Si traduire présuppose la perception ou l’institution d’une étrangeté entre deux langues, la présence de corps étrangers (emprunts, néologismes, archaïsmes, etc.) dans un texte à traduire rend son altérité vertigineuse. On observe une étrangeté à la puissance deux, soit une {étrangeté2}, lorsqu’une troisième langue s’ajoute à la différence entre la langue de départ et la langue d’arrivée. À l’inverse, l’altérité du texte à traduire s’annule là où la langue empruntée coïncide avec la langue cible. Le texte traduit émaillé d’emprunts (ou de néologismes) constitue, à son tour, une espèce de palimpseste : en lui les langues se stratifient, se différencient et se télescopent. Le numéro 25 de Palimpsestes, dirigé par Catherine Delesse sous le titre Inscrire l’altérité : emprunts et néologismes en traduction, est donc particulièrement pertinent et bienvenu. Douze articles, dont deux en anglais, se penchent sur des cas précis de traduction entre l’anglais et le français, mais aussi de l’allemand et du grec au français et du français au roumain (dans le cas particulier de la rétroauto-traduction de Panaït Istrati), avec une place réservée au créole « chamarré comme un kaléidoscope » (171) de Derek Walcott et au français ‘chamoisié’ (pour reprendre un néologisme, justement, de Milan Kundera). Le rapprochement des emprunts (insertion d’une langue étrangère) et des néologismes (apparition d’une langue imaginaire) révèle l’indistinction des frontières d’une langue dont on ne sait plus très bien à partir de quelle borne elle commence à être inventée. Bien que la plupart des cas étudiés soient des oeuvres littéraires modernes ou contemporaines, l’approche est majoritairement linguistique.
1986Schibboleth : pour Paul Celan. Paris : Galilée.
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1997Des langues qui résonnent. L’hétérolinguisme au xixe siècle québécois. Québec : Fides.
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2009Le Complexe d’Hermès : Regards philosophiques sur la traduction. Ottawa : Presses de l’Université d’Ottawa.
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2007« “C’est bambara et français mélangés”. Analyser des écrits plurilingues à partir du cas de cahiers villageois recueillis au Mali ». Langage et société 120 : 99–127. DOI :
Taivalkoski-Shilov, Kristiina
2006La Tierce main. Le discours rapporté dans les traductions françaises de Fielding au XVIIIème siècle. Arras : Artois Presses Université.
Suggestions de lectures complémentaires et exploratoires
Baneth-Nouailhetas, Emilienne, et Claire Joubert
éds2006Comparer l’étranger. Enjeux du comparatisme en littérature. Rennes : Presses Universitaires de Rennes.
Clavaron, Yves, Jérôme Dutel, et Clément Lévy
éds2011L’Étrangeté des langues. Saint-Étienne : Publications de l’Université de Saint-Étienne.
Mondada, Lorenza
1999« L’accomplissement de l’“étrangéité” dans et par l’interaction : procédures de catégorisation des locuteurs ». Langages 33 (134) : 20–34. DOI :
Ost, François
2009Traduire. Défense et illustration du multilinguisme. Ouvertures. Paris : Fayard.
[ p. 495 ]
Perrot-Corpet, Danielle, et Christine Queffélec
éds2007Citer la langue de l’autre. Mots étrangers dans le roman, de Proust à W. G. Sebald. Lyon : Presses Universitaires de Lyon.
Roux-Faucard, Geneviève
éd2006L’Emprunt dans la traduction des textes littéraires. Montpellier : Presses de l’Université de Montpellier III.
Suchet, Myriam
2014L’Imaginaire hétérolingue. Ce que nous apprennent les textes à la croisée des langues. Paris : Classiques Garnier.