œil les sexualités non-conventionnelles. Hammett a malicieusement présenté ces termes d’une façon ambiguë, en comptant sur les lecteurs pour retrouver les interprétations homosexuelles sous-jacentes. Des exemples tels que queer et ferry ont été atténués dans les premières versions espagnoles (1933, 1946), mais ont généralement été conservés (marica) [homme homosexuel] ou même intensifiés (maricón) [homme homosexuel] dans des versions plus récentes (1968, 1974, 1992, et 2011). À de nombreuses reprises, les traducteurs espagnols ont mal interprété gooseberry lay, qui n’a aucune connotation homosexuelle, pensant qu’il en avait une. Dans tous les cas, le terme gunsel, qui, lui, a une signification homosexuelle, a été dépouillé de toutes ses connotations d’homosexualité masculine et a été placé dans la catégorie de l’argot désignant un bandit, un voyou ou un tueur.

Mots-clés :
  • ambiguïté,
  • roman noir,
  • homosexualité,
  • littérature,
  • traduction,
  • langage à connotation sexuelle,
  • argot
Table des matières

Introduction

Lorsqu’en 1929 Dashiell Hammett a soumis son manuscrit du Faucon Maltais à Joseph « Cap » Shaw, l’éditeur du magazine Black Mask, les personnages homosexuels ont été pratiquement bannis des romans à sensation, à l’exception des rôles négatifs tels que les criminels et les victimes de crime. Hammett a néanmoins inclus un plus grand nombre et une plus grande variété de ces personnages homosexuels, comme jamais auparavant dans un roman noir. Sam Spade, le personnage mémorable d’Hammett, peut directement reconnaître les autres personnages bi/homosexuelles autour de lui et engager la conversation avec eux en utilisant un langage qu’ils peuvent comprendre.

Dans un article intitulé « Getting Away with murder », Erle Stanley Gardner a décrit comment Hammett a contourné les révisions strictes de l’éditeur du Black Mask en utilisant un vocabulaire interlope tel que gooseberry lay, terme que Shaw pensait être connoté sexuellement, et également le terme gunsel, pour lequel Shaw pensait que ce n’était simplement qu’un homme armé (Gardner 1965, 72–75). Selon la « Note on the Texts » de Steven Marcus (1999) dans l’édition définitive de la Library of America du Faucon Maltais (souvent abrégé « LFM » ci-dessous), gooseberry lay est un terme d’argot qui ne signifie rien de plus que « voler des vêtements pendus à une corde à linge » (960), alors que gunsel signifie « punk, jeune compagnon d’un bon à rien, homosexuel passif » (966).

En 1930, Dashiell Hammett a dû faire face à un autre obstacle lorsque le rédacteur d’Alfred A. Knopf, Harry Block, a demandé la suppression des références homosexuelles explicites avant la publication du livre (Marcus 1999, 961). Cependant, Hammett a refusé, affirmant

Je suis désolé que vous pensiez que les […] parties homosexuelles doivent être changées. Je voudrais les laisser comme elles sont, d’autant plus que vous avez dit que « ça irait si c’était dans un roman ordinaire ». Il me semble que la seule chose qui puisse être dite contre leur utilisation dans un roman policier est que personne n’a encore essayé. Je voudrais essayer.(Layman et Rivett 2001, 51)22.Dans l’original: “I’m sorry you think the […] homosexual parts of it should be changed. I should like to leave them as they are, especially since you say they ‘would be all right perhaps in an ordinary novel.’ It seems to me that the only thing that can be said against their use in a detective novel is that nobody has tried it yet. I’d like to try it.”

Hammett a réussi à conserver cette langue en publiant pour la première fois un roman policier avec au moins trois personnages bi/homosexuels de types différents et un détective sachant communiquer avec eux en utilisant un argot qu’ils comprennent. Bien que la persévérance d’Hammett ne faisait avancer en rien la cause de la représentation positive des homosexuels dans le roman noir, c’était déjà une avancée pour l’époque d’inclure ces personnages, à fortiori en si grande quantité et de façon si diversifiée.

L’examen approfondi par les maisons d’édition des matériaux ayant une prétendue orientation sexuelle et perverse était encore plus courant une décennie plus tard, comme en témoignent les conseils du rédacteur et de l’auteur Marie F. Rodell dans « Taboos and Musts », un chapitre dans Mystery Fiction: Theory and Technique :

Des perversions sexuelles, autres que le sadisme, sont certainement taboues. Et le sadisme doit être présenté sous sa forme la moins sexuelle. On peut faire allusion à l’homosexualité, mais on ne peut jamais l’utiliser comme un facteur explicite et important dans l’histoire… Toutes les autres perversions sont absolument inadmissibles.(Rodell 1943, 91)33.Dans l’original: “Sexual perversions, other than sadism, are definitely taboo. And sadism must be presented in its least sexual form. Homosexuality may be hinted at, but never used as an explicit and important factor in the story… All other perversions are absolutely beyond the pale.”

Dans Gay and Lesbian Characters et Themes in Mystery Novels (1993), Anthony Slide mentionne que le fait de représenter un homme efféminé pour indiquer qu’un tel comportement reflétait l’homosexualité a commencé pratiquement avec la naissance du roman policier (5). Edgar Allan Poe, Arthur Conan Doyle et Agatha Christie ont tous décrit des personnages secondaires avec des manières efféminées, souvent des meurtriers ou des victimes de crime, mais ils ont pris soin de décrire leurs héros de façon virile, hétérosexuelle, particulièrement s’ils avaient des assistants masculins (ibid.). La représentation d’autres types de mâles homosexuels (jeunes virils, bisexuels virils, homosexuels âgés, etc.) et l’inclusion de détectives et de personnages importants homosexuels devra attendre jusqu’aux années 1960 (7).

Un exemple de l’intention totalement claire d’Hammett de créer une confusion linguistique dans le lexique homosexuel est lorsque le détective Sam Spade demande au personnage efféminé Joel Cairo qui possède le faucon Maltais. Quand Spade demande s’il appartient « à la fille », en parlant de la fille de Gutman, Rhéa, Cairo lui répond, « Il n’est pas le propriétaire! » (Hammett 1999 [1930], 432; accentuation ajoutée). Spade répond « doucement et de façon ambiguë » « Oh » quand il se rend compte que Cairo pense qu’il parle de Wilmer. Cet exemple clair de jeu de mot, qui a lieu tôt dans le roman, prépare le terrain pour l’insertion irrévérencieuse de gooseberry lay et gunsel par la suite.

Un des buts de cet article est d’examiner en profondeur l’ambiguïté soigneusement codée de termes un peu obscurs d’argot spécialisé comme gooseberry lay et gunsel ainsi que des termes familiers tels que fairy (un homme efféminé / un homosexuel) et queer (une personne étrange / un homosexuel), utilisés par Hammett pour créer un réseau entier de significations sous-jacentes. Les termes queer et fairy, qui font référence à un Joel Cairo très efféminé, et les termes spécialisés gooseberry lay et gunsel, qui font référence à un homosexuel très masculin, Cook Wilmer, ne sont que quatre éléments lexicaux, ce qui représente un échantillon textuel plutôt minime. Ils sont pourtant incorporés dans un réseau d’indices textuels qui révèlent aux lecteurs bien informés l’existence d’un trio de personnes du même sexe dans lequel Casper Gutman, un bi/homosexuel riche, est l’un des participants clés. L’autre but principal de cet article est de décrire et d’expliquer comment les traducteurs espagnols ont abordé les termes queer et fairy et l’argot spécialisé comme gooseberry lay et gunsel. Ce qui est particulièrement important est de savoir dans quelle mesure les traducteurs ont préservé l’ambiguïté résoluble de l’expression gunsel (le jeune compagnon homosexuel, compagnon d’un bon à rien/bandit armé). Cet article présente aussi une brève analyse des traductions espagnoles du Faucon Maltais qui n’ont jusqu’à maintenant pas encore été mentionnées et il analyse la traduction récente de Luis Murillo Fort (2011) pour la première fois.

1. Le Faucon Maltais en espagnol : Un état de l’art

Dans « Are There Homosexual Characters in The Maltese Falcon? », j’ai analysé comment, en plus de l’insertion de gunsel et gooseberry lay, Hammett a imprégné son texte de beaucoup plus d’indices concernant des significations co-textuelles qui font continuellement allusion à un triangle amoureux homosexuel sous-jacent (Linder 2002). Le personnage sophistiqué et efféminé Joel Cairo est clairement identifié comme queer (Hammett 1999 [1930], 425) et fairy (471), tandis que le bi/homosexuel beaucoup plus âgé, Caspar Gutman, pourrait être l’amant ou le petit ami de Joel Cairo tout en étant désigné en même temps comme l’employeur et l’amant du jeune et masculin Wilmer Cook. C’est le personnage de Wilmer Cook qui est si énigmatique : il est extrêmement violent et viril, tout en étant romantiquement et sexuellement engagé avec d’autres hommes. Pour Hammett, une façon de faire allusion à l’homosexualité de Wilmer était d’utiliser des descriptions efféminées pour son physique (des yeux noisette, des cils courbés, des traits fins) et son comportement (il fixe constamment les cravates des hommes, c’est-à-dire, des phallus ; Herman 1994, 224). Une autre façon était d’utiliser un argot très spécialisé, notamment gunsel, pour se référer à lui.

Dans un article de 2010, je me suis attaqué à la traduction espagnole de l’ironie dans LFM, en analysant l’utilisation ambiguë et ambivalente du mot « fille » – « Que votre fille a un beau ventre … trop chouette pour être égratigné avec des épingles » (Hammett 1999 [1930], 543) – qui pourrait faire référence à la fille de Gutman, un personnage dans le roman (pourtant effacé du film de 1941), mais il pourrait également faire référence à Wilmer Cook. Étant donné que Wilmer réagit violemment (il fait un pas en avant et lève son pistolet) à cause de ce que Spade veut dire par cette déclaration (il menace en fait de lui tirer dessus), il est clair que Wilmer estime que « fille » se réfère à lui (Linder 2010).

Des recherches récentes sur les traductions espagnoles du Faucon Maltais ont fait la lumière sur la traduction des références sexuelles du roman. Une étude de Franco Aixelà a examiné comment les termes sexuels dans la première version espagnole ont été surtout intensifiés (65%) dans le contexte culturel cible unique de la Deuxième République espagnole (Franco Aixelá 2008, 101). Une autre étude récente a révélé que des termes sexuels dans les versions de 1953 et 1968, produites pendant une période moins répressive et légèrement plus progressiste, ont été principalement préservés bien que beaucoup aient été atténués (22% et 14%, respectivement); la version de 1992 a préservé la grande majorité de références sexuelles (85%) et a atténué peu de termes (Franco Aixelá et Abio Villarig 2009, 13–14). Dans un article précédent, Franco Aixelá (1996, 72) avait attribué le modèle le plus récent de conservation au fait que le roman noir et l’auteur Dashiell Hammett ont subi un processus progressif de canonisation dans la culture cible. Cependant, ni Franco Aixelá ni Abio Villarig et Franco Aixelá n’ont mentionné le langage à connotation homosexuelle utilisé dans les textes.

Tejero Penco (2010) a examiné quatre versions espagnoles du Faucon Maltais (1933, 1953, 1963, 1968) afin d’illustrer comment la censure officielle des livres s’opérait immédiatement avant (1932–1936) et pendant la dictature de Franco (1936–1975). La période Franco est divisée en une période dictatoriale autocratique stricte (1938–1965), pendant laquelle tous les livres ont dû être censurés et une période plus bienveillante de consultation volontaire (1966–1975). Le rôle de l’Église Catholique pendant le règne de Franco était au cœur des jugements de censure. Évidemment, la nudité féminine et les passages sexuellement suggestifs ont été censurés par le gouvernement, bien que les décisions soient souvent incohérentes. Les formulaires qui devaient être remplis demandaient spécifiquement pour chaque livre s’il avait offensé l’Église Catholique ou ses ministres du culte et s’il avait offensé la moralité, le Régime et ses alliés. Les archives de l’appareil de censure, démantelé à la fin des années 1970, sont actuellement conservées dans le Archivo General de la Administración (AGA) à Alcalá de Henares (Madrid). Tejero Penco corrobore ce que Franco Aixelá a trouvé en 2008 concernant le texte de 1933. Elle a constaté que les censeurs ont refusé la permission de la publication du Faucon Maltais en 1939, 1943 et 1954 parce qu’ils le considéraient comme étant d’une nature adultère, presque pornographique (Tejero Penco 2010, 15). La version condensée, autocensurée de l’El halcón del rey d’España (1933), dont le titre raccourci est El halcón del rey (le dictateur Franco n’a pas reconstitué la monarchie de Bourbon après avoir gagné la guerre civile en 1939), a été finalement autorisée en 1963. La nouvelle traduction de Calleja de 1968 a été autorisée, apparemment parce qu’elle était typique du genre et parce que, comme un des censeurs a écrit, « les mauvais sont punis comme un exemple d’édification » (Tejero Penco 2010, 31).44.Dans l’original: “the bad ones are punished as an edifying example.” Tejero Penco n’a pas parlé de langage spécifique à connotation homosexuelle que ce soit dans la bouche des censeurs espagnols ou dans les textes.

Les études précédentes sur les traductions publiées en Espagne négligent les versions qui sont apparues en Argentine, dont certaines ont ouvertement été plagiées. La version de 1946 par Eduardo Warschaver a été autorisée pour l’importation par la censure gouvernementale officielle comme le montrent les rapports de l’AGA. Une version de 1953 par Antonio Rubio est clairement un plagiat de la version de Warschaver avec des variations très légères dans le choix des mots, le vocabulaire et la ponctuation. Une traduction de 1960 par E. F. Lavalle, une copie exacte de celle de Rubio, a été publiée à Buenos Aires par Editorial Fabril dans leur collection Los Libros del Mirasol. Les plagiats transnationaux montrent la grande complexité du dossier des versions espagnoles du Faucon Maltais.

Il y a également une traduction de 1974 de Reader’s Digest attribuée à Alberto Rumschisky. Cette version est passée entre les mailles des chaines de censure officielles (AGA dossier 73/04477, autorisé le 21-11-1974), où aucun contenu impropre n’a été détecté et aucun changement n’a été exigé. Cette version légèrement condensée a préservé les parties textuelles contenant des références homosexuelles, en constituant ainsi un élément important dans la chaîne historique des versions du Faucon Maltais. Cet article abordera pour la première fois les textes cibles de Warschaver (1946), Rumschisky (1974) et de la nouvelle traduction plus récente du roman par Luis Murillo Fort (2011).

2.Langage à connotation sexuelle dans la littérature traduite

D’importantes recherches ont été menées sur la traduction du langage à connotation sexuelle en littérature. Selon José Santaemilia (2008, 121), « le sexe est traduit différemment, selon un certain nombre de facteurs : la période historique, la présence / l’absence d’un certain concept de ‘moralité’, le code moral de l’auteur, le mode de traduction, la politique de la maison d’édition, les conditions idéologiques de la culture cible, les options personnelles, la présence / l’absence de censure, etc. ». Il y a une variété d’études qui illustrent cela en pratique. Eduardo Crisafulli (2001, 30), par exemple, a constaté que des images explicites en italien (l’adultère, la prostitution et le viol) ont été tolérées dans les traductions anglaises post-modernes de l’Inferno de Dante, résultant probablement de constructions culturelles patriarcales et sexistes continues dans la société cible. John Schmitz (1998, 10–11) a révélé que des références sexuelles explicites ont été supprimées dans les traductions portugaises de The Catcher in the Rye 1998; lorsque fuck you [va te faire foutre] a été systématiquement remplacé par vai à merda [va à la merde], le texte cible est devenu dépourvu de toutes les connotations sexuelles et les a remplacées par des connotations scatologiques, qui ont affecté la cohérence du texte cible.

Pour analyser le langage lié à la sexualité dans LFM, les études les plus utiles sont celles concernant la sexualité non-hétéronormative et le codage ambigu/ludique de la langue utilisée. Alberto Mira (1999) a examiné une des premières pièces positives envers l’homosexualité, The Boys in the Band [les garçons de la bande] (1968), traduit par Los chicos de la banda [les garçons de la bande] pour le public madrilène au milieu de 1975 et a constaté qu’une grande partie du « langage gay » avait été minimisé tandis que l’on a permis aux suggestions d’efféminement d’être conservées (121). Seulement quelques mois avant la mort du dictateur Franco, l’Espagne n’a pas pu donner de discours spécifique, cohérent et positif concernant l’homosexualité et les traducteurs n’ont donc pu introduire des termes d’argot qu’occasionnellement, de façon isolée, comme entender [comprendre] (He’s straight = No entiende) [il est hétérosexuel = il ne comprend pas] (120). Parmi les nombreuses caractéristiques du « gay camp », qui est un style de langage et d’esthétique qui renvoie à la fois à une unicité culturelle et un activisme politique, seul le fait d’être efféminé a été autorisé dans la version espagnole, avec des personnages masculins se référant l’un à l’autre en utilisant « elle » (121–122). Mira indique que l’utilisation sélective d’argot et d’efféminement, au lieu de créer un discours cohérent de langage homosexuel, peut facilement se prêter à des lectures homophobes (121).

Cristiano Mazzei (2007) a analysé trois romans brésiliens ouvertement homosexuels en anglais. L’ambiguïté intentionnelle sur le sexe du personnage principal d’un roman publié en 1985 a été créée par l’absence ou l’inversion de pronoms de genre, mais le traducteur anglais « n’a pas prêté une attention particulière aux spécificités homosexuelles et ne lit pas entre les lignes en abordant les complexités de signes homosexuels » (12). Mazzei a analysé comment le terme entender (bien que les textes sources soient portugais, le terme est utilisé de la même façon en espagnol) a été utilisé pour refléter comment un personnage a été identifié en tant qu’homosexuel (Também sou entendido = I also have my proclivities) [j’ai aussi mes penchants]; cependant, le terme du texte cible n’a aucune association sémantique directe avec l’homosexualité et utilise un registre trop élevé (57–58). Une autre traduction publiée en 1990, était, selon Mazzei, réussie en raison des sensibilités sexuelles de la traductrice; elle ajoute de temps en temps des mots pour souligner des significations camp.

Les publications de Keith Harvey (2000a, 2000b) sont les références cruciales dans l’étude du camp en traduction. En utilisant une méthodologie unique dans laquelle il oppose les traductions anglais>français aux traductions comparables français>anglais (2000a) et une traduction espagnol>anglais à une traduction français>anglais (2000b), Harvey constate qu’en anglais, les traductions intensifiaient souvent le thème homosexuel et la langue camp tandis qu’en français, des traductions atténuaient souvent la langue camp ou n’ont pas pu établir des résonances multiculturelles, ou les deux (2000b, 158). Mira (1999, 114), qui a aussi examiné la traduction camp, a également avancé que l’Espagne, la France et l’Italie n’avaient pas de cultures de réception capables d’accueillir le caractère homosexuel positif.

Roberto Valdeón (2010) a analysé comment une variété de termes dans les versions doublées d’une comédie positive à l’égard des homosexuels a été traduite par une gamme plus étroite de termes du texte cible. Il a constaté que l’anglais utilisant le mot gay et l’équivalent homosexuel exact étaient des traductions adéquates, alors que tant queer que fag [homosexuel] ont été traduit par marica (83). Gay était typiquement utilisé comme un équivalent neutre ou positif; homosexual était utilisé dans les contextes formels ou neutres et marcia, ou le dérivé plus marqué maricón, ont été surtout utilisés dans des contextes négatifs (85–86). Valdeón indique que les variations de marica deviennent donc surreprésentées dans le texte cible.

Comme mentionné ci-dessus, les études sur le langage ambigu et crypté dans des textes sont aussi directement applicables à l’étude de l’utilisation subversive et espiègle de Dashiell Hammett concernant le langage à connotation sexuelle. Des études récentes sur les jeux de mots en traduction aideront à éclairer la traduction espagnole du Faucon Maltais. Selon Delabastita (1996, 128), « le jeu de mots est le terme générique pour les phénomènes textuels divers dans lequel les caractéristiques structurelles du langage utilisé sont exploitées dans le but de provoquer une confrontation significative entre deux (ou plus) structures linguistiques avec des formes plus ou moins semblables et des significations plus ou moins différentes ».55.Dans l’original: “wordplay is the general name for the various textual phenomena in which structural features of the language(s) used are exploited in order to bring about a communicatively significant confrontation of two (or more) linguistic structures with more or less similar forms and more or less different meanings.” Cela couvre les cas où une signification en surface ‘innocente’ peut potentiellement avoir une double signification subversive.

Alvstad analyse l’ordre intentionnellement ambigu de l’intrigue et de la fin d’un conte de Hans Christian Andersen. Ceux-ci sont décrits comme ayant une ambiguïté résoluble, c’est-à-dire, où les preuves de l’une et l’autre interprétations sont toutes les deux possibles dans le texte ainsi que pendant sa lecture, permettant des interprétations doubles. Dans la discussion sur les implications des traductions en suédois et en espagnol, Alvstad a trouvé comment les traducteurs ont varié leur performance : dans certains cas ils ont préservé l’ambiguïté résoluble et, dans d’autres, ils ont rendu ces cas moins ambigus, en fournissant seulement une interprétation possible dans le texte cible (2008, 240–242).

L’utilisation intentionnellement ambiguë d’Hammett de fairy (un homme efféminé / un homosexuel) et queer (une personne étrange / un homosexuel) sont des exemples de jeu de mots qui renforcent le réseau dans lequel son jeu de mots le plus subversif utilisant the gooseberry lay et gunsel doit être interprété.

3.« The gooseberry lay » et « gunsel »

Dashiell Hammett a probablement trouvé les termes spécialisés du milieu criminel the gooseberry lay et gunsel en travaillant pour la Pinkerton National Detective Agency à San Francisco en 1921. D’abord formé en 1915 à Baltimore et plus tard envoyé à Spokane et San Francisco, Hammett a prouvé être un « shadow » très compétent, c’est-à-dire, un détective qui suit quelqu’un, enregistrant les actions de la personne tout en restant caché. En fait, Richard Layman, un biographe fiable d’Hammett, a intitulé son travail Shadow Man: The Life of Dashiell Hammett (1981) [L’homme ombre : La vie de Dashiell Hammett]. Très peu d’auteurs de romans noirs avaient l’expérience de cette profession dangereuse et ingrate. Hammett a publié plus tard « From the Memoirs of a Private Detective » [Souvenirs d’un détective privé] (2001 [1923]) et « Suggestions to Detective Story Writers » [Suggestions aux auteurs de polars] (2001 [1930]), qui contiennent chacun des aperçus réalistes de son travail et qui prouvent qu’il avait une grande expérience et une capacité à se fondre dans son environnement. Voici une citation révélatrice : « un détective formé suivant un sujet ne saute pas d’embrasure en embrasure et ne se cache pas derrière les arbres et les poteaux. Il sait qu’il n’y a aucun mal si le sujet le voit de temps en temps » (Hammett 2001 [1930], 910).

On en sait très peu concernant les affaires sur lesquelles Hammett travaillait à Pinkerton parce que l’agence policière qui faisait à l’époque partie des meilleures du pays a, plus tard, perdu ses archives dans un incendie (Layman 1981, 13). Layman croit que les propres comptes rendus d’Hammett sont souvent exagérés, quoiqu’ils contiennent toujours une base indéniable de vérité (13). Cependant, il est probable que son travail pendant plus de deux ans ait consisté à suivre des suspects et à rapporter leurs actions à ses supérieurs, une tâche qui, sans aucun doute, consistait à éviter de se faire repérer en se mélangeant à une grande variété d’atmosphères de milieux criminels.

Pour une période de quatre à six mois en 1921, Hammett a travaillé en tant qu’employé pour Pinkerton à San Francisco (Layman 1981, 22–23). Pendant ces missions, il a été frappé sur la tête avec une brique en suivant quelqu’un et a contracté des poux en travaillant dans des missions d’infiltration dans la City Jail de San Francisco (23). Malheureusement, Hammett avait attrapé la tuberculose durant sa période de service pendant la Première Guerre mondiale et sa mauvaise santé l’a définitivement écarté du travail de détective ; il a donc démissionné le 1ier décembre 1921 (25).

Je crois qu’Hammett a appris une grande quantité de vocabulaire d’argot, et spécifiquement le mot gunsel et l’expression gooseberry lay, en filant des gens et en infiltrant les milieux de la pègre à San Francisco, une ville portuaire agitée avec un flux régulier d’itinérants décrite par Richard Layman comme « une des grandes villes les plus anarchiques dans le pays à l’époque » (1981, 22). La définition de Marcus de gunsel (voir ci-dessus) se rapporte à l’origine vagabonde du terme (1999, 966). Jonathan E. Lighter (1997, 996), qui définit gunsel comme « un jeune esclave sexuel, (donc) souvent un jeune homme homosexuel – habituellement utilisé d’un ton moqueur » dans son Historical Dictionary of American Slang influent, situe aussi l’utilisation du mot « parmi les bons à rien et les prisonniers ». David Maurer (1981, 306–307), professeur à l’Université de Louisville qui a rassemblé le vocabulaire pour ses listes de mots publiées à partir d’informateurs dans ces milieux, le situe aussi parmi les bons à rien et les vagabonds.

Stryker et Van Buskirk (1996, 19–24) ont enregistré la présence d’une communauté homosexuelle massive dans le voisinage de Barbary Coast à San Francisco avant les années 1920 et beaucoup d’autres implantations homosexuelles dans d’autres zones de la ville avant les années 1930. Willett (1996, 38) attribue à Hammett la représentation littéraire de San Francisco en tant que la Mecque de la communauté homosexuelle pendant les décennies avant que le quartier Castro n’ait attiré les homosexuels dans les années 1970.

Hammett avait certainement rencontré les prototypes réels de Joel Cairo, Caspar Gutman et de Wilmer Cook, bien qu’il n’ait fait aucune allusion à leur sexualité dans ses commentaires publiés. Il a décrit l’origine de beaucoup de personnages du Faucon Maltais en 1934 dans l’introduction de son roman, où il a déclaré qu’il a créé Cairo sur le modèle d’un homme qu’il « a arrêté pour contrefaçon à Pasco », Gutman sur celui d’un homme qu’il a dû suivre à Washington, D. C. pensant qu’il était un espion et celui de Cook sur celui de The Midget Bandit, un « jeune criminel » de dix-sept ans si impitoyable qu’il est retourné sur la scène d’un crime pour torturer une victime qui l’avait décrit à la police comme « un avorton » (Marcus 1999, 965).

Un certain nombre de facteurs ont probablement contribué au succès de l’insertion par Hammett de gunsel dans le manuscrit soumis au Black Mask, et puis dans le roman publié. Premièrement, gunsel a plusieurs orthographes alternatives, y compris gunsil, guntzel, ou gonsil (Berrey and Van den Bark 1952 [1942], 1043) ; Hammett a choisi celle qui avait « gun » [arme à feu] dans la première syllabe. Deuxièmement, étant donné qu’ Hammett a écrit LFM huit ans après son départ de Pinkerton, gunsel était déjà un terme plutôt dépassé et peu connu. Troisièmement, il n’a utilisé le terme qu’une fois, attirant ainsi le moins d’attention possible. Bien qu’Hammett ait dupé « Cap » Shaw, il a réussi à communiquer avec les lecteurs qui connaissaient la vraie signification et l’utilisation du terme. Dans son enquête critique sur les personnages homosexuels dans le genre policier, Anthony Slide indique comment Hammett a pu « faire passer Wilmer pour un homosexuel à ceux qui étaient au parfum » (1993, 70).

Le passage exact dans lequel gunsel apparaît est cité ci-dessous :

(1)

“Another thing,” Spade repeated, glaring at the boy: “Keep that gunsel away from me while you’re making up your mind. I’ll kill him. I don’t like him. He makes me nervous. I’ll kill him the first time he gets in my way. I won’t give him an even break. I won’t give him a chance. I’ll kill him.” (Hammett 1999 [1930], 486–487; emphase ajoutée)

[« Autre chose », répéta Spade, regardant fixement le garçon : « gardez ce voyou / cet homosexuel loin de moi pendant que vous vous décidez. Je le tuerai. Je ne l’aime pas. Il me rend nerveux. Je le tuerai dès qu’il se mettra en travers de mon chemin. Je ne lui donnerai pas de répit. Je ne lui donnerai pas de chance. Je le tuerai ».]

Comme nous l’avons déjà vu, « Cap » Shaw a supprimé the gooseberry lay du texte de Black Mask, mais cette expression d’argot énigmatique a été autorisée à rester dans l’édition d’Alfred Knopf du livre. L’expression complète « be on the gooseberry lay » est réellement une juxtaposition de « be on the lay», qui signifie « engagé dans le crime » (Lighter 1997, 404) et « gooseberry » signifiant « une corde pleine de vêtements » (Maurer 1981, 69). Voler des vêtements pendus à une corde à linge est une activité criminelle sans cœur et à peine rentable, typique des bons à rien et des plus bas des criminels. Ci-dessous se trouve la partie de texte complète contenant l’expression; notez comment Hammett l’adapte légèrement pour en faire « be off the gooseberry lay » :

(2)

They walked a little more than a block in silence. Then Spade asked pleasantly: “How long have you been off the gooseberry lay, son?” The boy did not show that he had heard the question. “Did you ever – ?” Spade began, and stopped. A soft light began to glow in his yellowish eyes. He did not address the boy again. (Hammett 1999 [1930], 495; emphase ajoutée)

[Ils passèrent au pâté de maisons suivant en silence. Spade demanda alors aimablement: « Depuis combien de temps as-tu arrêté de voler, mon garçon ? » Le garçon ne montra pas qu’il avait entendu la question. « Avez-vous jamais – ? » commença Spade et s’arrêta. Une lumière douce commençait à rougeoyer dans ses yeux jaunâtres. Il ne parla plus au garçon.]

L’utilisation de gunsel par Hammett en 1929/1930 a été suivie par plusieurs autres auteurs de romans noirs. Erle Stanley Gardner (1965, 74) a noté que « tous les auteurs de l’école du roman noir réaliste ont commencé à parler de gunsel comme l’équivalent d’un bandit armé. L’utilisation a persisté ».66.Dans l’original: “all of the writers of the hard-boiled school of realism started talking about a gunsel as the equivalent of a gunman. The usage has persisted.” Il a indiqué qu’il y avait une tendance pour des auteurs de romans noirs à réutiliser des mots comme gunsel, sous la fausse impression qu’ils étaient des mots réalistes. Gardner a conclu en déclarant que « cela fait au moins trente-cinq ans que Dashiell Hammett a fait sa petite plaisanterie sur le Capitaine Joseph Shaw, mais les effets de cette plaisanterie se voient toujours dans les histoires de meurtre américaines » (ibid.).77.Dans l’original: “it has been at least thirty-five years since Dashiell Hammett played his little joke on Captain Joseph Shaw, but the after effects of that joke are still seen in American murder stories.” Cette nouvelle signification de gunsel, « un bandit armé », est documentée avec autorité par Lighter (1994, 996), qui attribue son origine à Hammett (1971, xxix) allant même jusqu’à définir gunsel comme « un jeune tueur homosexuel ».

Un autre fait qui a certainement contribué à la circulation de la nouvelle signification de gunsel était son utilisation, pas une fois, mais trois fois, dans l’adaptation de film de John Huston en 1941 du Faucon Maltais. À deux occasions supplémentaires, il remplace le mot punk: « j’ai dit à votre voyou/homosexuel que vous devriez me parler avant que vous n’ayez réussi » ;88.Dans l’original: “I told that punk/gunsel of yours that you’d have to talk to me before you got through.” « donnons-leur le voyou/l’homosexuel ».99.Dans l’original: “Let’s give them the punk/gunsel.” L’utilisation par Hammett de punk dans le roman n’est pas une coïncidence, comme nous avons déjà vu dans la définition de Marcus de gunsel ci-dessus. Le terme punk peut aussi vouloir dire « un jeune esclave sexuel ; le jeune compagnon masculin d’un sodomite » dans l’argot des prisonniers, des marins et des vagabonds (Wentworth et Flexner 1960, 411). Green établit aussi un lien direct entre punk et son synonyme gunsel ; il attache même « cf. gonsel » à sa définition de punk (1998, 958).

En créant un tel réseau linguistique homosexuel, Hammett a été capable d’évoquer que Wilmer peut être lu à la fois en tant que bandit armé masculin et en tant que jeune homosexuel et qu’il doit être tant un jeune voyou présomptueux que le compagnon homosexuel d’un bon à rien. Pour des lecteurs moins qualifiés ou pour les lecteurs qui ne veulent pas s’intéresser à l’univers délibérément ambigu d’Hammett, Wilmer est seulement un garde du corps lourdement armé et un jeune voyou arrogant.

4.Langage ambigu pour identifier les personnages homosexuels

Il y a des intellectuels comme Bill Delaney et Ralph Willett qui nient complètement la présence de personnages homosexuels dans LFM. Delaney (1999, 104) a cru qu’une des descriptions par Hammett de Wilmer, à savoir, « la netteté dure, masculine » (1999 [1930], 471), voulait dire que Cook n’était rien de moins qu’un hétérosexuel très viril; les menaces de Cook et la langue grossière soutiennent certainement cette interprétation agressive et macho. Delaney émet la possibilité que Wilmer Cook et Rhéa Gutman, décrite dans le texte comme la fille de Caspar Gutman, aient une relation amoureuse (105), bien qu’il n’y ait aucune preuve textuelle d’une telle relation. Ralph Willett (1996, 38) croit aussi que Wilmer et Gutman sont hétérosexuels et il pense que Rhéa est en fait la maîtresse de Gutman se faisant passer pour sa fille. De nouveau, ceci n’est suggéré par aucune preuve textuelle.

Ces spécialistes ignorent complètement les descriptions par Hammett du côté beaucoup plus doux et discret de Wilmer auquel nous avons déjà fait allusion ci-dessus. « Les yeux noisette et les cils courbés » du jeune bandit (1999 [1930], 471), des caractéristiques pas du tout masculines et « sa netteté masculine » montrent deux côtés apparemment irréconciliables de la même médaille. David J. Herman (1994, 205–206) a fait référence à l’incongruité entre la virilité de Wilmer et sa petite taille ; il déclare que

le traitement par Hammett de Wilmer […] enregistre le glissement entre le signe et signifié qui ébranle ce système complet de correspondances phalliques. Lorsque nous découvrons que « les pistolets noirs de Wilmer étaient gigantesques dans ses petites mains » (199), la divergence entre le symbole et le fait devient manifestement apparente.1010.Dans l’original: “Hammett’s treatment of Wilmer […] records the slippage between sign and signified that undermines this entire system of phallic correspondences. When we discover that Wilmer’s “[b]lack pistols were gigantic in his small hands” (199), the discrepancy between symbol and fact becomes palpably apparent.”

Hammett semble s’amuser à jouer avec l’instabilité de la langue qu’il utilise. À mon avis, les lecteurs comme Delaney et Willett, incapables ou peu disposés à comprendre l’ambiguïté sophistiquée de la langue dans Le Faucon Maltais, refusent de voir les significations sous-jacentes et se privent de la lecture texturée qu’Hammett a mise en place. Je crois que les exemples de queer, fairy, gooseberry lay et gunsel ci-dessous sont tous des cas d’ambiguïté résoluble (Alvstad 2008, 236), étant donné que le texte source d’Hammett offre les indices pour deux interprétations différentes, chacune d’entre elles étant plausibles.

Dashiell Hammett a utilisé des termes homosexuels d’une façon qui n’est ni extensive, ni manifeste afin d’inclure des personnages réalistes se conformant à sa propre expérience et sa vision du monde à un moment où ceux-ci n’étaient pas les bienvenus dans les livres publiés. Slide (1993, 5) explique avec insistance qu’avant les années 1970, « loin d’être explicites dans l’identification des homosexuels ou des personnages lesbiens », les auteurs ont utilisé un subterfuge intelligent que les lecteurs pourraient comprendre moyennant une « analyse critique ». Pour inclure des personnages homosexuels, Hammett a choisi une signalisation subtile via un argot spécialisé et il a compté sur les lecteurs pour relier les points.

Selon l’utilisation ambiguë de queer et fairy, Joel Cairo pourrait plausiblement être identifié comme étant étrange ou homosexuel, ou les deux à la fois, et il pourrait être identifié comme un homme efféminé ou un homosexuel, ou les deux. Cependant, avec the gooseberry lay et gunsel, Sam Spade et la voix du narrateur visent le lecteur bien informé, qui profite de ce jeu de mots qui traduit le contenu sexuel pervers, quand en réalité il décrit une pratique criminelle modeste et profite d’un stratagème qui utilise un terme d’argot spécialisé facilement interprétable comme « gunman » [tireur], alors qu’il désigne en fait un homosexuel. Les lecteurs bien informés n’étaient pas nécessairement des hommes homosexuels, mais des lecteurs qui, comme Hammett, savaient que le monde est un endroit où peut exister un cercle de criminels homosexuels, ayant des relations amoureuses ensemble et qui connaissaient la société prude et conservatrice dans laquelle ils vivaient, dont les productions culturelles ont été prudemment contrôlées par les politiques des maisons d’édition et des rédacteurs qui ont censuré l’expression de telles réalités. Ces lecteurs ont certainement pris un plaisir voyeuriste à être dans la confidence d’un auteur intelligemment subversif utilisant un argot spécialisé qui pourrait ébranler ces limitations sociales et ces contraintes. Pourtant, Hammett n’était pas responsable de la désambiguïsation, étant donné que c’est le lecteur insouciant qui a donné la signification soi-disant sexuelle se cachant derrière the gooseberry lay et c’est aussi le lecteur informé qui a promulgué l’interprétation homosexuelle univoque de gunsel.

En utilisant un tel langage d’une façon subversive bien que créative, Hammett a essayé de faire des choses qui n’avaient jamais été faites dans un roman noir auparavant et qui commençaient seulement à être acceptables dans le roman ordinaire (rappelons-nous ce qu’Hammett a dit au rédacteur d’Alfred Knopf, Harry Block ; voir ci-dessus). Il a voulu utiliser ces techniques littéraires dans le genre policier pour tenter de le sortir de la marginalité et pour transformer le roman policier en vraie littérature. Immédiatement après avoir fait l’éloge très connue de Dashiell Hammett parce qu’il « a rendu le meurtre aux gens qui le commettent pour certaines raisons », Raymond Chandler, dans son essai « The Simple Art of Murder » (1995 [1944], 989), avait ceci à dire concernant l’utilisation d’Hammett de la langue :

Il a décrit ces gens sur papier comme ils sont et il les a fait parler et penser dans la langue qu’ils utilisaient habituellement à cet effet. Il avait du style, mais son public ne le savait pas, parce que c’était dans une langue qui n’était pas supposée être capable de tels raffinements. Ils pensaient obtenir un mélodrame consistant écrit dans un jargon qu’ils pourraient parler eux-mêmes. Ils avaient raison, dans un sens, mais c’était beaucoup plus. Tout langage commence par le discours, et le discours des hommes communs, mais quand il se développe au point de devenir un moyen littéraire, il ressemble seulement à un discours.1111.Dans l’original: “He put these people down on paper as they are, and he made them talk and think in the language they customarily used for these purposes. He had style, but his audience didn’t know it, because it was in a language not supposed to be capable of such refinements. They thought they were getting a good meaty melodrama written in the kind of lingo they imagined they spoke themselves. It was, in a sense, but it was much more. All language begins with speech, and the speech of common men at that, but when it develops to the point of becoming a literary medium it only looks like speech.”

En ayant récemment été ré-estimé pour ses mérites littéraires, le roman noir de Dashiell Hammett, Raymond Chandler et d’autres auteurs a en effet été reconnu comme étant une partie du canon de la littérature écrite en anglais (Franco Aixelá 1996, 72).

5. Le Faucon Maltais en espagnol

La plupart des traductions du Faucon Maltais ont été décrites de manière adéquate par Franco Aixelá (1996), Franco Aixelá et Abio Villarig (2009) et Tejero Penco (2010), à l’exception des traductions argentines de Warschaver (1946) et Lavalle (1960) et des traductions espagnoles par Rumschisky (1974) et de la traduction la plus récente par Fort Murillo (2011). Dans ce qui suit, je décrirai très brièvement ces versions.

Après la traduction de Casas Gancedo de 1933, la deuxième version du Faucon Maltais a été produite par Eduardo Warschaver en 1946. Bien qu’il l’ait publiée à Buenos Aires en Argentine, cette traduction était aussi disponible en Espagne en tant qu’importation (voir les dossiers AGA 5321/46 et 1010/47; 21/07910 [autorisée le 05-12-1946] et 21/07955 [autorisé le 17-03-1947]). Malgré le fait que les spécialistes Jorge Lafforgue et Jorge B. Rivera (1995, 33) mentionnent qu’une version du Faucon Maltais a été publiée dans le magazine à sensations argentin Leoplan à la fin des années 1940, il a été impossible de localiser ce volume ou d’autres documents y faisant référence, ce qui porte à croire qu’ils peuvent avoir fait référence à cette traduction. La version de Warschaver est pratiquement inconnue et est souvent omise par certains spécialistes et bibliographes des œuvres d’Hammett dans la traduction espagnole. Le texte cible de Warschaver a été copié, pratiquement sans aucun changement, par Rubio en 1953 et la traduction d’E. F. Lavalle de 1960 est une copie exacte de la traduction de Rubio. Ce traitement de traductions littéraires étant recyclée sans fin uniquement pour le profit est précisément ce que John Milton (2000, 171) appelle « factory translation » [la traduction d’usine, traduction à la chaîne].

Après que la traduction importante de Calleja ait été produite en 1968, une version condensée du Faucon Maltais a été produite en 1974 par Alberto Rumschisky pour Selecciones de Reader’s Digest (Madrid). Elle est apparue dans la collection Grandes Clásicos del Suspense, avec les illustrations d’Oscar Liebman. Cette version a aussi été approuvée par les censeurs espagnols pendant les années du déclin de la dictature de Franco (AGA dossier 111986/74). Cette version, qui n’a jamais été réimprimée, a été éclipsée par la version de Calleja, qui a été réimprimée 16 fois jusqu’en 2004. La version de Rumschisky est autonome et, malgré le fait qu’elle soit apparemment condensée, il y manque relativement peu de texte.

La première traduction non censurée de Francisco Páez de la Cadena est apparue en 1992. Deux ans plus tard, cette version a été incluse dans Obras Completas sortie par Debate, un volume important des œuvres complètes d’Hammett commémorant la 100ème année de sa naissance. La cinquième traduction, qui est aussi la plus récente, est sortie en 2011. Produite par Luis Murillo Fort pour RBA Libros, cette nouvelle interprétation du Faucon Maltais est apparue dans un volume appelé Todos los casos de Sam Spade dans la collection Serie Negra. Aussi bien la version de Páez de la Cadena que celle de Fort Murillo sont apparues dans des collections littéraires et des anthologies du travail d’Hammett, prouvant la canonisation de l’auteur et de sa fiction dans la culture cible.

Les cinq traductions entièrement autonomes et complètes du Faucon Maltais (Casas Gancedo 1933; Warschaver 1946; Calleja 1968; Páez de la Cadena 1992 ; Fort Murillo 2011) et la traduction condensée de Rumschisky (1974) seront analysées ci-dessous en regardant comment les termes généraux familiers queer et fairy et les termes d’argot comme the gooseberry lay et gunsel ont été traduits en espagnol et dans quelle mesure les traducteurs ont préservé l’ambiguïté de ces termes ou les ont désambiguïsés.

6.Queer et ferry en espagnol

Casas Gancedo et Warschaver ont tous les deux traduit queer par « étrange » : « un tipo muy raro » [un type très bizarre] (1933, 34); et « un tipo raro », [un type très bizarre] (1946, 50), respectivement. Cependant, en commençant avec Calleja, Cairo commence à être décrit par son caractère efféminé (« un sarasa», 1968, 51); Páez de la Cadena parle aussi de ses manières féminines en le nommant « un mariposón» (1992, 47). Aussi bien sarasa que mariposón veulent dire quelque chose comme « gay » ou « pédé » (Carbonell 1997, 658). À l’opposé du choix de Calleja pour des termes efféminés, Rumschisky et Fort Murillo ont tous deux traduit queer par « homosexuel », utilisant « marica » (c’est-à-dire, pédé) (1974, 443; 2011, 54, respectivement).

La première traduction vers l’espagnol a traduit fairy d’une façon incorrecte par « el fantasma » (1933, 80), qui veut dire « le fantôme ». Warschaver a choisi au lieu de cela « el duende » (1946, 108), une traduction littérale signifiant « l’elfe », aussi exempte de nuances efféminées et Páez de la Cadena a utilisé un équivalent littéral, « el hada » [la fée] (1992, 105). En commençant par Calleja, Cairo est décrit comme « el marica » (1968, 106), Rumschisky a fait de même (1974, 484) et Fort Murillo l’a intensifié légèrement en utilisant « el maricón » (2011, 112). Ici, l’utilisation de « marica » et « maricón», qui veulent dire « pédé » ou « tapette» (Carbonnell 1997, 658), est en accord avec la découverte de Robert Valdeón concernant la surreprésentation des différentes formes de marica dans les textes cibles (2010, 83). A partir de Calleja (1968), marica et maricón deviennent des équivalents acceptés dans des textes cibles espagnols non seulement pour queer, mais aussi pour fairy. Ces cas désambiguïsent néanmoins entièrement les significations, ne laissant que celle de « l’homosexuel ».

Avant la traduction pionnière de Calleja, les traducteurs les plus audacieux pouvaient seulement faire allusion au caractère efféminé, mais ont été empêchés de faire directement référence à l’homosexualité. Mira (1999) a commenté le fait que le caractère efféminé était acceptable pour refléter un certain contenu homosexuel pendant la période de censure de Franco, bien qu’il l’ait fait d’une façon homophobe. Après 1968, aucun traducteur, sauf Páez de la Cadena, n’a hésité à utiliser marica et maricón comme équivalents pour queer et fairy, à tel point que ces utilisations semblent créer un discours cohérent. Calleja a traduit son texte juste après un changement du système de censure espagnole, ce qui l’a rendue moins stricte administrativement et moralement. Ces changements ont de toute évidence ouvert la porte, du moins un peu, à la représentation ouverte de l’homosexualité, bien que d’une façon homophobe.

Alberto Mira suggère que les premiers traducteurs qui connaissaient les équivalents d’argot homosexuels en espagnol pourraient peut-être avoir évité de les utiliser de peur qu’on ne les soupçonne d’être eux-mêmes homosexuels (1999, 120). En les évitant dans leurs traductions, ils pourraient éviter d’être soumis à la répression politique par le régime autocratique fortement catholique et à la loi d’anti-vagabondage qui a été utilisée pour les persécuter et les poursuivre. Il suggère aussi que les traducteurs qui peuvent avoir été enclins à créer des traductions ouvertes à l’homosexualité aient été empêchés de le faire à cause d’un manque d’éléments lexicaux disponibles et de l’incapacité de simuler « un discours reconnaissable » dans la langue cible (109, 120). Valdeón (2010, 85) a déclaré que la langue espagnole possède beaucoup de termes dénigrants pour les homosexuels. Le Spanish-American Euphemisms de Charles Kany mentionne des douzaines d’entre eux, groupés sous la rubrique « à caractère efféminé » (1960, 178–182) et Alonso Tejada décrit aussi une série de termes péjoratifs concernant les homosexuels pendant la période Franco (1977, 217). De tels synonymes pourraient avoir été utilisés par Calleja, Rumschisky et Murillo Fort comme un moyen d’empêcher la surreprésentation des formes de marica, bien qu’ils aient probablement opté pour l’utilisation de la synonymie afin de créer un discours plus cohérent dans leurs textes cibles.

7.Les traductions espagnoles de gooseberry lay

Dans deux des cinq traductions espagnoles, l’interprétation de gooseberry lay donnée par les traducteurs était « homosexuel ». Calleja (1968, 134) a utilisé « Cuánto tiempo hace que te pasaste desde la acera de enfrente, chico? » [Depuis combien de temps as-tu traversé de l’autre côté de la rue ?]. L’expression « ser de la acera de enfrente » signifie clairement « être homosexuel » au niveau euphémique, quelque chose comme « être différent » ou « être comme cela » (Ayto 2000, 102). Páez de la Cadena (1992, 133) a aussi traduit cette question en utilisant « la acera de enfrente » : « ¿Cuánto tiempo llevas en la acera de enfrente, hijo? » [Depuis combien de temps es-tu de l’autre côté de la rue?].

L’expression énigmatique the gooseberry lay été traduite par Casas Gancedo (1933, 107) par « ¿Cuánto tiempo hace que has salido de presidio, chaval? » [Depuis combien de temps es-tu sorti de prison, mon garçon ?]. Warschaver (1946, 138) suggère que Wilmer est extrêmement jeune sans impliquer quoi que ce soit d’homosexuel, ou n’importe quel comportement criminel mineur comme voler le linge pendu à une corde à linge : « Depuis combien de temps as-tu quitté la couveuse? ».1212.Dans l’original: “How long has it been since you left the incubator?” [traduit par Daniel Linder].

Murillo Fort a résolu le problème en le traduisant par « ¿Cuánto tiempo llevas hacienda de carabina? » (2011, 141). Le jeu de mots potentiel intéressant entre les différentes significations de carabina permet la désambiguïsation des deux sens : « combien de temps as-tu agi comme un chaperon /enfant? » La première interprétation (un chaperon) est basée sur la notion qu’un tiers, traditionnellement une femme plus vieille, mais aussi généralement un enfant de mêmes parents plus jeune, peut demander à accompagner une jeune femme à un rendez-vous pour garder la tentation sexuelle à distance. Ce que Spade veut donc dire serait que le jeune Wilmer Cook est un chaperon dans la liaison romantique entre Gutman et Cairo. Il est intéressant de noter que ce choix de traduction inverse le sexe de Wilmer. La deuxième interprétation est basée sur le fait que carabina est aussi un synonyme de « fusil » ; en anglais le mot carabine est aussi utilisé, bien que peu fréquent. Dans ce cas, Murillo Fort a déplacé l’ambiguïté de gunsel sur the gooseberry lay.

Franco Aixelá (2009, 6) suggère que le manque de connaissance de la langue anglaise en Espagne jusqu’au début des années 1970, quand la plupart des traducteurs comprenaient le français beaucoup mieux que l’anglais, pourrait être la cause des premières erreurs de traduction. À ce moment-là, seul un dictionnaire d’argot anglais-espagnol était disponible, l’Amaltea Dictionary of Spanish and English Slang, Idioms, Localisms, Cants, Dialects and Words in General not Included up to Now in Spanish-English Dictionaries (Esteban Macragh, 1933), qui n’a été d’aucune aide ici, comme cette expression n’est pas comprise. Maintenant, un certain nombre de ressources d’argot bilingues sont disponibles ; la plus fiable et celle d’entre elles qui fait le plus autorité est A Spanish and English Dictionary of Slang and Unconventional Language (Delfín Carbonell, 1997), bien que ce dictionnaire n’inclut pas the gooseberry lay non plus.

Les deux traducteurs qui ont utilisé des traductions homosexuelles, bien que incorrectes, ont transmis ce qu’ils ont cru avoir compris. En sachant la manière dont Hammett s’attendait à ce que « Cap » Shaw réagisse quand il a lu cette expression, le stratagème semble avoir marché parfaitement: deux d’entre eux ont vu quelque chose de sexuel, notamment homosexuel, dans cette expression énigmatique.

8.Comment dit-on « gunsel » en espagnol ?

La plupart des traductions en espagnol du mot « gunsel » ont opté pour des significations semblables à « voyou » ou « tireur », qui mettent l’accent sur la jeunesse de Wilmer Cook. Casas Gancedo a choisi « granujilla » (1933, 98), qui signifie plus ou moins « petit voyou ». Warschaver a utilisé « lmatón » (1946, 127), qui signifie « tueur ». Calleja a opté pour « cría de pistolero » (1968, 124), qui signifie approximativement « bébé tireur ». Rumschisky a employé « pistolero barato » (1974, 500), signifiant « tireur de basse qualité ». Murillo Fort a choisi « sabandija » (2011, 130), l’équivalent de « vermine ».

Si le terme gunsel était obscur pour son public américain anglophone, il était certainement impénétrable pour les premiers traducteurs espagnols. Le dictionnaire d’argot bilingue d’Esteban Macraugh (1933, 89) inclut le terme « guntzel », qui veut dire « persona jóven, sin experiencia » [personne jeune, sans expérience], tout comme ceux le traduisant par « jeune voyou ». Gunsel a été aussi listé dans le livre de Chamizo Dominguez et Sánchez Benedito, Lo que nunca se aprendió en clase: Eufemismos y disfemismos en el lenguaje erótico inglés [Ce que l’on ne vous a jamais enseigné en classe : les euphémismes et dysphémismes dans la langue érotique anglaise], avec comme explication « homosexual compañero de un vagabundo » [le compagnon homosexuel d’un vagabond] (2000, 264), mais celle-ci ne représente pas un équivalent en argot. Le dictionnaire d’argot bilingue de Carbonell Basset ne les répertorie pas (1997).

Si les traductions espagnoles montrent comment « Cap » Shaw a à l’origine lu le manuscrit soumis par Hammett, ceci illustre aussi exactement l’effet que l’auteur de roman noir recherchait. Aucun des traducteurs, qui sont évidemment aussi des lecteurs de l’original, n’ont associé ce terme en aucune façon à la terminologie homosexuelle. Pour avoir un point de comparaison supplémentaire, examinons très brièvement les doublages du film de John Huston en 1941 de gunsel, qui, comme nous l’avons indiqué auparavant, a été utilisé trois fois au lieu d’une. Dans le film, gunsel devient « ese tipo » (« ce gars »), « su compinche » (« votre acolyte ») et « ése » (« celui-là »), aucun ne faisant allusion à un contenu sexuel. Ceci est en accord avec l’intention originale d’Hammett qui voulait que ce terme soit perçu comme un terme non-sexuel alors qu’il en était en réalité un, sans empêcher les lecteurs bien informés de comprendre la connotation sexuelle du message ; cependant, dans le cas des traductions, il n’y a simplement aucun message codé pour les destinataires sensibles au sous-texte homosexuel sous-jacent leur permettant de faire le lien.

Dans « Gay Community, Gay Identity and the Translated Text », Harvey (2000b) montre comment la traduction inefficace d’un seul mot, le nom propre « Mary » se référant à un homme homosexuel, peut occasionner la disparition de certaines des associations homosexuelles pertinentes, empêchant ainsi les lecteurs du texte cible de libérer un tableau entier d’intentionnalités du texte source. Dans de tels cas, « le cercle des significations homosexuelles qui est transmis par un seul mot dans le texte source – de l’auteur aux personnages, entre personnages et aussi par le lecteur – voit sa spécificité réduite dans la traduction » (156). Je crois que c’est ce qui est arrivé dans le cas de gunsel, où le texte le plus récent ne contient même pas la base la plus légère dans la traduction espagnole nécessaire pour une interprétation homosexuelle.

De toute façon, il est possible de transmettre l’ambiguïté sexuelle en espagnol, comme presque dans n’importe quelle autre langue. Cristiano Mazzei propose sa propre traduction alternative à la version publiée de Stella Manhattan de l’auteur brésilien Silvano Santiago (2007, 49) et ses propres traductions de deux nouvelles complètes par Caio Fernando Abreu pour prouver que de tels rendus espiègles et ambigus sont possibles (2007, 69–85).

Conclusions

Les premières traductions espagnoles de Casas Gancedo et Warschaver du Faucon Maltais d’Hammett ne contiennent aucune connotation homosexuelle, pas même des équivalents péjoratifs de queer et fairy, tandis que la traduction importante de 1968 de Calleja et toutes les traductions ultérieures utilisent marica ou maricón comme équivalents pour ces deux termes. Dans toutes ces traductions, les formes de marica deviennent surreprésentées. Nous avons aussi vu comment la langue homosexuelle a été perçue dans un certain nombre de traductions espagnoles de l’expression gooseberry lay et comment le manque de significations homosexuelles dans les traductions de gunsel n’a pas réussi à reproduire le stratagème politique subversif d’Hammet. À cet égard, la traduction la plus récente par Murillo Fort marque une amélioration par rapport aux traductions précédentes.

Ces découvertes correspondent entièrement à ce que Santaemilia (2005, 122) aurait prévu : « le sexe comme une expérience traduite est souvent minimisé, censuré, éliminé ou ignoré, mais très rarement souligné ou célébré, les seules exceptions étant probablement les périodes historiques après la répression politique ou idéologique ».1313.Dans l’original: “sex as a translated experience is often downplayed, censored, eliminated or ignored, but very rarely emphasized or celebrated, the only exceptions being possibly the historical periods following political or ideological repression.” Malgré le fait que quelques termes sexuels spécifiquement hétérosexuels aient été intensifiés dans la version de 1933, comme Franco Aixelá (2008) l’a démontré, ceci n’est n’a pas été le cas pour le langage spécifiquement homosexuel, qui a été enlevé du texte.

Il y a deux raisons essentielles pour lesquelles les connotations homosexuelles sont captées ou non par le traducteur : d’une part, les traducteurs ne peuvent pas transmettre les sous-textes homosexuels à cause d’un manque de ressources (des compétences linguistiques sources, des dictionnaires et des glossaires, des compétences linguistiques cibles); d’autre part, le traducteur est peut-être empêché de transmettre les sous-textes homosexuels à cause de contraintes, de normes et de tabous politiques, sociologiques et idéologiques (la censure officielle, des lois d’anti-vagabondage répressives, la stigmatisation sociale). Comme Mazzei (2007) et Valdeón (2010), Alvastad a aussi indiqué que les versions espagnoles et suédoises mal traduites ou manipulées n’étaient pas dues à un quelconque manque de termes dans ces langues permettant d’exprimer une ambiguïté: « les différences entre les versions ne sont pas dues aux possibilités linguistiques disponibles d’exprimer quelque chose dans la langue cible » (2008, 226).1414.Dans l’original: “the differences between the versions are not due to the available linguistic possibilities to express something in the target language.” Comme la censure officielle n’existe plus en Espagne, les traducteurs sont libres d’exprimer les sous-textes homosexuels ambigus s’ils peuvent les percevoir. Cependant, dans les versions les plus récentes, les traducteurs peuvent avoir manqué de connaissance appropriée concernant l’œuvre d’Hammett et de sensibilités appropriées pour détecter des éléments bi/homosexuels dans le roman, malgré le fait que le texte d’Hammett contienne une complexité d’indices.

Santaemilia (2005, 125) a déclaré que « la traduction du langage ou d’images sexuels devient de plus en plus un acte politique ». Donc, quand les traducteurs espagnols minimisent ou normalisent ou désambiguïsent le langage sexuel dans LFM, ils sont dans un positionnement politique. On pourrait dire que leur action, dans la mesure où elle affecte simplement quatre termes examinés dans le roman d’Hammett, a peu de répercussions, mais ceci négligerait le co-texte à grande échelle dans lequel ce langage est incorporé. Les termes homosexuels d’Hammett ne pourraient pas avoir été insérés dans le texte en plus grand nombre ni d’une façon plus évidente qu’ils ne l’étaient déjà sans courir de risque d’être détectés par ses rédacteurs. Les quatre termes ressemblent au sommet d’un iceberg textuel qui mène les lecteurs aux profondeurs sous-jacentes immenses du sous-texte.

Dans son article sur la suppression des références sexuelles dans les traductions portugaises de The Catcher in the Rye, Schmitz (1998, 11) a fait appel aux traducteurs pour lire les critiques littéraires portant sur les romans qu’ils doivent traduire :

La comparaison des deux traductions ci-incluses m’amène à suggérer que les traducteurs lisent, avant de se préparer à traduire, la critique de l’auteur qu’ils s’apprêtent à traduire. Si les quatre traducteurs avaient lu certains des commentaires publiés sur le travail de Salinger, ils auraient sans doute produit des traductions plus satisfaisantes et agréables pour eux et leurs lecteurs.1515.Dans l’original: “The comparison of the two translations herein leads me to suggest that translators read, before setting out to translate, some of the criticism about the author they are planning to translate. Had the four translators read some of the published comments on Salinger’s work, they, no doubt, would have produced more satisfactory and pleasing translations for themselves and their readers.”

Dans le cas du travail de Salinger, il y a une pléthore d’études disponibles; la MLA International Bibliography donne comme résultat 571 succès pour « Salinger, J. D. » le 21 mars 2013. Dans le cas du Faucon Maltais d’Hammett, une recherche dans la base de données du MLA donne un résultat de 70 succès pour « Le Faucon Maltais » et 238 pour « Hammett, Dashiell ». Dans le cas de Luis Murillo Fort, le traducteur le plus récent, un entretien publié prouve qu’il est très largement lu, qu’il appartient clairement à la communauté littéraire en Espagne et que c’est un traducteur très expérimenté. Il ne mentionne pas spécifiquement s’il lit la critique d’un roman avant sa traduction, bien qu’il décrive une méthode de traduction dans laquelle il lit quelques chapitres, pas le livre entier, et commence ensuite la traduction (Doyle 2010, 179). Il fait cela parce qu’il « ne veut pas épuiser toutes les possibilités du roman avant de commencer son travail de traducteur »;1616.Dans l’original: “does not want to deplete all of the possibilities of the novel before getting down to work on it as a translator” [traduit par Daniel Linder]. « comme je le reçois, ou pense le recevoir de l’auteur, j’agis en conséquence ».1717.Dans l’original: “as I receive it, or think I receive it, from the author, I act accordingly” [182, traduit par Daniel Linder]. La lecture de Murillo peut être, par conséquent, semblable à ce qu’Hammett voulait pour « Cap » Shaw. En tout cas, l’utilisation ambiguë de carabina (suivre ou escorter et la carabine ou le fusil) mentionnée ci-dessus recrée un peu l’ambiguïté sexuelle qu’Hammett avait créée, bien qu’il le fasse avec l’expression the gooseberry lay plutôt qu’avec gunsel.

Santaemilia (2008, 125) a constaté qu’une traductrice a repéré certaines nuances basées sur le sexe des personnages dans un roman sexuellement explicite, ce qu’aucun traducteur masculin précédent n’avait su faire, exprimant sa croyance que de tels traducteurs sensibles au genre peuvent produire des résultats finaux différents de ceux qui sont plus habitués à la normativité masculine. De la même façon, les traducteurs « queer-identified » pourraient refléter leurs sensibilités à l’homosexualité dans des textes cibles. « Queer-identified » ne signifie pas être littéralement homosexuel, lesbienne, bisexuel ou transsexuel, mais être sensible aux enjeux liés à l’homosexualité. L’article pionnier d’Alexander Doty « There’s Something Queer Here » théorise très bien cette notion, déclarant que « queerness [est] une pratique de réception de la culture de masse qui est partagée par toutes sortes de gens dans des degrés variables de cohérence et d’intensité »1818.Dans l’original: “queerness [is] a mass culture reception practice that is shared by all sorts of people in varying degrees of consistency and intensity.” (1993, 2; accentuation ajoutée) et que « des positions queer diverses et fluctuantes pourraient être occupées à chaque fois que quelqu’un produit ou répond à la culture »1919.Dans l’original: “various and fluctuating queer positions might be occupied whenever anyone produces or responds to culture.” (3; accent dans original). Doty ajoute que « des textes hétérosexuels à la base peuvent contenir des éléments homosexuels et que les gens essentiellement hétérosexuels peuvent vivre des moments homosexuels » (ibid.).2020.Dans l’original: “basically heterocentist texts can contain queer elements, and basically heterosexual, straight-identifying people can experience queer moments.” Doty indique qu’il devrait y avoir « une notion sans genre de queer » qui permettrait à n’importe qui de voir que « l’homosexualité opère souvent dans la non-homosexualité, tout comme le non-homosexuel le fait dans l’homosexualité (que ce soit à la réception, dans les textes, ou pendant la production) » (ibid.).2121.Dans l’original: “ostensibly addressed to straight audiences often have greater potential for encouraging a wide range of queer responses than clearly lesbian- and gay-addressed films.” Dans son analyse de films, un rapport au Faucon Maltais peut facilement être extrapolé, dans la mesure où il analyse comment les films qui sont « apparemment adressés aux publics hétérosexuels ont souvent un potentiel plus grand pour encourager une vaste gamme de réponses homosexuelles que les films clairement adressés aux homosexuels et lesbiennes » (8). Dans ce sens, Susan Sontag, dans son essai « Notes on ‘Camp’ » analyse précisément comment l’adaptation du film d’Hammett Le Faucon Maltais (dir. John Huston, 1941) est un exemple parfait de « camp » (1964, 5). La conclusion est que les traducteurs « queer-identified », comme des « woman-identified » ou « feminist-identified », peuvent (re)produire des significations sensibles qu’ils soient en réalité porteurs d’implications homosexuelles ou pas. Donc, un traducteur du Faucon Maltais avec une sensibilité pour l’homosexualité pourrait répondre au texte et produire une traduction reflétant ces sensibilités. Jusqu’ici, les traducteurs du Faucon Maltais en espagnol n’ont pas fait preuve de telles sensibilités. Crisafulli (2001, 32) appelle à « de nouvelles traductions audacieuses de Dante inspirées par des théories homosexuelles ou féministes »,2222.Dans l’original: “new, daring translations of Dante inspired by gay or feminist theories.” mais, dans le cas du Faucon Maltais, ce qui est nécessaire n’est pas quelque chose de nouveau et audacieux, mais une reproduction dans le texte cible des mécanismes ambigus et complexes qui permettrait une lecture du texte tant hétérosexuelle qu’homosexuelle.

Bien que Franco Aixelá (1996) ait indiqué qu’Hammett en tant qu’auteur ainsi que toutes ses œuvres, incluant LFM, deviennent de plus en plus canonisés, je crois que ses œuvres traduites contiennent toujours les caractéristiques de la « factory translation ». Alvstad (2008, 226) a expliqué que certaines caractéristiques de la désambiguïsation qu’elle a trouvées sont typiques de la « factory translation », disant que « la traduction est soumise non seulement aux préoccupations linguistiques, mais aussi aux facteurs en rapport avec le marché du livre et ses politiques de publication et tendances ».2323.Dans l’original: “translation is subjected not only to linguistic concerns, but also to factors that have to do with the bookmarket and its publishing policies and trends.” Les normes contemporaines de la culture espagnole du texte cible, qui ont toujours tendance à interpréter le roman noir de façon masculine et hétérosexuelle, peuvent empêcher les traducteurs sensibles aux expressions familières masculines de même sexe et à l’argot spécialisé de transmettre complètement cet usage de langue unique. Malgré la canonisation du roman noir en tant que genre et d’Hammett en tant qu’auteur littéraire tant dans la culture source que dans la culture cible, ce qui pourrait exclure une stratégie de traduction très conservatrice, il y a toujours une forte préférence pour l’interprétation « masculine, célibataire et hétérosexuelle » du langage du Faucon Maltais dans ses versions espagnoles. Ceci pourrait toujours en partie être enraciné dans les préjugés contre ce qui était considéré auparavant comme romans à sensations alors qu’ils font maintenant partie de la littérature canonique.

Remerciements

Une première version de cette traduction a été réalisée par Céline Fays dans le cadre de son travail de fin de cycle en « Langues et littératures modernes : orientation germanique » à l’Université de Namur (année académique 2015–2016), et ce sous la direction de Dirk Delabastita. Le texte a été revu par Norbert Jacquinet, collaborateur au Département de Langues et littératures germaniques de l’Université de Namur.

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Remarques

1.La traduction française des termes et des extraits en espagnol et en anglais a été fournie par les traducteurs.
2.Dans l’original: “I’m sorry you think the […] homosexual parts of it should be changed. I should like to leave them as they are, especially since you say they ‘would be all right perhaps in an ordinary novel.’ It seems to me that the only thing that can be said against their use in a detective novel is that nobody has tried it yet. I’d like to try it.”
3.Dans l’original: “Sexual perversions, other than sadism, are definitely taboo. And sadism must be presented in its least sexual form. Homosexuality may be hinted at, but never used as an explicit and important factor in the story… All other perversions are absolutely beyond the pale.”
4.Dans l’original: “the bad ones are punished as an edifying example.”
5.Dans l’original: “wordplay is the general name for the various textual phenomena in which structural features of the language(s) used are exploited in order to bring about a communicatively significant confrontation of two (or more) linguistic structures with more or less similar forms and more or less different meanings.”
6.Dans l’original: “all of the writers of the hard-boiled school of realism started talking about a gunsel as the equivalent of a gunman. The usage has persisted.”
7.Dans l’original: “it has been at least thirty-five years since Dashiell Hammett played his little joke on Captain Joseph Shaw, but the after effects of that joke are still seen in American murder stories.”
8.Dans l’original: “I told that punk/gunsel of yours that you’d have to talk to me before you got through.”
9.Dans l’original: “Let’s give them the punk/gunsel.”
10.Dans l’original: “Hammett’s treatment of Wilmer […] records the slippage between sign and signified that undermines this entire system of phallic correspondences. When we discover that Wilmer’s “[b]lack pistols were gigantic in his small hands” (199), the discrepancy between symbol and fact becomes palpably apparent.”
11.Dans l’original: “He put these people down on paper as they are, and he made them talk and think in the language they customarily used for these purposes. He had style, but his audience didn’t know it, because it was in a language not supposed to be capable of such refinements. They thought they were getting a good meaty melodrama written in the kind of lingo they imagined they spoke themselves. It was, in a sense, but it was much more. All language begins with speech, and the speech of common men at that, but when it develops to the point of becoming a literary medium it only looks like speech.”
12.Dans l’original: “How long has it been since you left the incubator?” [traduit par Daniel Linder].
13.Dans l’original: “sex as a translated experience is often downplayed, censored, eliminated or ignored, but very rarely emphasized or celebrated, the only exceptions being possibly the historical periods following political or ideological repression.”
14.Dans l’original: “the differences between the versions are not due to the available linguistic possibilities to express something in the target language.”
15.Dans l’original: “The comparison of the two translations herein leads me to suggest that translators read, before setting out to translate, some of the criticism about the author they are planning to translate. Had the four translators read some of the published comments on Salinger’s work, they, no doubt, would have produced more satisfactory and pleasing translations for themselves and their readers.”
16.Dans l’original: “does not want to deplete all of the possibilities of the novel before getting down to work on it as a translator” [traduit par Daniel Linder].
17.Dans l’original: “as I receive it, or think I receive it, from the author, I act accordingly” [182, traduit par Daniel Linder].
18.Dans l’original: “queerness [is] a mass culture reception practice that is shared by all sorts of people in varying degrees of consistency and intensity.”
19.Dans l’original: “various and fluctuating queer positions might be occupied whenever anyone produces or responds to culture.”
20.Dans l’original: “basically heterocentist texts can contain queer elements, and basically heterosexual, straight-identifying people can experience queer moments.”
21.Dans l’original: “ostensibly addressed to straight audiences often have greater potential for encouraging a wide range of queer responses than clearly lesbian- and gay-addressed films.”
22.Dans l’original: “new, daring translations of Dante inspired by gay or feminist theories.”
23.Dans l’original: “translation is subjected not only to linguistic concerns, but also to factors that have to do with the bookmarket and its publishing policies and trends.”

Adresse de correspondance

Daniel Linder

University of Salamanca

Department of Translation and Interpreting

Calle Francisco Vitoria 6–16

37008 SALAMANCA

Spain

[email protected]