L’anguille dans les textes scientifiques et littéraires médiévaux
Animal hybride et poisson de la gula
L’anguille a dans la culture médiévale un statut ambivalent: les oeuvres scientifiques invitent à s’en méfier, alors que les livres de cuisine la mettent à l’honneur. à l’instar de sa cousine serpentine la lamproie, l’anguille occupe également une place de choix dans la littérature. Elle suscite la convoitise effrénée des gourmands, notamment dans la fameuse branche du Roman de Renart. Dans ce texte, comme dans le fabliau Les Trois Dames qui troverent l’anel, l’anguille apparaît aussi comme l’instrument idéal du piège tendu par un fourbe ingénieux. Que signifie le choix de cette espèce? Nous nous demandons ici comment les pratiques et les représentations médiévales relatives à l’anguille permettent d’éclairer son rôle narratif et symbolique dans ces textes littéraires. De Hildegarde de Bingen aux régimes de santé du xiv
e siècle, en passant par les encyclopédistes dominicains du xiii
e siècle, les savants médiévaux dressent de l’anguille un portrait peu amène: animal hybride, trop lié à la terre pour être un véritable poisson, elle fournit une nourriture malsaine tant que ses propriétés n’ont pas été amendées par l’art culinaire. Dans le fabliau Les Trois Dames qui troverent l’anel, le choix de l’anguille semble obéir surtout à un souci réaliste, même si d’éventuelles connotations sexuelles ne sont pas à exclure. Quant aux anguilles qui servent d’appât à Renart pour piéger Isengrin, elles apparaissent d’abord comme les poissons de la gula, l’aliment “maigre” chéri des goinfres hypocrites.