Sombre Guillaume et rutilant Renart
Jeux d’échos et d’inversions entre la branche Ib du Roman de Renart et La Prise d’Orange
La critique renardienne s’est depuis longtemps avisée des rapports intertextuels à caractère ludique, ironique, voire parodique unissant le Roman et de Renart et la chanson de geste. Mais tout n’a pas été dit sur le sujet, car au-delà de points de rencontre précis, volontairement ostentatoires, donc facilement repérables (formules, motifs ponctuels, etc.), il en est d’autres qui sont davantage camouflés en raison de leur caractère plus diffus dans la ligne narrative. La présente étude se propose de faire ressortir le jeu d’échos, d’inversions et de contre-pieds entre La Prise d’Orange et la branche Ib du Roman de Renart, jeu initié à partir d’une commune situation de manque débouchant sur le face à face du héros déguisé (Guillaume et Renart) et de son ennemi juré (Arragon et Isengrin). Après avoir discuté de l’antériorité très probable de la geste sur la branche renardienne, nous nous efforcerons de montrer que le conteur renardien de la branche Ib s’est amusé à en démarquer de façon ironique un certain nombre de séquences narratives. Il ne s’agit toutefois pas d’une “simple” parodie, d’un “chant à côté” (para odos), démarquage formel, point par point, à tonalité comique et dégradante, mais plutôt d’une série ludique d’adhésions et de contre-pieds à l’égard d’un hypotexte que l’auteur connaissait manifestement fort bien. En somme, le conteur s’est livré à une récriture ludique et “contrapuntique” de certaines séquences de la chanson de geste.